Michel Eyquem de Montaigne (né en 1533 et mort en 1592 à Saint-Michel-de-Montaigne en Dordogne) est un écrivain et philosophe Français du Seizième siècle. Montaigne est le célèbre auteur des Essais, c’est aussi un homme de la Renaissance. C’est en lisant Montaigne que l’on réalise à quel point il est à la fois très moderne, moraliste réfléchi, stoïcien, et à la fois homme de la Renaissance. Les Essais est un des textes fondateurs de la pensée occidentale.
Biographie de Montaigne
Michel de Montaigne est né le 28 février 1533. La famille Eyquem était une famille de marchands de Bordeaux. C’est son arrière-grand-père qui fait l’acquisition de la seigneurie de Montaigne. Son père, Pierre Eyquem, est le premier à embrasser la carrière des armes. Il s’illustre pendant les guerres d’Italie au début du Seizième siècle. C’est en 1519 qu’il est fait seigneur de Montaigne. La famille Eyquem, avec son domaine, son passage par les armes, devient noble. En 1529, Pierre Eyquem épouse Antoinette de Loupes de Villeneuve, issue d’une famille d’origine espagnole, eux-mêmes probablement à l’origine des juifs convertis. De leur union naîtra Michel, l’aîné de sept frères et sœurs. Si Michel de Montaigne éprouve une certaine admiration pour son père, il parle très peu de sa mère, et d’ailleurs montre assez peu d’égards pour les femmes dans Les Essais.
Pierre Eyquem confie son fils Michel à une nourrice dans un petit village de ses possessions. Puis de retour au château, il l’élève selon des principes humanistes, en cela influencé par Erasme, et le confie à un médecin allemand qui ne lui parle qu’en latin, à l’époque parfaitement maîtrisé par toute l’élite européenne. Même ses parents ne doivent parler qu’en latin devant lui. Le latin devient sa langue maternelle. Montaigne le maîtrise donc à la perfection, et n’apprendra le Français que beaucoup plus tard. Puis dès l’âge de sept ans, Montaigne est envoyé au collège de Guyenne à Bordeaux, le meilleur collège de France à l’époque, où il apprend la Grammaire et la Rhétorique. Après la douceur de l’éducation libre du château, il apprend la dure discipline et le fouet. S’il y fait des études apparemment brillantes, toujours centrées autour du latin, littérature, philosophie, théâtre, lecture des grands auteurs latins, Ovide, Virgile, Térence, Plaute, il souffre beaucoup de ces méthodes et de cet excès de discipline. Cette expérience influencera beaucoup ses conceptions éducatives. Après le collège de Guyenne, ses biographes ne sont plus très clairs, disons qu’ils perdent un peu sa trace, mais on suppose qu’il fit son Droit, probablement à l’Université de Toulouse.
En 1556, il est magistrat à la cour des Aides de Périgueux. En 1557, il est magistrat au Parlement de Bordeaux. A l’époque, le rôle du Parlement, outre de rendre la justice, est d’enregistrer les édits et ordonnances du roi, et aussi de collaborer avec le Gouverneur de la ville nommé par le roi, chargé de maintenir l’ordre public. Montaigne sera chargé de plusieurs missions à Paris, à la cour du roi, mais il ne souhaitera pas y faire carrière. C’est tout juste bon pour les courtisans, pourrait-on dire à sa place. L’époque à laquelle il vit n’est pas de tout repos. A partir de 1562, et ce pendant les trente années qui suivirent, cette « Renaissance » est surtout marquée en France par l’une des principales guerres civiles, les guerres de Religion, dont le point d’orgue est la tristement célèbre Saint-Barthélemy en 1572. Nous croyons qu’il est dur d’appréhender Les Essais sans comprendre les horreurs auxquelles son auteur a du assister. Et c’est peut être ça, Les Essais, la sublimation par l’écrit, le deuil de celui qui a vu l’étendue de l’horreur et de la bêtise humaine. Plutôt que de décrire son époque troublée, il a profité en tirer des leçons d’existence, à la manière de Marc-Aurèle ?
En 1559, il rencontre La Boétie. Ce que l’on oublie souvent, c’est que d’abord La Boétie est l’aîné de Montaigne de trois ans, mais aussi qu’il avait déjà écrit le Discours de la servitude volontaire quand Montaigne sortait tout juste du collège de Guyenne. Il est possible que cette amitié, qui ne dura que quatre ans, fut toute sa vie idéalisée par Montaigne, qui intégra les Sonnets de La Boétie dans le Tome un des Essais, et voulut, mais renonça à inclure le Discours de la servitude volontaire qu’il condamna même mollement, de façon sûrement à se protéger des censeurs et des répressions politiques, puisque le Contr’Un était à l’époque présenté par les Protestants comme un pamphlet contre le roi, ce qui explique sa censure et son interdiction pendant des années, voire des siècles. On dit aussi que La Boétie communiqua à Montaigne son enthousiasme pour le Stoïcisme. Si La Boétie a existé et si ce qu’en dit Montaigne est vrai (certains prétendent que La Boétie est un pseudonyme de Montaigne lui permettant d’éviter la censure pour certains écrits comme le Discours de la servitude volontaire), alors le mécanisme psychologique nous semble clair. La Boétie, c’est cet aîné, celui qu’on admire, plus mûr, déjà écrivain, c’est aussi celui dont le génie s’éteint trop vite, frappé injustement par la mort. Il est fort possible que Montaigne ait tout à fait idéalisé la personnalité de La Boétie, qu’il l’ait considéré comme un frère, qu’il l’ait aimé comme on aime un frère, et que Les Essais soit en partie un hommage, l’hommage envers un autre lui-même, sorte d’obligation morale à la mémoire de son ami, auquel selon lui il doit tout, et dont il est le légataire (voir l’intégration des Sonnets et la volonté d’intégrer le Discours).
A partir de 1563, Montaigne connaîtra de nombreuses aventures amoureuses, dont il semble qu’il ne retienne que l’aspect physique, puis il se marie avec Françoise de la Chassaigne, mariage de raison, qui ne semble pas donner prise à l’amour. Mais à l’époque de Montaigne, le mariage, c’était tout sauf de l’amour. Il parler d’ailleurs du sexe assez librement dans (Les Essais, plutôt surprenant pour l’époque.
En 1568, Montaigne perd son père. Celui-ci lui avait demandé de traduire en français l’ouvrage d’un théologien catalan, Raymond Sebond, appelé Le livre des créatures. Montaigne se mettra à la tâche mais ne parviendra pas à finir avant la mort de son père. Il achèvera la traduction en 1569. On comprend aussi qu’au même moment, sa charge de magistrat au Parlement de Bordeaux commençait à lui peser beaucoup. D’ailleurs, Les Essais sont émaillés de commentaires critiques sur la justice, ses disfonctionnements, et sa cruauté. Ainsi, ayant perdu son ami intime, ayant perdu son père, s’ennuyant dans son mariage, goûtant en même temps au travail littéraire (la traduction, l’influence de La Boétie), puis héritant de son père une petite fortune, et enfin se voyant refuser une promotion à la Grand’Chambre du Parlement de Bordeaux, Montaigne résigne sa charge en 1570, et se retire en ses terres de Montaigne. Le 28 Février 1571, il a trente-huit ans, il fait peindre une inscription dans sa bibliothèque. Une nouvelle vie commence.
Pourtant, entre 1571 et 1580, Montaigne ne mène pas une vie d’ermite. S’il reste sur sa terre de Montaigne, il aime à rencontrer le monde, à faire du cheval sur son domaine, mais il a aussi le loisir de s’enfermer dans sa bibliothèque, pour lire, rêver, méditer et écrire. C’est au cours de ces dix années qu’il commence la rédaction des Essais dont il publiera la première édition des deux premiers livres en 1580. Pourtant, à partir de 1578, il souffre de la maladie de la pierre, par moments extrêmement douloureuse, et qui ne le quittera pas jusqu’à sa mort. Autre aspect totalement erroné du mythe du moine enfermé dans sa bibliothèque, Montaigne participe aussi aux guerres de religion à la demande du roi, il est négociateur dans des situations politiques, entre le roi de France et le roi de Navarre. Toute une partie de sa vie militaire et diplomatique n’est jamais abordée de front, mais ne nous parvient qu’au travers des Essais, par l’étendue de ses connaissances militaires et diplomatiques.
A la suite de la publication des Essais, Montaigne entreprend un long voyage. D’abord, il veut soigner sa maladie, et croit dans les vertus des eaux thermales, et puis il est probablement las de ses dix années de quasi-retraite, et rappelons-le encore une fois, les guerres de religion font rage. En dix-sept mois, de 1580 à 1581, il traverse l’Est de la France, l’Allemagne, la Suisse, arrive en Italie, et est à Lucques quand il apprend qu’il est élu à la mairie de Bordeaux. De ce voyage il a laissé un journal de notes, qui ne furent publiées qu’au Dix Huitième siècle.
Il revient à Bordeaux, dont il a été élu maire in absentia, et dans un premier temps refuse la charge, mais finit par accepter devant l’insistance du roi. Il sera même réélu en 1583, privilège assez rare. Il faut dire que la période se prête peu à une vie politique paisible : les guerres de religion, sans lesquelles au passage on ne saurait comprendre la France moderne, la France actuelle, font rage, les partis politiques sont très divisés au Parlement de Bordeaux, entre la Ligue, les catholiques ultras, les modérés, la situation entre les Protestants et les Catholiques en général, et de plus l’arbitrage délicat qu’il doit réaliser entre les intérêts du roi de France et ceux d’Henri de Navarre, gouverneur de la province. Peu avant la fin de son second mandat, Montaigne part de Bordeaux pour fuir la peste et ne sera pas présent lors de l’inauguration de son successeur. Plusieurs siècles plus tard, on lui reprochera beaucoup cet abandon de sa charge.
De retour dans son château de Montaigne, il se consacre de nouveau au repos, à la lecture, à l’écriture. Il compose treize nouveaux chapitres de ses Essais qui feront son livre Trois, mais surtout, il réécrit, corrige, parsème son œuvre d’additions. Alors qu’il écrit, c’est la guerre en dehors de ses murs. A seulement huit kilomètres de Montaigne, l’armée royale fait le siège de Castillon. On lui demande de prendre parti pour les uns et pour les autres, ce qu’il refuse à de nombreuses reprises, et ce qui lui vaut les inimitiés de tous. En 1588, il part à Paris pour faire imprimer la nouvelle édition enrichie et corrigée des Essais. Il est arrêté et emprisonné par les Ligueurs, puis aussitôt relâché sur ordre de la reine mère. Il y fait aussi connaissance de celle qui deviendra sa fille par alliance. Puis il va à Blois assister aux Etats Généraux. Il rentre enfin à Montaigne où il se remet à travailler sur une nouvelle édition des Essais, mais il mourra avant de l’achever, en 1592.
Qui était Montaigne ?
Personnage complexe, sans aucun doute. Montaigne souffre probablement du manque d’amour de ses parents ; nous expliquons son dédain pour les femmes par l’hostilité qu’il devait éprouver vis-à-vis de sa mère. On ne sent pas plus d’affection pour sa femme, ni même pour ses enfants, mais il en perdit cinq en bas âge. Son seul vrai amour, c’est évidemment celui qu’il éprouva pour La Boétie et dont la courte durée, nous le croyons, fut l’autre grande influence de sa vie. Loin de l’image de sage français qu’il véhicule à notre époque, image finalement à la fois un peu désuète (la photographie d’investiture de François Mitterrand le voit en train de lire les Essais), et aussi assez politiquement correcte (provincial, bon fonctionnaire, modéré, ami fidèle, peu religieux, considéré…), Montaigne est un homme complexe qui dit ouvrir la porte de son jardin secret, « Je n’ai d’autre projet que de me peindre moi-même. », mais ne fait au début que l’entrebâiller. Il hésite. Ou plutôt il décide de s’ouvrir en chemin. Mais cette ouverture reste conditionnée par le sens de ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Au début, ce n’est pas une peinture, ce n’est pas un voyage au cœur de lui-même, c’est une prise de recul par rapport aux réalités établies de son époque, qui se transformera pas à pas en introspection.
Montaigne ne veut pas se livrer entièrement, il veut livrer les contradictions de son époque en pâture à l’honnête homme, et pour la postérité. Ceci, c’est probablement le projet initial. Et puis, au fur et à mesure qu’il écrit, ce projet initial se transforme, évolue, et le vrai Montaigne apparaît, enfin libéré des contraintes sociales, artistiques, il va nous parler. Les Essais auront ainsi été l’instrument de la transformation d’un auteur assujetti à l’âge classique gréco-romain en un humaniste classique, qui échappe à toutes les contraintes, et nous semble soudain si proche. En cela, Montaigne est unique, il invente un style original, il utilise une langue simple et compréhensible de tous. Si dans les Essais, la volonté de laisser un témoignage sur le monde l’emporte au début sur la spontanéité et donc la fraîcheur du propos, les Essais, incarnation littéraire de Montaigne, est un texte absolument unique.
Montaigne le philosophe
Montaigne était tout d’abord influencé par les Stoïciens. En cela, on doit considérer que son éducation latine évidemment, Sénèque, lequel lui aussi vivait à une époque impossible, joua son rôle, mais aussi l’influence de La Boétie. Qu’est-ce que le Stoïcisme ? Pour faire court, la meilleure façon de l’appréhender, c’est de l’imaginer comme une sorte de Bouddhisme laïque à l’occidentale ; plus sérieusement, le Stoïcisme, c’est avant tout le déni des passions, et la volonté de vivre tranquillement, en harmonie avec son monde et avec la nature. Et de prime abord, Les Essais apparaît comme un ouvrage stoïcien, surtout le Livre un. Et son modèle est Sénèque, dont on comprendra assez bien le stoïcisme lorsque l’on considère l’époque à laquelle il vécut, Caligula et Néron…
Avec l’âge, la pensée de Montaigne s’oriente vers l’Epicurisme. L’Epicurisme, c’est un peu un stoïcisme relâché et désabusé, moins un système explicatif du monde et une velléité de vivre selon un système en harmonie avec le monde, que la volonté d’en profiter, tant qu’il en est encore temps, mais sans faire de vagues. Si le Stoïcisme est la post rationalisation d’une époque cruelle ou trouble, l’Epicurisme, c’est le Stoïcisme passé par la moulinette de la maladie incurable.
Mais ce que nous retiendrons de Montaigne sans hésiter, c’est le Scepticisme. Oui, c’est bien ça, Montaigne, c’est un sceptique. Ainsi, on explique les multiples contradictions de sa vie, son indépendance d’esprit, son refus des charges trop lourdes, son courage d’assumer certains de ses choix, la revendication qu’il a de protéger sa vie (voire son comportement pendant la peste de Bordeaux à la fin de son deuxième mandat), et son mépris, son dédain absolu, pour tous les idéologues, les donneurs de leçons. Montaigne aurait eu autant en horreur les donneurs de leçons de notre époque que ceux qui écumaient pendant la sienne, mais il en aurait certainement apprécié la violence physique contrôlée, différence majeure qui nous sépare de la Renaissance.
La Renaissance et l’âge moderne
Avant tout, Montaigne vit à une époque différente. Oublions la Renaissance telle qu’on l’enseigne à l’école, c’est une post-rationalisation de l’ère moderne. L’époque de Montaigne, oui, c’est le retour de l’éducation par l’apprentissage des lettres classiques, les Grecs et les Latins, c’est une explosion artistique, une certaine croissance économique, c’est l’invention et les débuts de la diffusion de l’imprimerie, que n’oublions pas, le bien aimé François Ier (oui, celui des châteaux de la Loire, l’ami et protecteur de Léonard de Vinci) tente d’arrêter, pour éviter la diffusion des idées protestantes, à peu près comme à notre époque nos politiques visionnaires ont cherché pendant des années à freiner l’Internet afin de ralentir la progression des mauvaises influences en provenance des Etats-Unis. Mais l’époque de Montaigne, c’est aussi d’épouvantables guerres de religion, une des trois grandes époques de guerres civiles qui frappèrent la France, avec la Révolution (bleus et chouans), et l’Occupation (la France est coupée en deux, et une partie de la France dénonce, moleste, vend l’autre à l’occupant qui l’envoie dans des camps), ce sont des massacres iniques qui choquent l’entendement humain, c’est l’imposition du Français comme langue officielle en 1539, ce sont des rivalités politiques et des divisions sans nom, c’est toujours la même exploitation des faibles par les forts, ce sont épidémies de pestes, maladies, une mortalité infantile toujours aussi radicale ; alors, comment peut-on juger l’homme, les écrits, sans reconnaître l’influence d’une époque sur la sensibilité humaine ?
C’est en lisant Montaigne que l’on comprend que la Renaissance n’est pas une période historique, mais une étape historique, un immense point de rupture entre le haut Moyen-Âge et l’âge Classique. De même que notre époque ne saurait être appréhendée comme un tout cohérent, mais pour ce qu’elle est, une immense période de rupture. Et si le rôle de Montaigne, qui lui aussi vécut dans un monde incohérent, incertain, en proie à tous les doutes, si son rôle, c’était aussi de nous aider à comprendre notre époque ?
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Essais Livre 1 -
Traduit en français moderne par
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