Henry David Thoreau (1817-1862), né et mort à Concord, Massachusetts, est un écrivain et essayiste américain. S’il est surtout connu pour deux ouvrages, Walden et « La Désobéissance civile », Thoreau a été un homme prolifique, arpenteur, écrivain, botaniste, poète, naturaliste, il a laissé un journal de sept mille pages et des essais, articles, poésies, qui rempliraient des volumes et des volumes. Mais lorsque l’on parle de Thoreau, on parle aussi beaucoup de son influence : « La Désobéissance civile » sur Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, Léon Tolstoï, et Walden sur tous les naturalistes, amoureux de la nature, sceptiques de la société moderne, écologistes, promoteurs de la croissance zéro. Plus que jamais, Thoreau est incontournable.
Brève biographie
David Henry Thoreau naît à Concord le 12 Juillet 1817. Son grand-père paternel est d’origine française. Né à Saint Hélier, Jersey, il s’embarque pour les États-Unis en 1773 et participe à l’Indépendance. Quant à son grand-père maternel, il est d’origine écossaise (Dunbar), et est responsable de l’une des premières manifestations d’étudiants à Harvard.
Suite à des difficultés financières, les parents de David Henry s’installent d’abord à Chelmsford puis à Boston. En 1828, il étudie à l’école de Concord, et y apprend les humanités classiques, latin, grec, ainsi que des langues étrangères, français, allemand, italien et espagnol. En 1833, il est admis à Harvard où il étudie la Bible, les sciences, la philosophie…Puis il rencontre Emerson, et devient son « disciple ». Avec lui, il découvre le transcendantalisme, et maintenant diplômé d’Harvard, il rencontre toute une communauté littéraire qui finit par s’installer à Concord, dont Thoreau est originaire. Le Cercle littéraire de Concord, composé entre autres de Channing, Margaret Fuller, Amos Bronson Alcott, Jones Very, aura une influence majeure sur la genèse de la littérature américaine.
A Concord, Thoreau devient instituteur, démissionne très vite, lance une école privée à partir de chez lui, innove, puis il voyage, et va à la rencontre de la nature, rivières Concord et Merrimack, forêts du Maine…Il publie un essai sur le poète latin Flaccus, s’affranchit peu à peu du mouvement transcendantaliste et d’Emerson, ferme son école privée en 1841. Il part à New York, y découvre la vie littéraire, écrit, puis retourne à Concord qui lui manque, travaille dans la fabrique de crayons familiale.
En 1845, il se retire près du lac Walden où il vivra dans sa « cabane » pendant deux ans : il plante des pommes de terre, des haricots, il construit sa cabane en pin, il écrit. En 1846, Thoreau est sommé de payer ses six ans d’arriérés d’impôts. Il refuse, est arrêté, puis relâché au bout d’une nuit de cellule (sa tante a payé ses impôts pour lui). Cette aventure lui inspirera « La Désobéissance civile ». Fervent anti-esclavagiste, il s’engage à plusieurs reprises envers la cause des esclaves. Il visite le Mont Katahdin, dans le Maine, et finalement en 1847, il quitte Walden, écrit des essais, fait des conférences, cherche un éditeur pour « Une Semaine sur les rivières Concord et Merrimack », écrit en hommage à son frère John, mort il y a quelques années, et avec lequel il avait fondé son école privée, mais n’en trouve pas, et sur le conseil d’Emerson, il publie à compte d’auteur, et perd de l’argent. En 1849, il fait une excursion au Cap Cod, puis il part au Québec avec Channing, il proteste à nouveau contre les lois esclavagistes, aide, paraît-il, des esclaves noirs à se réfugier au Canada, découvre « Le voyage du Beagle » de Charles Darwin, et travaille à une nième version de son manuscrit, Walden, qui sera finalement publié avec un certain succès en 1854.
Depuis longtemps passionné par la culture orientale, par le bouddhisme et l’hindouisme, mais aussi la culture des Indiens d’Amérique, il fait des traductions de certains des grands textes védiques, tels que le Bhagavad Gitâ. Il voyage toujours, rencontre Walt Whitman, l’abolitionniste John Brown, qu’il défendra par la suite. Très affaibli par la maladie, il consacre les dernières années de sa vie à revoir ses manuscrits en vue de publications posthumes, et voyage dès qu’il le peut. Il meurt à l’âge de quarante quatre ans.
Les influences et l’héritage
Thoreau est un écrivain aux facettes multiples. Sans nul doute influencé par les humanités classiques, grecques, latin, cyniques, stoïciennes, il reste un Américain de la première moitié du XIXe siècle et à ce titre fort marqué par le puritanisme, reproche qui lui sera fait notamment par Robert Louis Stevenson. Au vu de sa vision du monde, refusant de séparer l’homme, la société et la nature, il est tout naturel que Thoreau ait aussi été passionné par la philosophie orientale, le bouddhisme et l’hindouisme, la culture et les croyances des Indiens d’Amérique. Alors, qu’est-ce que Thoreau ? Fondamentalement, dans Thoreau, il y a aussi cette idée que la vie est ailleurs. Thoreau n’est pas un pessimiste ni un idéaliste, et encore moins un pourfendeur des tares de son temps. Ce n’est pas un anarchiste et encore moins un écologiste bien-pensant, féru de valeurs morales, qu’il serait prêt à imposer à l’ensemble de ses concitoyens…pour leur bien, spécimen qui pousse à notre époque comme le chiendent. Non, Thoreau, comme l’expliquent beaucoup mieux Didier Bazy et Michel Granger, c’est un homme qui refuse la sur-structuration sociale, cette fuite en avant de la morale étouffante, cet étranglement de l’être par les codes moraux, les codes civils, la pléthore de lois et de règlements qui n’en finissent plus de se substituer à la relation simple et humaine de l’homme libre avec son entourage, avec ses proches, avec les autres, avec la nature, c’est l’homme qui depuis bien longtemps a jeté son code de la route sociale dans le fossé, et s’en va tranquillement sur les chemins couverts de mousse, sans s’interroger sur sa place au monde. Il est, tout simplement, curieux, en symbiose avec l’extérieur, il accepte le cours tranquille de l’existence, mais il ne se pliera pas, ni à l’absurde des règles froides d’un Etat, d’une administration, d’une institution, il ne cherchera pas à laisser sa marque à tout prix, à trouver sa place, ni à être ce que l’on attend de lui. Il est ce spécimen rare, il est l’homme libre, qui n’intellectualise pas les conditions de sa liberté, mais la vit, sans regrets, sans amertume, sans remords. Et c’est ainsi qu’il meurt aussi.
Alors, Diogène américain, apôtre de la désobéissance civile, certainement, mais n’oublions jamais qu’à la différence de ceux qu’il influença, Mandela, Gandhi, Martin Luther King, au passage parmi les figures les plus christiques de notre monde contemporain, avec l’exception de Tolstoï, Thoreau ne chercha pas à pousser jusqu’au bout les causes qu’il défendait (ceci sans omettre son engagement régulier pour la cause des esclaves par exemple), mais avant tout il fallait qu’on le laisse tranquille. Et puis, n’oublions pas que Thoreau était américain, et qu’il restera inscrit dans un certain âge d’or américain, qui dans l’inconscient européen trouve toujours une certaine association avec la nature. L’Amérique de l’époque, c’est un continent immense, seulement habité par quelques millions d’individus, concentrés autour de rares grandes villes. C’est le monde de Thoreau. Alors, ne cherchons pas à le comprendre par de grands concepts politiques, car finalement, comme le dit Didier Bazy, tout est simple. Pour comprendre Thoreau, allons à Concord, promenons-nous autour du lac Walden, grimpons sur le mont Katahdin, et réjouissons-nous.
© 2012 - Les Editions de Londres