Les « Lettres d’Abélard et Héloïse » ont été échangées entre Pierre Abélard, philosophe et théologien, et Héloïse d’Argenteuil, intellectuelle, vers 1130, douze ans après qu’ils aient eu une liaison amoureuse qui fit un scandale, alors qu’ils sont chacun retirés dans un monastère.
Le recueil est composé de dix lettres, la première est une lettre écrite par Abélard à un ami dans lequel il raconte sa vie. Les quatre suivantes qu’on appelle Lettres amoureuses sont échangées entre Abélard et Héloïse ; ils y font de nombreux rappels de leur aventure. Les quatre suivantes appelées Lettres de direction définissent les principes permettant d’établir la règle pour le couvent du Paraclet. La dernière lettre est la profession de foi d’Abélard.
Outre le présent recueil, il existe un recueil d’extraits de lettres compilées vers 1470 par le bibliothécaire de l’abbaye de Clairvaux, nommé Lettres de deux amants. Ces lettres pourraient avoir été échangées par Abélard et Héloïse au temps de leur relation. Leur attribution fait toujours débat.
L’histoire d’Abélard et d’Héloïse
Héloïse est une jeune femme de vingt ans, très instruite et célèbre, auteur de chansons qui circulent dans Paris. Elle est la nièce de Fulbert, chanoine de Notre Dame de Paris, chez qui elle vit.
Abélard, âgé de trente-quatre ans est célèbre, au faîte de sa gloire et très beau. Il est las des succès de la célébrité, veut rechercher les succès de l’amour et décide de séduire Héloïse.
Il obtient d’être logé par l’oncle d’Héloïse et d’être le précepteur d’Héloïse. L’oncle a confiance dans la vertu de sa nièce et dans la réputation de continence d’Abélard.
Abélard séduit très vite Héloïse qui est prise d’un amour fou et qui se donne entièrement à Abélard. Abélard met son amour en chanson et leur liaison est célèbre dans Paris.
Après trois ans, leur liaison est découverte par l’oncle Fulbert. Ils doivent alors se séparer, mais Héloïse constate qu’elle attend un enfant et l’annonce à Abélard qui l’enlève et l’envoie dans sa Bretagne chez sa sœur pour donner naissance à l’enfant.
Fulbert est furieux et pour le calmer Abélard propose de réparer en épousant Héloïse à condition que ce mariage soit secret afin que sa réputation n’en reçoive aucune atteinte. Héloïse, pour ne pas briser la carrière d’Abélard, veut le détourner de cette idée. Mais, finalement le mariage se fait.
Le mariage est divulgué par Fulbert pour se venger d’Abélard. Héloïse le nie ce qui met Fulbert dans une folle colère. Abélard pour protéger Héloïse décide de l’enfermer à l’abbaye d’Argenteuil.
L’oncle pense qu’Abélard a voulu se débarrasser d’Héloïse et décide de se venger. Il soudoie le valet d’Abélard qui laisse entrer deux sbires pendant qu’Abélard dort pour l’émasculer.
Abélard décide alors de se retirer dans un monastère et oblige Héloïse à prendre le voile. Héloïse l’accepte par obéissance considérant que c’est nécessaire pour expier sa faute.
Par la suite, Héloïse est obligée de quitter Argenteuil dont elle était devenue prieure. Abélard lui offre l’oratoire qu’il avait fondé en Champagne et qui deviendra le Paraclet.
C’est au Paraclet que se trouve Héloïse au moment des lettres, l’amour total qu’elle a voué à Abélard est toujours présent dans son cœur même si elle sait qu’elle ne retrouvera plus Abélard.
Abélard, lui, est prieur en Bretagne. Il a oublié son amour et est plus préoccupé par son orgueil et ses malheurs.
Le contenu de chaque lettre
La lettre I, dite Lettre à un ami, raconte la vie d’Abélard et ses malheurs. Elle est écrite depuis le monastère de Saint-Gildas en Bretagne. Elle est censée être destinée à apaiser les malheurs de son ami par la lecture des siens.
La lettre II est adressée par Héloïse, mère supérieure du Paraclet, à Abélard après qu’elle est eu en main la lettre à un ami. Elle y exprime l’amour pour Abélard qui reste toujours aussi présent dans son cœur et se plaint du manque d’attention d’Abélard qui ne lui a pas écrit depuis de longues années. « Comment la charité chrétienne, votre amour pour moi et l’exemple des Saints-Pères ne vous ont-ils pas inspiré, lorsque mon âme flotte en proie à un chagrin dévorant ? Pourquoi n’avez-vous pas tenté de me consoler : absente, par vos lettres, présente, par vos paroles ? »
Dans la lettre III, Abélard répond à Héloïse. Il est surpris des demandes de consolation qu’elle lui a faites. Il pensait que sa sagesse et sa piété n’avaient pas besoin d’encouragements. Alors qu’elle attend des consolations d’amour, il lui propose son enseignement et ses préceptes. « Cependant si votre humilité en juge autrement, et si, dans les choses qui regardent le ciel, vous avez besoin de mon enseignement et de mes préceptes, dites-moi sur quel sujet vous voulez que je vous écrive, afin que je le fasse selon ce que le Seigneur me permettra. » La plus grande partie de sa lettre est destinée à lui demander à elle et à toute la congrégation de prier pour lui. « Faites que, par l’assistance de vos prières, la miséricorde divine me protège et bientôt écrase Satan sous mes pieds. » Cette lettre est un sermon illustré de sentences tirées des livres saints.
Dans la lettre IV, Héloïse, s’appuyant sur le passage de la lettre précédente où Abélard est résigné à quitter la vie, regrette que la lettre lui ait apporté un surcroît de désespoir plutôt qu’une consolation. Elle exprime son amour en affirmant qu’elle ne pourrait pas survivre à Abélard. « Pleurer alors, telle sera notre occupation, malheureuses ! mais nous ne saurons pas prier, et nous songerons à vous suivre, plutôt qu’à vous ensevelir. Quand nous aurons perdu notre vie, qui est toute en vous, dès que vous nous aurez quittées, nous ne pourrons plus vivre. » Elle confesse que ce n’est pas la piété qui l’a amenée à prendre le voile, mais la punition de son amour impossible. Elle est toujours sensible aux aiguillons de la chair : « Lorsque je devrais gémir sur les péchés que j’ai commis, je soupire plutôt après ceux que je ne peux pas commettre. »
Dans la lettre V, Abélard répond froidement, point par point, à la précédente lettre d’Héloïse. Sur le reproche que lui a fait Héloïse de ne pas lui apporter de consolations, il explique qu’ils doivent partager autant leurs douleurs que leurs joies. Il approuve qu’Héloïse ait refusé les louanges qu’il lui avait adressées. Concernant les regrets qu’a exprimés Héloïse sur leur passage à la vie monastique, il l’abjure de l’accepter et de s’en satisfaire : « Si, comme vous le dites, votre envie est de me plaire en toute chose, faites donc en sorte, non seulement pour me plaire, mais encore pour m’épargner un véritable supplice ; faites en sorte de déposer cette amertume : sans cela, vous ne pouvez me plaire ni parvenir avec moi à la béatitude éternelle. »
La lettre VI est la dernière lettre d’Héloïse à Abélard. Héloïse est résignée et n’exprime plus son amour comme dans les deux autres lettres, mais elle demande à Abélard de la conseiller et de lui indiquer quelle est l’origine des ordres de femmes et de lui fixer une règle pour son couvent, car il n’y a jamais eu de règles spécifiques aux femmes. Elle y fait certaines recommandations pour cette règle concernant les jeûnes et les pratiques de religion. Elle insiste sur l’importance de la vie intérieure, c’est l’intention, non l’acte, qui est important : « Il ne faut pas en effet attacher beaucoup de prix à ce qui ne nous prépare pas au royaume de Dieu ou ne nous recommande guère vis-à-vis de lui ; tels sont ces objets extérieurs, également communs aux réprouvés et aux pénitents, aux hypocrites et aux vrais dévots. Rien ne sépare les juifs et les chrétiens, si ce n’est cette distinction des actes extérieurs et intérieurs ».
Dans la lettre VII, Abélard expose l’origine des ordres religieux de femmes. C’est un panégyrique de la femme tout en affirmant que c’est un sexe faible. Il y explique que Jésus Christ est à l’origine des moniales et qu’il avait toujours beaucoup honoré les femmes. Il recommande ensuite de donner les responsabilités du couvent aux veuves âgées puis il fait l’éloge de la virginité consacrée à Dieu.
Dans la lettre VIII, Abélard définit les grandes lignes d’une règle pour les religieuses. Le texte est divisé en trois parties correspondant aux trois fondamentaux de la vie religieuse : la continence, la pauvreté et le silence. Pour chaque point, il recommande la modération, pas de charges ni de privations excessives. Il définit le rôle de chacune des responsables. Il recommande la lecture des saintes Écritures et la réflexion sur leur signification dans la méditation : « Imitons Isaac, et creusons avec lui des sources d’eau vive ; persévérons dans nos travaux, même si les Philistins s’y opposent, même s’ils en viennent aux mains avec nous. »
La lettre IX accompagne l’envoi de sermons.
La lettre X est la profession de foi qu’Abélard envoya à Héloïse après qu’il eut été condamné au concile de Sens en 1140 afin qu’elle intervienne pour lui.
Notre édition
Notre édition reprend la traduction réputée de Paul Lacroix, plus connu sous le nom du bibliophile Jacob, faite rigoureusement à partir du texte latin du manuscrit retrouvé dans la bibliothèque de François d’Amboise. Nous avons juste modernisé l’orthographe pour en faciliter la lecture.