« Critias » est un dialogue de Platon écrit vers 356 avant Jésus-Christ, et dont on a malheureusement perdu la fin, à moins que Platon ait volontairement décidé de mettre fin à son récit, parce qu’il sentait qu’il en disait trop ? Critias expose le mythe de l’Atlandide.
L’Atlandide selon Platon
C’est par Corto Maltese que nous avons appris l’existence de deux dialogues de Platon qui traitaient et qui en quelque sorte fondaient le mythe de l’Atlantide : le Timée, et le Critias, qui en constitue la suite, mais qui à la différence du Timée traite exclusivement de l’Atlantide. En lisant Platon après l’avoir téléchargé gratuitement sur Les Editions de Londres, on a l’opportunité d’accéder au texte fondateur du mythe, comme tout le monde. En cela, Les Editions de Londres sont vraiment démocratiques.
Que dit Platon ?
D’abord il faut rappeler le contexte, Platon s’attache dans ces deux dialogues à fonder une société idéale. Et vous le verrez, L’Atlandide ressemble un peu à Dubaï ou Singapour…
Il explique que le mythe lui vient "des vieux écrits des prêtres égyptiens que Solon nous a rapportés". "Il y a neuf mille ans" il y eut une guerre générale entre les peuples "qui sont en deçà et ceux qui sont au-delà des colonnes d’Hercule", c’est-à-dire le détroit de Gibraltar, qui signifiait la limite du monde connu, ou presque. Il décrit l’île comme "plus grande que l’Asie et l’Afrique", et précise même qu’"on ne rencontre plus qu’un limon qui arrête les navigateurs". Il explique que l’Atlandide échut à Poséidon, et qu’il plaça là les enfants qu’il eut d’une mortelle, Clito.
Il décrit ensuite la société idéale : "l’île produisait elle-même presque tout ce qui était nécessaire à la vie", typique de toutes les idéologies autarciques. On y trouve des animaux domestiques, des éléphants en grande quantité, et Platon décrit la faune, la flore, les multitudes de fruits, de racines, d’herbes, de plantes que l’île produisait, fruits ligneux, fruits à écorce. Par moments, on se croirait presque dans la nouvelle Cythère, décrite par Bougainville dans le Voyage autour du monde "Avec ces richesses que le sol leur prodiguait, les habitants construisaient des temples, des palais, des ports, des bassins pour les vaisseaux", les dits vaisseaux pouvant même naviguer "à couvert", en raison de tous les aménagements pratiqués par les habitants. "Ils revêtirent d’un mur de pierres le pourtour de l’île, les digues circulaires, et les deux côtés de la tranchée qui avait un arpent de largeur ; et ils établirent des tours et des portes à l’entrée des voûtes sous lesquelles on avait livré un passage à la mer"…
Il décrit ensuite les constructions dans le détail : "Sur ces digues qui formaient des îles, il y avait des temples consacrés à un grand nombre de dieux, des jardins, des gymnases dans l’une, des hippodromes dans l’autre". La description des installations maritimes montre qu’en cette époque de thalassocraties, même la mentalité autarcique d’un Platon ne saurait faire l’économie d’installations portuaires dernier cri. "Le canal et le grand port étaient couverts de navires et de marchands qui arrivaient de tous les pays du monde, et dont la foule produisait la nuit et le jour un mélange de tous les langages et un tumulte continuel." Il parle plus brièvement sur la fin des institutions politiques : on apprend qu’il existe dix provinces, chacune régie par un roi, que chaque roi "avait dans sa province un pouvoir absolu sur les hommes et sur la plupart des lois". On apprend aussi que la peine de mort existait, mais ça, on s’en serait douté. Le gouvernement général de l’île suivait les règles de Poséidon, la règle était "conservée dans la loi". L’assemblée dont on ne sait si elle est élue, mais on se doute que non, délibérait sur les affaires publiques.
A la fin, avant de terminer sa narration d’une façon aussi abrupte (vous verrez bien quand vous le lirez), il fait une référence au mythe des races d’Hésiode : "quand l’essence divine commença à s’altérer en eux pour s’être tant de fois alliée à la nature humaine, et que l’humanité prit le dessus, incapables de supporter leur prospérité, ils dégénèrent".
Le mythe de l’Atlandide
Ce qui semble clair, c’est que Platon ne nous fait pas un exposé d’archéologie ésotérique, pas plus qu’il ne prépare un scénario pour un prochain film de Spielberg. Non, ne nous trompons pas, ce n’est pas du Tintin, ni du Jules Verne, c’est bien la description d’une Cité idéale, une façon de dire, après avoir échoué plusieurs fois en Sicile, « Vous voyez bien, ça existe, ou alors, c’est possible ! ». Quant au mythe de l’Atlandide, on connaît la suite. Tout a été dit. D’abord, l’explication la plus communément acceptée, la fin de la civilisation minoenne, qui serait morte à la suite d’une énorme éruption volcanique, vers le Dix septième siècle avant Jésus Christ, que l’on pourrait même situer à Santorin, et qui correspondrait à peu près aux sept plaies d’Egypte (les sauterelles…) ?
Et puis tous les fantasmes se sont déchaînés. D’autres l’ont situé en Mer Noire. Les Phéniciens auraient fondé l’Atlandide en Amérique Latine, témoin la pedra da gavea à Rio, gigantesque sculpture sur laquelle on aurait retrouvé des inscriptions phéniciennes ; des trirèmes phéniciennes auraient navigué sur l’Amazone, écrira t-on il y a seulement un siècle. Les théories qui situent l’Atlandide sur l’altiplano, voire qui supposent des liens entre Incas et Atlantes, abondent, renforcées par les théories de Heyerdahl qui est convaincu que les polynésiens naviguèrent jusqu’en Amérique du Sud, et chercha à le prouver. On trouve même à proximité de l’altiplano des gisements d’un alliage d’or et de cuivre que l’on associe à l’orichalque, le métal de l’Atlandide. Puis il y a les théories relatives au royaume de Mû, reprises dans Corto Maltese, et l’association possible entre Mû et l’Atlandide, car toute variante de la légende de l’El Dorado peut être vue comme celle d’une présence Atlante. On parle aussi de l’Antarctique, et du Sahara, comme dans l’Atlandide de Pierre Benoît. De même Himmler y croyait dur comme fer, ou devrait-on dire, dur comme orichalque ?
Alors, l’Atlandide, où c’est ?
Les Editions de Londres vont maintenant vous le révéler. Nous voyons deux pistes. D’abord, la piste la plus vraisemblable est évidemment la piste minoenne, ie la Crète détruite par l’éruption volcanique de Santorin. Ce n’est pas loin d’Athènes, cela se produit une éternité avant Platon. Et puis ne sous-estimons pas le caractère millénariste d’une éruption d’une telle envergure ; elle pourrait être à l’origine d’une religion et d’un des mythes les plus tenaces de l’humanité. Seconde piste : les Phéniciens. Ils nous ont toujours intrigué. Ce sont eux qui passèrent le détroit de Gibraltar. De là, le cabotage en Afrique est évidemment possible, mais la traversée de l’Atlantique ne semble pas impossible non plus, alors s’ils avaient à voir avec le mythe des Atlantes ?
Enfin, le mythe de l’Atlandide, c’est avant tout le mythe occidental par excellence. Ce qui nous semble intéressant, c’est ce que le mythe atlante nous dit sur l’Occident, le mythe de la société parfaite, l’obsession du retour à un passé édénique, la nostalgie d’une civilisation perdue et idyllique. L’Atlandide, c’était la Crète, puis c’était Carthage, puis c’était Venise au Treizième siècle, et puis les Incas ou les Aztèques au Seizième siècle, toutes ces civilisations supérieures, arrogantes, sûres d’elles-mêmes et qui finissent par périr par manque d’échanges, par manque de métissage. Il n’est de civilisation durable qui ne change.
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