Mikhaïl Bakounine, né en 1814 à Priamoukhino et mort en 1876 à Berne, est un révolutionnaire et philosophe anarchiste, dont la pensée, profonde et fragmentaire à la fois, reste à ce jour le fondement de la philosophie anarchiste.
L’anarchisme révolutionnaire : Bakounine et Kropotkine
Bakounine tient une place à part dans l’imaginaire des Editions de Londres. La première fois que nous en avons entendu parler, ce fut il y a bien longtemps, peut être au cours de la lecture de La condition humaine, et certainement au cours de la lecture de L’espoir. C’est d’ailleurs par la suite avec Chomsky et son traitement de l’expérience anarchiste en Espagne, puis la lecture d’Hommage à la Catalogne de George Orwell que Les Editions de Londres se sont lancées et ont dévoré Dieu et l’Etat de Bakounine.
A l’époque, avec la découverte des anarchistes à travers Malraux, je compris qu’il existait des hommes qui s’intéressaient à la condition humaine avec empathie, sans être des communistes que j’assimilai aux chars qui rentrent à Prague, ni des socialistes à la française, qui représentaient la gauche caviar dans toute sa splendeur, c’est-à-dire les aspirations soixante-huitardes passées à la moulinette du temps, qui nous donnent des ventres bedonnants et des parkings souterrains pour grosses berlines avec code d’entrée pour qu’on ne la raye pas.
Si Kropotkine (dont nous avons publié de nombreux textes) est un écrivain et un idéaliste plus qu’un homme d’action (quoique tout ceci est relatif, puisque l’on peut tout de même considérer Kropotkine comme faisant partie des hommes d’action, mais moins que Bakounine…), Bakounine est un homme d’action plus qu’un écrivain. Il s’est voulu organisateur de l’action révolutionnaire, et renverseur de régimes. Bakounine, ce serait un peu un Lénine qui n’aurait pas réussi. Nul doute que s’ils avaient été contemporains, les deux hommes se seraient opposés, et Lénine ou l’un de ses complices aurait peut être fait assassiner Bakounine comme Staline se débarrassa de Trotsky. Bakounine se serait opposé à Lénine comme il s’opposa à Marx et à tous les communistes. Bakounine imagina le socialisme libertaire. Et le socialisme libertaire, n’en déplaisent aux prêcheurs de l’establishment, cela n’a rien à voir avec les mouvements de gauche établis, et encore moins à voir avec les mouvements de gauche soi-disant révolutionnaires en France, lesquels ont été plus ou moins récupérés par la gauche bien-pensante.
Le point de départ et d’arrivée de la pensée de Bakounine, c’est la révolte. En cela, il appartient à la même famille de pensée que Kropotkine, dont on sait que l’URSS des débuts essaya de récupérer l’élan révolutionnaire. Bakounine et Kropotkine connurent beaucoup d’expériences assez similaires : proscrits, ils voyagèrent beaucoup, et comme tous les proscrits européens ils passèrent par la case « Londres ». Ils connurent aussi la prison ; plus de dix ans pour Bakounine, des séjours réguliers dans les prisons françaises et russes pour Kropotkine. Enfin, tous les deux sont issus de l’aristocratie russe, petite noblesse pour le père de Bakounine, aristocratie par sa mère, et haute aristocratie pour Kropotkine. Ce qui explique d’autres similitudes : tous deux maîtrisent le français encore mieux que le russe, tous deux commencent leur vie d’adulte par une carrière militaire, tous deux en supportent difficilement les excès d’autorité.
Là où ils se distinguent, c’est dans leur analyse et leurs solutions. Si Kropotkine démonte inlassablement les mécanismes de domination et de perpétuation du pouvoir qui caractérisent la vraie histoire des sociétés, Bakounine s’en prend systématiquement à l’Etat, et à son pendant spirituel, l’Eglise. L’Etat, qu’il accuse de tous les maux, et qui le met en conflit permanent avec Marx et les communistes. Cette différence d’emphase plus que d’opinion selon nous explique que les idées de Kropotkine tombent dans la catégorie de l’anarcho-communisme, tandis que Bakounine est beaucoup plus souvent associé au socialisme libertaire. Franchement, aux Editions de Londres, nous pensons que le débat est intéressant mais existe aussi un peu pour le simple fait d’exister. Les deux auteurs se complètent, sont incontournables et représentent les deux pierres angulaires de la philosophie anarchiste.
La vie de Bakounine
Il naît à Pramoukhino, rejoint l’école d’artillerie de Saint-Pétersbourg, abandonne la carrière militaire à dix-huit ans, refuse d’entrer dans l’administration. Il s’inscrit à l’Université de Moscou, puis part pour l’Allemagne en 1840, s’inscrit à l’Université de Berlin, fréquente les Hégéliens. Comme Marx, la pensée d’Hegel influencera ses idées révolutionnaires. Il part ensuite pour Dresde où il découvre la pensée des philosophes révolutionnaires et anarchistes français, Cabet, Louis Blanc, Fourier, Proudhon. Il publie un premier pamphlet, « La réaction en Allemagne », et inquiet de la police secrète tsariste, il part en Suisse, puis à Bruxelles, puis à Paris. Il y rencontre Marx et Engels, Proudhon, Georges Sand, Victor Hugo. Le Tsar publie une oukaze qui le déchoit de sa citoyenneté russe, de ses titres de noblesse, et le dépossède de ses biens. Il est condamné in absentia à la déportation en Sibérie. Il soutient le combat d’émancipation des Polonais, et encourage leur soulèvement contre la domination russe, ainsi que le soulèvement de tous les Russes contre l’oppression.
La révolution de février 1848 et le printemps des peuples lui donnent l’opportunité d’accélérer son action. En 1848 le journal de Marx publie un article qui accuse Bakounine d’être un agent du Tsar. Il part pour Prague où il participe à une insurrection contre les Autrichiens. Il rédige un « Appel aux slaves », explique que l’émancipation sociale est liée à l’émancipation politique des peuples opprimés. Puis en 1849 il est à Dresde, coordonne une nouvelle insurrection, mais il est livré aux Prussiens et condamné à mort en 1851. Livré aux Russes, il est enfermé dans la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg, où le Tsar Nicolas Ier lui demande d’écrire une confession. Il s’exécute. Il est transféré à la forteresse de Schlusselbourg, puis il est déporté en Sibérie. Il est assigné à résidence à Tomsk, puis à Irkoutsk.
En 1861, après dix ans de prison ; il s’évade, prend le bateau pour le Japon à partir d’un port de Sibérie Orientale, puis s’embarque pour San Francisco, traverse le Pacifique, puis les Etats-Unis, au moment même où éclate la guerre de Sécession, arrive à New York où lui et sa femme s’embarquent pour Londres. Il espère participer à une nouvelle insurrection polonaise, mais finalement s’embarque pour la Suède, à partir de laquelle il va gagner la Finlande, d’où il veut lancer une insurrection à la Garibaldi sur la côte Baltique russe. L’expédition échoue. Converti définitivement aux idées anarchistes, Bakounine crée la fraternité internationale, sorte de société secrète.
En 1864, Bakounine fonde la Première Internationale (Association Internationale des Travailleurs). Il participe au congrès de la Ligue de la Paix et de la Liberté à Genève, où il rencontre Victor Hugo, Louis Blanc, John Stuart Mill, Garibaldi…Ses idées prennent de l’importance auprès des ouvriers jurassiens, formation importante de la Ière Internationale.
En 1870, il organise un soulèvement populaire à Lyon. Il échoue. Bakounine commence la rédaction de « L’empire knouto-germanique et la révolution sociale », dont sera tiré « Dieu et l’Etat ». En 1871, c’est la Commune de Paris, qui appelle à la création d’une fédération de villes libres et affranchies de l’Etat. Bakounine applaudit des deux mains. Marx et Engels en revanche ne voient pas d’un mauvais œil la victoire de Bismarck : la centralisation de l’Etat allemand est un préalable nécessaire à la prise du pouvoir par le mouvement ouvrier. En 1872, Marx parvient à le faire exclure de la Ière Internationale. C’est le début de l’opposition irréconciliable entre socialisme autoritaire et socialisme libertaire, qui pèsera sur le mouvement ouvrier jusqu’à nos jours, et dont l’un des épisodes les plus célèbres sera l’élimination du parti anarchiste par les sbires du parti communiste en Catalogne pendant la guerre d’Espagne.
En 1874, il participe aux préparatifs d’une insurrection à Bologne. Il meurt à Berne en 1876.
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