« La Comtesse de Cagliostro » est un roman de Maurice Leblanc publié en 1924. Ce roman est remarquable pour plusieurs raisons : l’action se passe pendant la jeunesse d’Arsène Lupin ; son plus redoutable adversaire entre en scène ; Leblanc introduit des éléments fantastiques dans le monde de Lupin ; la conclusion du roman nous en apprend plus sur la personnalité de Lupin, sa douleur, et son pessimisme masqué par une gouaillerie et une bonne humeur trop communicatives.
Bref résumé
L’action se passe en Normandie. Raoul d’Andrésy est amoureux de Clarisse d’Etigues. Son père, le Baron d’Etigues, ne veut pas de Raoul pour gendre, un jeune garçon sans nom et sans fortune. Raoul surprend une conversation entre le baron et d’autres hommes. Ils parlent d’une femme mystérieuse comme d’un génie du mal. Le petit groupe veut mettre fin aux jours de cette femme. Raoul se cache, et soudain elle arrive, ligotée et bâillonnée. Les hommes l’accusent d’avoir tué trois de leurs compagnons (sur un total de douze). Puis le lecteur découvre enfin la Comtesse de Cagliostro.
Ils l’emmènent dans une barque pour la noyer dans l’eau glacée. Mais Raoul la sauve. Plus tard, aux prises avec ses nouveaux adversaires, les amis du Baron d’Etigues, c’est la Comtesse qui à son tour lui prête secours. C’est à ce moment qu’il lui déclare sa flamme. À partir de là, les choses se compliquent et s’accélèrent, au point où, par peur de nous y perdre nous-mêmes, par crainte de révéler le fameux secret du trésor, nous avons décidé de laisser la suite de l’histoire dans l’ombre, histoire d’encourager la lecture de ce roman, fameux et méconnu à la fois. Disons seulement que la narration se centre autour d’un trésor datant du Moyen-Âge, un secret transmis de moine en moine, un secret qui mêle ésotérisme, astronomie, et connaissances géographiques du patrimoine religieux de la Normandie. Autour de ce trésor s’affronteront trois volontés : Raoul d’Etigues, la Comtesse, et le groupe formé par Beaumagnan, d’Etigues etc. À la fin, devinez qui gagne ?
L’énigme des sept abbayes
Avec le personnage de la Comtesse, c’est certainement l’énigme des abbayes qui fait l’originalité du roman. Voici comment Maurice Leblanc l’explique : « A l’égard des richesses religieuses du Moyen Âge, richesses que, personnellement, vous voulez faire entrer dans les caisses de la Société de Jésus- voici où nous en sommes : ces offrandes, canalisées à travers toutes les provinces, étaient envoyées aux sept principales abbayes de Caux et constituaient une masse commune… » Et ces sept abbayes sont : « Fécamp, Saint-Wandrille, Jumièges, Valmont, Cruchet-le-Valasse, Montivilliers, Saint-Georges de Boscherville. »
Ce qui vaut franchement le détour, c’est la façon dont Lupin alias Raoul d’Etigues découvrira le secret et le nom de l’abbaye où se trouve l’emplacement du trésor.
Le problème de Maurice Leblanc
Avant de décrire la Comtesse, plusieurs remarques qui intéresseront sûrement les lupinistes et les leblanc-istes. D’abord, pour ceux qui lisent les « Lupin » aux Éditions de Londres, nous avons déjà beaucoup parlé de la difficulté qu’éprouve Leblanc à trouver un ennemi à la hauteur de Lupin. Leblanc, au départ influencé par Conan Doyle, et Raffles pour son héros à chapeau claque et monocle, peine et peine à trouver ce grand méchant, cette némésis comparable à, disons, un Moriarty. C’est pourquoi les ennemis de Lupin, les grands méchants, disparaissent souvent. Les seuls personnages récurrents, tels que Isidore Beautrelet ou Herlock Sholmès, cherchent à déjouer les plans de Lupin, mais ne sont pas vraiment pas des ennemis.
La deuxième remarque, c’est que Leblanc s’est clairement senti « coincé » par l’ampleur de son personnage, et que, comme Conan Doyle, il aimait écrire des romans fantastiques. Il avait déjà publié « Les trois yeux » et « Le formidable évènement » en 1920 et 1921, deux romans intéressants mais qui ne permettront pas d’occulter la notoriété d’Arsène Lupin auprès du grand public.
Alors, ces deux remarques permettent-elles de comprendre la singulière irruption de la Comtesse dans l’univers lupinesque ?
La Comtesse de Cagliostro
Parlons un peu de la Comtesse. Elle est censée être la fille illégitime de l’aventurier italien Joseph Balsamo et de Joséphine de Beauharnais. Née à Palerme en Juillet 1788, elle aurait donc 106 ans au moment des faits rapportés par Leblanc, mais en paraît trente. « Le roman d’Alexandre Dumas avait mis à la mode Joseph Balsamo, soi-disant comte de Cagliostro. ».
Voici comment il la décrit : « Le visage était admirablement beau, formé par des lignes très pures et animé d’une expression qui, même dans l’impassibilité, même dans la peur semblait un sourire. Avec un menton plutôt mince, ses pommettes légèrement saillantes, ses yeux très fendus, et ses paupières lourdes, elle rappelait ces femmes de Vinci ou plutôt de Bernardino Luini dont toute la grâce est dans un sourire qu’on ne voit pas, mais qu’on devine, et qui vous émeut et vous inquiète à la fois. ». Comme elle a cent six ans, et en paraît trente, elle doit parfois se livrer à quelques exercices de rajeunissement, mais avec les moyens de l’époque : « Ayant pris le miroir, elle y contempla longuement son visage fatigué et vieilli. Puis elle y versa quelques gouttes d’une mince fiole et frotta la surface mouillée avec un chiffon de soie. Et de nouveau elle se regarda. »
Et enfin, ce qui est très étonnant, elle connaît même l’enfance de Lupin : « Tu t’appelles Arsène Lupin. Ton père, Théophraste Lupin, qui cumulait le métier de professeur de boxe et de savate avec la profession plus lucrative d’escroc, fut condamné et emprisonné aux États-Unis où il mourut. Ta mère reprit son nom de jeune fille et vécut en parente pauvre chez un cousin éloigné, le duc de Dreux-Soubise. Un jour, la duchesse constata la disparition d’un joyau de la plus grande valeur historique, qui n’était autre que le fameux collier de la reine Marie-Antoinette. Malgré toutes les recherches on ne sut jamais qui était l’auteur de ce vol, exécuté avec une hardiesse et une habileté diaboliques. Moi, je le sais. C’était toi. Tu avais six ans. »
Les quatre énigmes
Elle possède aussi ce fameux miroir : « Ce miroir appartint à Cagliostro. Pour ceux qui s’y regardent avec confiance, le temps s’arrête. Tenez, la date est inscrite sur la monture, 1783, et elle est suivie de quatre lignes qui sont l’énumération de quatre grandes énigmes. Ces énigmes qu’il se proposait de déchiffrer, il les tenait de la bouche même de la reine Marie-Antoinette, et il disait, m’a-t-on rapporté, que celui qui en trouverait la clef serait roi des rois… En voici la liste : In robore fortuna. La dalle des rois de Bohême. La fortune des rois de France. Le chandelier à sept branches. » La quatrième énigme sera résolue par Raoul d’Etigues dans le présent ouvrage. La deuxième constitue le sujet de L’Île aux trente cercueils. La troisième appartient à L’aiguille creuse.
La Comtesse de Cagliostro n’existe que par Arsène Lupin. Était-elle vouée à un destin exceptionnel dans la geste lupinesque ? Elle réapparaîtra, mais peu. Nous croyons que Maurice Leblanc résoudra son problème en en faisant une némésis invisible. À la fin du livre, on apprend qu’elle est responsable de la mort de Clarisse, la femme de Lupin, et de la disparition de l’enfant qu’il eut avec elle. Mais c’est aussi Lupin l’enfant qui disparaît au contact de cette femme. Elle en fait un homme, elle est aussi la mauvaise fée qui lance Lupin, l’être bon, sur la voie du crime, mais qui paradoxalement l’arme aussi pour la vie. Il y a presque quelque chose d’arthurien dans cette genèse de la geste lupinesque. Si c’est le traitement humiliant infligé à sa mère qui lança Lupin sur la voie du crime, c’est l’expérience avec la Cagliostro qui fera de Lupin ce qu’il est, le formidable adversaire, arrogant, gouailleur et romantique, mais aussi un être marqué par une terrible douleur qui ne le quittera jamais.
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