PATHELIN
Par Sainte Marie ! Quelque peine, Guillemette, que je prenne à grappiller et à glaner les affaires, nous ne pouvons rien amasser : j’ai pourtant vu un temps où j’avocassais.
GUILLEMETTE
Par Notre-Dame, comme on chante en avocasserie, c’est mon avis. On ne vous tient plus du tout pour habile comme on faisait. J’ai vu le temps que chacun voulait vous avoir pour gagner son procès ; maintenant on vous appelle partout : avocat sous l’orme.
PATHELIN
Pourtant, et je ne le dis pas pour me vanter, il n’y a pas, dans tout notre barreau, d’homme plus habile, excepté le maire.
GUILLEMETTE
C’est qu’il a lu le grimoire et longtemps étudié comme clerc.
PATHELIN
Voyez-vous une cause que je ne gagne, si je veux m’y mettre ? Cependant je n’ai jamais appris les lettres qu’un peu ; mais j’ose me vanter que je sais chanter au lutrin avec notre curé comme si j’avais passé à l’école autant d’années que Charles en Espagne.
GUILLEMETTE
Qu’est-ce que ça nous rapporte ? Rien du tout. Nous mourons de faim ; nos robes ne sont plus qu’étamine râpée, et nous ne savons comment nous pourrions nous en procurer. Que nous vaut votre science ?
PATHELIN
Taisez-vous. Par ma conscience, si je veux essayer mon esprit, je saurai bien où en trouver, des robes et des chaperons ! S’il plaît à Dieu, nous nous tirerons d’affaire et nous sommes remis d’aplomb sur l’heure. Bah ! Dieu travaille en peu de temps ; et s’il faut que je m’applique à montrer mon adresse, on ne trouvera pas mon égal.
GUILLEMETTE
Par Saint Jacques, non, pour tromper. Vous y êtes passé maitre.
PATHELIN
Par le Dieu qui fit naitre, vous voulez dire pour plaider loyalement.
GUILLEMETTE
Maitre en tromperie, par ma foi ; mon opinion est la bonne puisque, sans être grand clerc à vrai dire, vous êtes tenu pour l’une des meilleures têtes qui soient dans toute la paroisse.
PATHELIN
Il n’y a personne qui ait si haute connaissance du métier d’avocat.
GUILLEMETTE
Non, par Dieu, mais de celui de trompeur. Du moins en avez-vous la réputation.
PATHELIN
Elle est à ceux qui vêtus de camelot et de camocas se prétendent avocats et ne le sont pas. Laissons là ce badinage. Je veux aller à la foire.
GUILLEMETTE
A la foire ?
PATHELIN
Oui, par Saint Jean ! A la foire, gentille marchande ; vous déplait-il que je marchande du drap ou quelque autre objet qui soit bon pour notre ménage ? Nous n’avons pas une robe qui vaille.
GUILLEMETTE
Vous n’avez denier ni maille : qu’y ferez-vous ?
PATHELIN
Vous ne le savez pas ? Belle dame, si vous n’avez du drap largement pour nous deux, alors reniez moi hardiment. Quelle couleur vous semble plus belle ? Un gris vert/ La brunette ? où une autre ? Il me le faut savoir.
GUILLEMETTE
Telle que vous pourrez l’avoir. Qui emprunte ne choisit pas.
PATHELIN
en comptant sur ses doigts.
Pour vous, deux aunes et demie, et pour moi, trois, voire bien quatre, ce sont…
GUILLEMETTE
Vous comptez largement. Qui diable vous les prêtera ?
PATHELIN
Que vous importe qui ce sera ? On me les prêtera, je vous jure, a rendre au jour du Jugement : car ce ne sera pas plutôt.
GUILLEMETTE
Si c’est ainsi, mon ami, avant que vous l’ayez, quelque sort en sera couvert.
PATHELIN
Je l’achèterai ou gris ou vert, et pour un blanchet, Guillemette, il me faut trois quartiers de brunette ou une aune.
GUILLEMETTE
Que Dieu m’aide ! Vraiment ? Allez, n’oubliez pas de boire, si vous trouvez Martin Garant.
PATHELIN
Gardez la maison.
(Il sort)
GUILLEMETTE
He ! Dieu ! Quel acheteur ! Plut à Dieu qu’il n’y vit goutte !
PATHELIN
devant la boutique
N’est-ce pas là ? Je me le demande. Mais si, par sainte Marie ! Il se mêle de draperie.
(Il entre)
Dieu soit avec vous !
GUILLAUME JOCEAULME, drapier
Et Dieu vous donne joie !
PATHELIN
Pardieu, j’avais grand désir de vous voir ! Comment se porte la santé ? Allez-vous bien, Guillaume ?
LE DRAPIER
Oui, par Dieu !
PATHELIN
Ça ! La main ! Comment va ?
FIN DE L’EXTRAIT