Biribi n’est pas mort.
Il s’agit des pénitenciers militaires.
C’est là que vont « payer » les condamnés des conseils de guerre.
Les Bataillons d’Afrique fournissent la majorité de cette clientèle. Le reste provient des corps de France, de l’armée du Rhin, de l’armée de Syrie, du régiment de Chine.
Désertion, bris d’armes, destruction d’effets militaires, vols, attentats sur des personnes, refus d’obéissance, outrages à des supérieurs pendant le service. Tels sont les crimes ou les délits.
Ces condamnés sont au moins trois mille cinq cents.
On les appelle les pègres, voire les pégriots.
Biribi a plusieurs maisons mères.
Au Maroc : Dar-Bel-Hamrit.
En Algérie : Bossuet, Orléansville, Douéra, Bougie, Aïn-Beïda.
En Tunisie : Téboursouk.
Les règles qui gouvernent ― ou plutôt devraient gouverner ― ces établissements forment le Livre 57.
Ce livre est l’œuvre du ministère de la Guerre.
C’est un bien joli livre
— Que peut-on élaborer de mieux ? me disait un général.
— Mon général, répondis-je, écoutez une courte histoire.
Il y avait une fois un shah de Perse dans une ville d’eau. L’illustre, le matin de son départ, fit appeler son chambellan : « Couvrez de backchiches (pourboires) toute la valetaille de ce palace. »
Les backchiches passèrent du chambellan au sous-chambellan, de là au premier majordome. J’en oublie, la chaîne étant bien longue. Quand les valets ouvrirent la main, ils virent que leur pourboire était presque tout bu. « Oh ! » firent-ils, le cœur lourd de désillusion.
Ainsi du livre 57. Il partit du ministère. Les généraux le reçurent tout neuf. Puis il arriva aux capitaines. Le capitaine le repassa à l’adjudant, l’adjudant au sergent. Dans le feu de toutes ces lectures, le petit bouquin perdit beaucoup de ses pages. C’est pourquoi le soldat disciplinaire tend encore la main… et le dos.
Le ministère de la Guerre est à Paris.
Les capitaines qui commandent les pénitenciers sont effectivement au Maroc, en Algérie, en Tunisie, mais ils résident à la portion centrale. Les détenus, eux, travaillent en détachement, très loin du ministère, loin du capitaine, en des endroits retirés du monde, et sous le seul commandement d’un adjudant ou d’un sergent-major.
C’est dans ce silence que le livre 57 perd ses droits.
— N’est-il pas des inspections ?
— Si fait.
Chaque année, un général visite ces lieux. Le général, ayant vérifié, documents en main, la vie du pénitencier, les choses se déroulent à peu près comme nous allons vous les dire :
— Maintenant, fait le général, si des détenus désirent me parler, qu’ils viennent.
Là-dessus, un lieutenant sort, va dans le camp, rassemble les hommes et, sous l’œil du cadre (adjudants et sergents), leur transmet la commission.
Toutes les bouches restent closes. (N’oubliez pas l’œil du cadre).
Alors, le lieutenant revient, joint les talons, salue, et dit :
— Aucun détenu ne demande à parler au général.
Le livre 57 est tenu en échec par des « chaouchs », qui font injure à la justice.
Nous venons présenter la défense de ce livre.
Le ministère de la Guerre ne nous en a pas chargé. On le comprendra aisément.
Au surplus, ce n’est pas d’une institution que vient le mal ; il vient de plus profond : de l’éternelle méchanceté de la race humaine.
A. L.