Le garçon et l’aveugle

Un aveugle en haillons marche à tâtons en grimaçant, Un garçon tourne autour de lui plein de vie.

L’AVEUGLE

 (L’aveugle mendie)

Soyez généreux, mes seigneurs barons,
Que Jésus, le fils de Marie
Vous reçoive tous dans sa maison
Et en sa compagnie !
Vous voir, je ne le puis ;
À ma place, vous voit Jésus Christ,
Et tous ceux qui m’auront aidé
Se retrouveront au paradis

Ah ! mère de Dieu, sainte Marie
Souveraine, quelle heure est-il ?
Je n’entends rien ; serais-je si vil
Qu’il n’y a même pas un garçon
Qui me ramène à la maison :
Car, même s'il ne sait pas bien chanter,
Il saura bien du pain demander
Et me mener dans les grands hôtels.

LE GARÇON

 (À part)

Hélas ! comme je suis misérable !

(Il aperçoit l'aveugle)

Je n’ai plus besoin de rien.

(À l’aveugle)

Sire, vous n'allez vraiment pas bien :
Vous allez tomber dans ce cellier.

L’AVEUGLE

Ah ! mère de Dieu, il faut que vous m’aidiez !
Qui est-ce qui me mettra sur le bon chemin ?

LE GARÇON

Mon bon homme, que Jésus me donne sa joie,
Je ne suis qu’un pauvre diable.

L’AVEUGLE

Mon Dieu, je crois qu'il doit être très brave.
Qu’il vienne plus près ! à lui je veux parler.

LE GARÇON

Me voici.

L’AVEUGLE

Veux-tu te louer ?

LE GARÇON

Sire, pour quoi serait-ce faire ?

L’AVEUGLE

Pour me promener sans mal faire
À travers la cité de Tournai :
Tu feras la quête, je chanterai ;
Nous aurons assez d’argent et de pain.

LE GARÇON

Hé ! par la panse de saint Guillain,
Vous me croyez alors bien manant ;
Mais je vous dis bien franchement
Que pour un petit écu chaque jour
Toujours j’irai avec vous,
Et n’y manquerai pour nulle cause.

L’AVEUGLE

Beau doux ami, ne te fâche pas !
Comment t'appelles-tu ?

FIN DE L’EXTRAIT

img004.jpg

LE JEU DE LA FEUILLÉE

Adam de la Halle
1276
Traduction par Ernest Langlois en 1923