Préface des Editions de Londres

« Napoléon le Petit » est un pamphlet politique de Victor Hugo, écrit en exil en 1852.

C’est une charge féroce, parfois violente, contre le ridicule dictateur dont la France s’est entichée entre 1851 et 1870, et dont le bilan laisse rêveur : élu président au « suffrage universel », supprime les libertés pendant ses trois ans de mandat présidentiel, restreint le suffrage universel qui l’a fait élire (pas fou l’animal !), réorganise l’enseignement en faveur de l’église catholique, limite la liberté de la presse, et quand ça commence un peu à chauffer la cire qui colle ses ridicules moustaches, il déclenche un coup d’Etat meurtrier qui laisse sur le pavé des milliers de morts, parce qu’ils eurent le malheur de sortir dans la rue pour s’opposer dans la plus grande légitimité au pouvoir illégitime.

Quoi d’autre ? Il détruit Paris, et nous lègue le Paris haussmannien actuel dont nous ne nous sommes toujours pas débarrassés, il enrichit les cliques bourgeoises qui l’entourent, il crée les deux cent familles qui continuent à nous polluer la vie, il renforce la colonisation, héritage dont nous ne sommes pas plus débarrassés puisqu’il continue à hanter les consciences, il ruine la France, il essaie ses spahis contre les Algériens et invente en quelque sorte les ratonnades, intéressant pour un petit être au faciès de rongeur des égouts dont Jean Valjean fuit l’insupportable ombre, il lance la France dans quatre guerres ridicules, dont l’une, celle qu’il entreprend au Mexique dans le but d’imposer un Archiduc d’Autriche aux peons mexicains permet à tous les Mexicains du monde entier de fêter leur unique victoire militaire, à Puebla contre les Français, le Cinco de Mayo, il ralentit le décollage économique de la France en prétendant le favoriser, par la concentration de richesses bien mal acquises entre les mains de quelques capitalistes plus à leur place au panthéon des fripons et des coupeurs de bourse, il est à l’origine d’un des plus grands crashs boursiers français, puis quoi d’autre ? L’humiliation de la France face aux Prussiens, les défaites françaises au cours des deux guerres mondiales, le massacre de la Commune, la Troisième République (sur laquelle Les Editions de Londres auront aussi un certain nombre de choses à dire)… C’est beaucoup pour un petit être vil qui en réalité voulait juste coucher avec les femmes de ses ministres, à condition que ces derniers le sachent, en souffrent et se taisent, un peu comme Trujillo dans « La fête au Bouc » de Vargas Llosa. Rien de meilleur pour le bourreau que la victime consentante et suppliante, même pour « un personnage vulgaire, puéril, théâtral et vain », adjectifs assez justes pour définir selon Les Editions de Londres à la fois le Second Empire et le Paris qu’il nous a laissé.

Napoléon III vient de voler le pouvoir le 2 Décembre 1851. Hugo, qui lui garde un chien de sa chienne, déjà pour l’avoir naïvement soutenu trois ans plus tard, doit s’échapper pour éviter l’emprisonnement, il se réfugie dans un premier temps à Bruxelles, puis à Jersey, et enfin à Guernesey. Hugo nous rappelle avec « Napoléon le Petit » que tout le monde peut se tromper, mais que le reconnaître, c’est mieux. « Napoléon le Petit », c’est aussi la démonstration qu’il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis. Peut-on considérer que, grâce à Napoléon III, Hugo nous offre le plus puissant pamphlet politique, genre fort goûté à une certaine époque (voir voir Darien et La belle France), mais qui tombe en désuétude et curieusement revient à la mode récemment ?

Certainement pas, Hugo n’a rien inventé en matière de pamphlet. De plus, comme nous l’avons dit, ils étaient beaucoup plus courants qu’on ne l’imagine à l’époque (voir L’esprit de révolte de Kroptokine), et puis vous pouvez compter sur Les Editions de Londres pour les remettre à la mode.

« Napoléon le Petit », c’est le réveil matin qui sonne du fond du Dix Neuvième siècle et nous rappelle que les Coups d’Etat arrivent quand on ne les attend pas, mais surtout que le sport qui consiste à refuser la réalité qui court vers nous les bras tendus, sport pratiqué en 1804, en 1815, en 1851, en 1939, en 1961, et de nos jours, ce sport n’a jamais fait fléchir la réalité d’un iota. Et oui, comme les mauvais films la réalité n’obéit pas aux lois de la décence et du bon goût. Une des grandes leçons de l’histoire, c’est que le prévisible arrive mais que l’imprévisible arrive aussi. « Napoléon le Petit », c’est aussi le début des déboires de la France. Ces quelques lignes résument assez bien ce que EDL pense de la situation morale en France en 2011 :

« Celui-ci, c’est un ambassadeur, l’ambassadeur le regarde et lui dit : réussis. Celui-ci, c’est un évêque ; l’évêque le regarde et lui dit : réussis. Celui-ci, c’est un juge ; le juge le regarde et lui dit : réussis. Ainsi, échapper aux gendarmes, voilà désormais toute la loi morale. Voler, piller, poignarder, assassiner, ce n’est mal que si on a la bêtise de se laisser prendre. Tout homme qui médite un crime a une constitution à violer, un serment à enfreindre, un obstacle à détruire. En un mot, prenez bien vos mesures. Soyez habiles. Réussissez. Il n’y a d’actions coupables que les coups manqués. »

Grâce à « Napoléon le Petit », nous oublions l’Empereur, et nous apercevons le vrai visage derrière le masque : un petit aventurier vil et couard qui sut bien user de son nom et de la stupidité de ceux qui l’entourent. Rien d’autre, rassurez-vous. (Les Editions de Londres ne sont pas une simple entreprise commerciale, c’est aussi une entreprise d’iconoclastie, de déboulonnement des idoles, et de dé-idôlatrisation). Cent cinquante ans de déclin et de décadence morale, et nous connaissons le nom du responsable. Comme tous les tyrans ridicules, sa tyrannie n’est jamais que le réceptacle de nos propres travers, car sa dictature reste le meilleur exemple d’une dictature consentie.

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