Le « Cahier de Douai », ou les « Cahiers de Douai », ou « Recueil Demeny », est un des plus célèbres recueils poétiques de Rimbaud, le seul qu’il ait jamais achevé. Les poèmes sont écrits entre Mars et Septembre 1870, une date charnière dans l’existence de Rimbaud, puisqu’il a déjà dix-sept ans, et que surtout on est au bord de la défaite française face à la Prusse, de la chute du Second Empire, et à quelques mois de la Commune. C’est une époque bien trouble. Troublé, à son oeuvre, Rimbaud ne donnera pas de titre.
Lire, c’est aussi parler avec les morts
Le premier des morts, c’est Rimbaud. Nous le lisons, il vit en nous, et les conceptions biologiques qui nous noyèrent dés l’enfance dans une morale occidentale de type binaire, ces conceptions sont renversées comme des pyramides dont on aurait terminé la construction par la base. Or, des morts, il y en partout dans l’œuvre de Rimbaud. Il y a ceux qui l’influencèrent, pour qu’il puisse ensuite les dépasser, Hugo, Baudelaire, puis ceux qu’il influença, René Char, Jim Morrison, Bob Marley. Puis il y a ceux qui traversent son époque comme Rimbaud traverse la leur : les morts de la guerre franco-prussienne, les morts de la Commune, et tous ceux qui périront au cours de la Première Guerre Mondiale.
Le dormeur du val et l’invention du cinéma
En bon visionnaire, extraverti introspectif explorateur…, Rimbaud invente t-il avec « Le dormeur du val » le plan rapproché, le travelling avant et le cinéma ? « Le dormeur du val », Les Editions de Londres s’en excusent, nous n’allons pas en faire un commentaire de texte. Ce n’est pas notre mission. Notre mission, ce serait plutôt de dé-commenter, de faire des anti-commentaires de texte, de faire sortir le texte des tentatives de récupération académiques qui sont l’apanage peu enviable de ceux qui ont rattrapé les morts au vol pour se les réapproprier et en offrir à la société une saveur assagie. Le commentateur de texte, c’est Dédale et son labyrinthe, nous, nous aimons les auteurs qui n’ont pas peur du soleil. Alors, nous essayons de leur offrir des ailes. Dans le cas du Dormeur du val, ce serait plutôt des lentilles. Si la composition du Dormeur est classique, un sonnet, c’est le premier poème que nous connaissons, qui, à l’instar de Malraux avec L’espoir, utilise des procédés cinématographiques pour raconter une histoire.
Rimbaud et les couleurs
Si la lecture est un exercice s’exerçant sur un support noir et blanc, si les éditeurs mesurent leur crédibilité à l’annihilation de toute image, de toute couleur, afin que le sérieux des idées, des carrés, des polices de caractères ne soit pas troublé par la jubilation des formes et des couleurs, Les Editions de Londres prétendent que les éditeurs traditionnels ont tout faux. Les couleurs définissent Rimbaud. Nous en reparlerons dans Poésies 1870-1871. Mais en attendant, voici les résultats d’une étude exclusive EDL : on relève cent cinq mentions de couleur dans le « Cahier de Douai », ce qui nous donne à peu près 5.2 couleurs par poème. Si Rimbaud était un tableau, ce serait un Kandinsky, un Gauguin, un Karl Schmidt Rottluff
Villon et Rimbaud
Enfin, pour revenir sur notre conversation avec les morts, nous ne jouerons pas aux historiens littéraires plus longtemps mais nous noterons la peu commentée influence de François Villon sur Rimbaud. Cela devrait pourtant être évident. La vie, la soif d’être, de dépasser le cadre social étouffant, la bohème, le crime, la prison, l’errance, le vol, les époques charnière dans lesquelles ils vivent, leurs disparitions, tout ceci nous prépare aux références perceptibles dans le « Cahier de Douai » : à la « Ballade des dames du temps jadis » dans « Soleil et chair », Je regrette les temps de la grande Cybèle, et surtout le « Bal des pendus », Au gibet noir, manchot aimable, Dansent, dansent les paladins. Nul doute que François aurait accompagné Arthur dans son expédition au Choa, nul doute qu’ils auraient fait de curieux compagnons de route.
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