La farce que nous publions ici se trouve dans un unique exemplaire conservé à la Bibliothèque de Dresde. Il appartenait, au dix-huitième siècle, à un riche bibliophile, l'auditeur des Comptes Barré. Le duc de Lavallière l'a connu et décrit dans sa Bibliothèque du Théâtre français, ainsi que la Moralité de Mundus Caro, Démonia, jointe à la farce. A la mort de Barré, en 1743, le catalogue de la bibliothèque de cet amateur fut dressé par G. Martin, et la plaquette rarissime contenant la farce fut inscrite sous le numéro 3808. C'est alors que la Bibliothèque de Dresde en fit l'acquisition.
Mais avant de passer en Allemagne, la farce avait été transcrite en 1613, et publiée à Rouen par Nicolas Roussel dans son Recueil de plusieurs farces tant anciennes que modernes. Les frères Parfaict, dans leur Histoire du Théâtre français (tome II. pages 130-147), avaient eux aussi publié le texte, d'après l'exemplaire appartenant à Barré, avant 1743. Enfin, dans le recueil de Caron, qui reproduit celui de Roussel, on retrouve la farce qui nous occupe. Mais nous devons nous expliquer sur te titre que nous lui avons donné, car elle est intitulée dans ces recueils : Farce des deux savetiers.
Si l’on songe que beaucoup de farces n'ont pas à proprement parler de titre, comme les personnages n'ont pas de nom ; Farce d'une femme qui... Farce d'un pardonneur, d'un Triacteur, etc…, Farce à trois personnages c'est à savoir..., Farce à quatre personnages, etc…, on comprendra qu'il n'y a pas lieu de se gêner pour modifier ou rectifier les titres que l’on a pu donner à certaines. C'est le cas pour la farce intitulée à tort Farce des deux savetiers. Il suffit de la lire pour comprendre qu'un seul des deux personnages est savetier, puisque lorsque le riche s'étonne d'entendre son voisin chanter si joyeusement, l'autre, c'est-à-dire celui qui est occupé à son travail, lui demande s'il a besoin de lui. La vérité, c'est que les personnages sont appelés simplement le riche et le pauvre, et l'on apprend que le pauvre est savetier, parce qu'il le dit dans le texte original :
Ah ! par saint Jean, je ferai rage
Et ne serai plus savetier.
Mais rien dans le langage du riche ne permet de lui attribuer le métier de gagne-petit.
Faire de ce riche un financier, pour le rapprocher du personnage de La Fontaine, on nous le pardonnera, car notre riche est en effet bien digne d’être l'ancêtre du financier de la fable. Il est jaloux de la gaieté du pauvre, il fait naître chez lui le désir de s'enrichir, il lui jette une bourse pleine d'argent... Et st la fable ensuite tourne autrement que la farce, c'est que La Fontaine a dû connaître, outre la farce, le conte de Bonaventure Despériers, le Savetier Blondean, où nous voyons le pauvre devenu inquiet après avoir trouvé un pot de quinquaille, mais dans le conte, il n'est pas question d'un riche jaloux des chansons du savetier.
Rien ne nous empêche donc de supposer que le fabuliste a trouvé cette idée dans la farce publiée en 1612 par Nicolas Roussel.
La pièce a été traduite par nous en vers modernes. Nous avons respecté l'allure et l'esprit de l'original, mais « notre imitation n'est pas un esclavage ».