On dit que La Boétie écrit le célèbre texte en 1549, à l’âge de dix huit ans. Je reprends, j’ai dit texte « célèbre ». Ce n’est pas vrai. Il l’a été, contre vents et marées. La désaffection vis-à-vis du Discours de la servitude volontaire nous semble être un reflet du désintérêt croissant pour les grands textes politiques. Pas étonnant avec le spectacle que donnent nos bateleurs de foire professionnels et ceux qui prétendent nous gouverner : le mot « politique » est parfois entaché d’ennui et de dégoût. Ce texte, je ne connais presque personne qui l’ait lu. Aux Editions de Londres, nous en proposons la version en français modernisé, parce que nous voulons que les gens le lisent, facilement, sans trébucher. C’est un petit texte. On ne se rend pas compte de la violence, de la lucidité d’un tel ouvrage, ni du courage (ou de l’inconscience) de celui qui l’écrivit vers 1548. Comme pour tout, il faut comprendre le contexte historique. L’Etat Français se constitue sous la férule de rois successifs. Des soulèvements ont lieu en 1542 puis en 1548 pour protester contre l’unification de la gabelle à travers le Royaume de France. Le soulèvement de Bordeaux (où vit La Boétie) est impitoyablement réprimé. C’est sûrement par révolte contre de tels agissements du pouvoir incontrôlé, injuste et violent, que le jeune La Boétie, apparemment un surdoué à son époque, écrit ce texte de philosophie politique, un modèle du genre, où au moyen d’exemples tirés de l’Antiquité classique, il démonte en moins de quarante pages tous les ressorts du Pouvoir et de la tyrannie qui lui est nécessairement associée. Il explique qu’à l’instar de la religion et des superstitions (on pourrait ajouter à notre époque le football, devenu récemment une affaire d’Etat, rien n’échappe aux gouvernants ; mais aussi la télé-réalité, le culte des stars et des puissants médiatiques…), c’est au moins autant l’habitude de la servitude que la peur du tyran qui pousse le peuple à accepter son oppression sans moufeter. Au bout du compte, les asservis ont presque toujours le nombre pour eux, ce qui explique aussi que l’Etat ait besoin d’instruments de coercition tels que le soi-disant monopole de la violence et la raison d’Etat. Le pouvoir absolu doit donc se protéger contre toute velléité de révolte de la part de ceux qu’il oppresse. C’est pour cela que le tyran ou le système tyranniques ont besoin d’alliés et d’institutions qui garantissent et pérennisent les dits instruments de l’oppression.
Pourquoi obéit-on ?
C’est finalement la question à laquelle La Boétie souhaite répondre. C’est à cause de la légitimité que le peuple octroie à l’Etat que le dit Etat use de violence vis-à-vis du peuple lorsque celui-ci ne fait pas ce qu’il a décidé. L’Etat de servitude volontaire, c’est finalement le fantasme du bourreau enfin réalisé : la victime qui le supplie de le punir si elle enfreint les règles iniques qu’on lui a imposé et qu’elle accepta sans broncher.
La Boétie nous apprend donc quelque chose de fondamental : il est confortable d’accepter la servitude en justifiant sa couardise par l’évocation de la violence. La servitude est très souvent volontaire, fruit de l’apathie, de l’égoïsme, de l’habitude d’être esclave.
Finalement, être, c’est probablement apprendre à dire non.
En cela, La Boétie peut être considéré comme l’un des pères de l’anarchisme politique.
Un des textes fondamentaux de notre culture, et de la culture mondiale. Lisez le Discours de la servitude volontaire absolument.
© 2011- Les Editions de Londres