Libres et isolés sur la surface de la terre, las de s’y voir sans cesse dans un état de guerre continuel, fatigués d’une liberté que l’incertitude de la conserver rendait inutile, les hommes en sacrifièrent une partie pour jouir sûrement et en paix du reste. Pour former une société, il fallut des conditions, et voilà les premières lois. Toutes les portions de libertés sacrifiées ainsi au bien d’un chacun se réunissent pour composer la souveraineté d’une nation, dépôt précieux dont le souverain est le gardien et le dispensateur légitime. Mais ce n’était point assez d’avoir formé ce dépôt : tel est l’esprit despotique de chaque homme en particulier, que, toujours prêt à replonger les lois de la société dans leur ancien chaos, il cherche sans cesse à retirer de la masse commune, non seulement la portion de liberté qu’il y a déposée, mais encore à usurper celle des autres ; il fallait donc élever un rempart contre cette usurpation, il fallait des motifs sensibles et assez puissants pour réprimer cet esprit despotique. On les trouva dans les peines prononcées contre les infracteurs des lois. Je dis qu’il fallait des motifs sensibles, parce que l’expérience a prouvé combien la multitude était loin d’adopter des maximes stables de conduite. Il existe, dans l’univers physique et moral, une tendance continuelle à la dissolution. Son effort s’exerce également sur la société, et l’anéantirait bientôt, si l’on ne savait incessamment frapper les yeux du peuple par des objets sensibles et toujours présents à l’esprit, pour contrebalancer l’impression vive des passions particulières, dont l’essence est d’être opposée au bien général. Tout autre moyen serait inutile. Quand les passions sont excitées par les objets présents, l’éloquence, la déclamation et les plus sublimes vérités sont pour elles un frein qui ne les retient point ou qu’elles brisent bientôt.