L’ « Apologie de Socrate » est un dialogue de Platon écrit en 399 avant Jésus Christ qui raconte le procès de Socrate dont l’issue fut sa condamnation à mort. C’est un des rares dialogues qui, par la nature du sujet traité, la défense et le plaidoyer d’un Socrate déjà à la fin de sa vie, est ancré dans un contexte historique. La mort de Socrate en est venue à symboliser la fin de la Démocratie Athénienne.
Le contexte politique de l’époque
Le contexte n’est pas rose. Le Cinquième siècle athénien commence comme le Le Siècle de Périclès avec Eschyle, avec les batailles de Marathon ou de Salamine telle qu’elles est décrite dans Les Perses, et se termine avec Euripide, les Sophistes, Socrate, le « taon » d’Athènes, et Aristophane, le pourfendeur de Socrate et d’Euripide. En – 404, la Guerre du Péloponnèse s’achève par une défaite catastrophique d’Athènes et la victoire de Sparte. Cette victoire conduit à la tyrannie et au régime des Trente. Puis à leur chute, mais à la continuation de la tyrannie. Comme après toutes les défaites et toutes les victoires, c’est l’épuration, et on cherche les responsables. Après les Sophistes, c’est Socrate que l’on accuse de pervertir la jeunesse. Son procès fut retentissant, sa condamnation fait encore valeur de symbole. Elle influença probablement les idéaux « technocratiques », aristocratiques ou élitistes, de Platon et sa méfiance vis-à-vis du gouvernement du peuple. Il faut dire que le procès de Socrate pourrait se lire dans le contexte de la perversion de la justice de l’époque, si bien rendu dans Les guêpes d’Aristophane. Il est fort probable d’ailleurs que notre régime démocratique actuel, fondé sur la conviction et la pratique que ce n’est pas le peuple ou la majorité qui savent mais bien les spécialistes des questions traitées (voir notre préface à Dieu et l’Etat) nous font dire que notre soi-disant démocratie est plus proche d’Athènes du procès de Socrate que d’une vraie représentation du peuple.
Résumé du dialogue
Socrate paraît devant le tribunal à Athènes à l’âge de soixante-dix ans. On l’accuse de corrompre la jeunesse, de ne pas reconnaître les Dieux de la Cité, de vouloir leur substituer des Dieux différents. Ou comme Socrate le rappelle lui-même : « Socrate est un homme dangereux qui, par une curiosité criminelle, veut pénétrer ce qui se passe dans le ciel et sous la terre, fait une bonne cause d’une mauvaise, et enseigne aux autres ces secrets pernicieux. » ou encore « Socrate, qui est une vraie peste pour les jeunes gens…qu’il recherche ce qui se passe dans le ciel et sous la terre ; qu’il ne croit point aux dieux, et qu’il rend bonnes les plus mauvaises causes ». Pendant toute la première partie du texte, Socrate se défend devant ses juges. Ce que Socrate explique, c’est que ces accusations viennent de ce qu’il s’est mis à dos nombre de personnages de la Cité, en ne leur reconnaissant pas leur sagesse, en ne voyant pas de justification à leur pouvoir : « Quand je l’eus quitté, je raisonnais ainsi en moi-même : je suis plus sage que cet homme. Il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux ; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir, quoiqu’il ne sache rien ; et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. » C’est une condamnation de son temps, donc une accusation de ses accusateurs à laquelle il se livre : « Ceux qu’on vantait le plus me satisfirent le moins, et ceux dont on n’avait aucune opinion, je les trouvai beaucoup plus près de la sagesse. »
Suite à son plaidoyer du début, il se lance dans une joute oratoire avec son principal accusateur, Mélitus, un de ces dialogues qui avaient l’art d’horripiler ses adversaires, parce que disons le tout net, en dépit du respect que nous avons pour le Socrate de Platon, Socrate était tout de même un peu un sophiste…Cette deuxième partie fonctionne un peu à vide, car l’impression qui se dégage pour le lecteur, c’est que, faute d’avoir convaincu ses accusateurs par son long monologue du début, Socrate faillit de nouveau dans son dialogue avec Mélitus. Il cherche comme toujours à prendre l’avantage, en semblant nier à l’adversaire qu’il puisse parfois, exceptionnellement, avoir raison, ce qui évidemment ne conduit pas à un dialogue bien productif…L’échange avec Mélitus n’a donc jamais vraiment lieu, et Socrate repart sur un long monologue jusqu’à la fin. Et c’est bien le problème de Socrate, il est plus convaincant quand il se défend, avec toute son arrogance, et un peu, admettons-le, son mépris de l’opinion des autres, mais pourtant il est sincère, nous le croyons sincère quand il prétend « ne pas savoir », quand il prétend dialoguer, écouter, nous croyons qu’il ne se rend pas compte de son didactisme et son dogmatisme. Voici ce Socrate : « Pour moi, c’est peut être en cela que je suis différent de la plupart des hommes ; et si j’osais me dire plus sage qu’un autre en quelque chose, c’est en ce que, ne sachant pas bien ce qui se passe après cette vie, je ne crois pas non plus le savoir ; mais ce que je sais bien, c’est qu’être injuste, et désobéir à ce qui est meilleur que soi, dieu ou homme, est contraire au devoir et à l’honneur. ».
Le plus beau moment de l’ « Apologie » est à venir, et c’est alors un Socrate plus vrai, plus supportable, le Socrate tel qu’il était vraiment, délivré du joug platonicien ? Difficile à dire, quand on lit Les nuées d’Aristophane, mais voyons plutôt : « car si vous me faites mourir, vous ne trouverez pas facilement un autre citoyen comme moi, qui semble avoir été attaché à cette ville… ». Pourtant, cela ne fonctionne pas, et il est condamné. Par une majorité de seulement trois voix (les procès se déroulaient en une journée à Athènes). Socrate a alors l’opportunité de choisir sa peine. Peut être ses accusateurs attendent-ils qu’il choisisse l’exil ? Mais ce n’est pas ce qu’il fait. Il rappelle qu’il a toujours suivi le chemin de la vertu, qu’il a toujours négligé les richesses, contrairement à ses contemporains. Puis les juges votent de nouveau et le condamnent à mort. Socrate se lance dans une dernière partie de son « Apologie », et dit : « j’aime beaucoup mieux mourir après m’être défendu comme je l’ai fait que de devoir la vie à une lâche apologie. »
La fin de l’Apologie : un pathos pré-chrétien ?
Tout le texte est une escalade passionnante dans la prise de conscience de Socrate. Il aura malheureusement fallu ces circonstances dramatiques pour qu’il perde sa morgue et se révèle dans toute son humanité, réprimée par cette sale manie de toujours prétendre avoir raison contre tout le monde. Car ne pas savoir, même contre ceux qui prétendent savoir, peut aussi devenir un dogmatisme si on n’y prend garde. Il ne suffit pas de dire que l’on ne sait pas, encore faut-il le croire. Les mots ne servent absolument à rien quand ils cessent de représenter ce qui est vraiment en nous. Donc, Socrate était un sophiste et un dogmatique, mais c’était un dogmatique avec de bonnes intentions, et surtout, comme la fin du texte le montre, un dogmatique qui n’est pas toujours sûr de son fait. Etape par étape, et on en compte probablement trois ou quatre dans le dialogue, Socrate évolue sous nos yeux : apologie du début, dialogue avec Mélitus, reprise du monologue avec un Socrate plus vrai et plus tendu, condamnation, Socrate plus passionné et presque épique, condamnation à mort, et enfin un Socrate apaisé, qui nous livre ses réflexions sur la mort : « Voici encore quelques raisons d’espérer que la mort est un bien. Il faut qu’elle soit de deux choses l’une, ou l’anéantissement absolu, et la destruction de toute conscience, ou, comme on le dit, un simple changement, le passage de l’âme d’un lieu dans un autre. ».
Et il continue : « Si la mort est la privation de tout sentiment, un sommeil sans aucun songe, quel merveilleux avantage n’est-ce pas que de mourir ? » Et il examine l’autre alternative : « Car enfin, si en arrivant aux enfers, échappés à ceux qui se prétendent ici-bas des juges, l’on y trouve les vrais juges, ceux qui passent pour rendre la justice, Minos, Rhadamante, Eaque, Triptolème et tous ces autres demi-dieux qui ont été justes pendant leur vie, le voyage serait-il donc si malheureux ? Combien ne donnerait-on pas pour s’entretenir avec Orphée, Musée, Hésiode, Homère ? Quant à moi, si cela est véritable, je veux mourir plusieurs fois. » Cette dernière partie est magnifique, et Les Editions de Londres ont un problème avec tous ces universitaires hellénistes ou philosophes qui faillissent à retrouver l’humain dans Socrate quand celui-ci apparaît, nous pensons qu’ils sont en partie responsables de cette image sûrement faussée qu’a laissé le maître de Platon, en trahissant son ambiguïté, en reniant son héritage pré-socratique, car finalement Socrate est peut être le premier héros tragique ? Et nous terminerons par cette phrase :« C’est pourquoi, mes juges, soyez pleins d’espérance dans la mort, et ne pensez qu’à cette vérité, qu’il n’y a aucun mal pour l’homme de bien, ni pendant sa vie ni après sa mort, et que les dieux ne l’abandonnent jamais… »
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