Préface des Editions de Londres

« La paix » est écrite et représentée en 421 avant Jésus Christ, année peu prolifique pour Aristophane, puisqu’il était trop occupé à jouer aux dés dans les bars, tout en chantonnant accompagné de sa lyre : « Quatre cents vingt et un, année ludique… »

C’est une des premières pièces d’Aristophane, et c’est aussi une de ses pièces dites politiques, une de celles que les hellénistes distingués rangent aux côtés des « Acharniens » ou des « Cavaliers ».

C’est l’histoire d’un mec qui s’appelle Trygée...

C’est l’histoire d’un mec, Trygée, jeune vigneron de l’Attique, qui en a franchement assez de la guerre et, qui, voulant dire deux mots aux Dieux, s’envole à cheval sur un escarbot vers l’Olympe. Ce qu’il trouve est un endroit si peu fréquentable qu’il a été déserté par les mêmes Dieux, qui en ont assez des problèmes des hommes et de leurs querelles incessantes. A leur place règne la déesse Polemos qui verrait l’anéantissement des cités grecques d’un assez bon oeil. Pour remédier à une situation bien compromise, Trygée va, avec la complicité d’Hermès, délivrer la Paix que l’on a enfermée dans une caverne. Suite à la libération de La Paix, les choses vont déjà beaucoup mieux sur la péninsule. S’en suivent quelques scènes amusantes où l’on voit défiler à la queue leu leu les fabricants de faux, de trompettes, d’aigrettes, de cuirasses, de casques, les polisseurs de lances, un peu l’équivalent à notre époque moderne du complexe militaro-industriel, des fabricants d’avions militaires, de missiles sol sol, de sous-marins nucléaires, de porte-avions, et de leurs amis politiques, élus du peuple, VRP multicartes de l’industrie d’armements nationale, avec leurs contrats mirobolants, emplois créés, et tous ces tanks qui défilent le Quatorze Juillet.

Aristophane, Jean Yanne et Coluche

Si Aristophane nous évoque Jean Yanne, il a aussi un côté à la Coluche qui n’est pas pour nous déplaire. D’ailleurs, les deux (Jean Yanne et Coluche, pas Aristophane) ont travaillé ensemble dans Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ. Nous pensons que les trois auraient bien fait la paire, le Breton, le Grec et le Français d’origine italienne. Si Aristophane a le cynisme et la verve dure de Jean Yanne, il possède aussi l’humour bouffonesque et l’humanité de Coluche. Ici, Trygée évoque presque le Coluche de La vengeance du serpent à plumes : un brave type qui n’aspire qu’aux simples plaisirs de la chair et que l’on embobine dans des sombres histoires de Dieux et de Déesses, sur fond d’humains qui ne pensent qu’à s’entretuer.

Un plaidoyer pour la Paix

Aristophane est bien le plus moderne des Grecs du Siècle de Périclès. Derrière sa soi-disant vulgarité, ses valeurs réactionnaires (comment des contemporains de Lady Gaga peuvent-ils juger de la « réaction » d’Aristophane ?), Aristophane nous émeut par sa facilité à nous toucher. Il nous rappelle que, de tous les arts, le littéraire est probablement le plus atemporel. Lisez, ce n’est pas du Vian, pas du Brassens, c’est du Aristophane :

Quel bonheur, quel bonheur de laisser là le casque, le fromage et les oignons ! Car je ne me plais pas aux combats, mais à boire, près du feu, avec de bons et intimes amis, à la flamme d’un bois très sec, scié pendant l’été ; grillant des pois sur les charbons, rôtissant des glands, et en même temps, caressant Thratta, pendant que ma femme prend son bain. Il n’y a point de plus agréable passe-temps, lorsque les semailles sont déjà faites, et que le Dieu les arrose, que de dire à son voisin : « Dis-moi, que faisons-nous maintenant, ô Comarchidès ? » Il me plaît de boire, quand le Dieu nous fait du bien.

Moderne, d’accord, mais…évident à notre époque ? Si c’était évident, on enseignerait un peu moins Foch, et Bismarck et Napoléon, et un peu plus Aristophane, et Coluche et Jean Yanne.

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