Telle était la vie que menait mon père, lorsque se trouvant un jour dans la place du Change avec plusieurs de ses confrères, il découvrit de loin un baptême qui allait à Saint-Sauveur, et qui paraissait être de personnes de condition. Tout le monde s'empressa d'abord à le voir passer, et cet empressement venait de ce qu'on disait tout bas que c'était un enfant de qualité qu'on portait à l'église pour y être baptisé à petit bruit.
Mon père le suivit comme les autres jusque dans Saint-Sauveur. Il s'approcha des fonts de baptême, moins pour être spectateur de la cérémonie qui se préparait, que pour observer une dame qu'un vieux commandeur conduisait, et qui, selon toutes les apparences, devait nommer l'enfant avec ce cavalier suranné. La dame avait la taille belle et très bon air. Le Génois en fut frappé. Quoiqu'en négligé, elle avait des grâces qu'il admirait ; et comme elle se découvrit un instant, il vit un visage qui acheva de le charmer. Aussi n'y avait-il point à Séville de femme plus aimable. Il eut toujours la vue attachée sur la dame, qui s'en aperçut avec plaisir ; car les belles ne sont pas fâchées qu'un homme les regarde, quand il serait de la lie du peuple, Elle examina de son côté le marchand avec beaucoup d'attention ; et ne le jugeant pas indigne d'être favorisé d'un tendre regard, elle lui en lança un qui fit sur lui tout l'effet qu'elle désirait. Il en fut si troublé, si hors de lui-même, qu'il ne savait plus où il en était. Il n'oublia pas néanmoins, malgré le désordre où il se trouvait, de la faire suivre après la cérémonie, pour être informé de sa demeure et de sa condition. Il apprit qu'elle était la maîtresse de ce commandeur, qui la logeait chez lui et l'entretenait à grands frais du bien des pauvres, je veux dire des biens ecclésiastiques qu'il retirait de deux ou trois gros bénéfices qu'il possédait.
Mon père fut d'autant plus satisfait de cette heureuse découverte, qu'il était persuadé qu'une pareille commère ne pouvait pas être fort contente de son vieux compère. Dans cette pensée, il chercha toutes les occasions de la revoir et de lui parler ; mais il eut beau tous les matins courir les églises, dans l'espérance de la retrouver, il ne put jamais la rencontrer sans son amoureux vieillard, qui ne pouvait la perdre de vue. Toutes ces difficultés ne servirent qu'à irriter les feux du nouveau galant et qu'à lui aiguiser l'esprit. Il fit si bien, à force de présents et encore plus de promesses, qu'il gagna une duègne telle qu'il la lui fallait pour réussir dans son entreprise. C'était une bonne vieille qui entrait librement chez le commandeur, à la faveur d'un rosaire qu'elle avait toujours à la main. Tout vieux routier qu'il était, il ne se défiait nullement d'elle. Cette fausse dévote, vrai suppôt de Satan, mit le feu aux étoupes en parlant sans cesse à la dame de l'amour et de la persévérance du Génois, dont elle ne manquait pas de lui exagérer le mérite. La dame n'était pas tigresse : elle prêta volontiers l'oreille aux discours de la vieille, et la chargea même de dire au nouvel amant qu'il pouvait tout espérer. Il est constant qu'elle penchait plus de ce côté-là que de l'autre. Le commandeur était un personnage fort dégoûtant, incommodé de la gravelle et souvent de la goutte ; et le marchand paraissait un jeune gaillard alerte et vigoureux. Il n'y avait point à balancer entre eux pour une jolie femme. Mais comme la prudente dame aimait encore plus par intérêt que par tendresse de cœur, elle ne laissa pas de se trouver embarrassée : Elle faisait trop bien ses affaires avec son vieillard, pour avoir envie de perdre sa pratique ; et en même temps, se voyant jour et nuit obsédée de ce jaloux, elle désespérait de pouvoir impunément entretenir un commerce secret avec le Génois.
Cependant cette dame et celui-ci convinrent de leurs faits par l'entremise de la duègne ; après quoi, il ne fut plus question que du moyen dont ils se serviraient pour avoir une entrevue et de l'endroit où ils l'auraient : mais rien n'est impossible à l'amour. Dès que deux amants sont d'accord, les montagnes mêmes se séparent pour leur ouvrir un passage. La dame, qui était une maîtresse femme, imagina l'expédient que je vais te rapporter. Elle proposa au bon commandeur de s'aller promener à Gelves, où il avait une maison de plaisance, et d'y passer la journée. C'était dans le beau temps. Le galant suranné accepta la proposition, moins par complaisance que parce qu'elle était fort de son goût. Ils avaient déjà fait tous deux cette partie plus d'une fois, et le vieillard se plaisait infiniment à cette campagne. L'Andalousie, sans contredit, est le plus agréable pays de toute l'Espagne, et l'Andalousie n'a point de quartier si charmant, ni qu'on puisse appeler à plus juste titre le paradis terrestre, que Gelves et Saint-Jean d'Alfarache, qui sont deux villages voisins, que le Guadalquivir arrose de ses eaux. Cette fameuse rivière fait tant de détours autour d'eux, qu'on dirait qu'elle s'en éloigne à regret : aussi trouvez-vous là des jardins, des fleurs, des fruits, des bocages, des fontaines, des grottes, des cascades, en un mot, tout ce qui peut délicieusement flatter la vue, le goût et l'odorat.
La partie faite, on en arrêta le jour ; et quand il fut arrivé, on envoya de grand matin des domestiques à Gelves, pour y préparer toutes choses. Quelques heures après, le commandeur et sa mignonne se mirent en chemin avec la duègne, qui était de toutes les fêtes et qui ne fut point de trop à celle-là, tous trois montés sur de pacifiques mules et suivis de deux valets. Lorsqu'ils furent à quatre ou cinq cents pas de la maison de plaisance de mon père, devant laquelle il fallait passer ; il prit tout à coup à la jeune dame une colique de commande si violente, qu'elle pria le vieillard d'ordonner qu'on fît halte là, s'il ne voulait la voir mourir ; puis, se laissant aller de dessus sa selle tout doucement à terre, comme une personne à demi-morte, elle demanda d'une voix faible qu'on la délaçât, en disant qu'elle n'en pouvait plus. Le vieux soupirant, qui faisait assez connaitre la vive douleur dont son âme était saisie, ne savait que dire, ni encore moins que faire, pour secourir sa maîtresse ; mais la vieille, jouant alors son rôle, représenta d'un air prude à la dame, que la bienséance ne permettait pas de la soulager sur un grand chemin ; outre que le lieu n'était pas commode pour cela, qu'il valait beaucoup mieux qu'elle se traînât comme elle pourrait, ou se laissât porter jusqu'à la maison qu'ils voyaient assez près de là, et qui, selon toutes les apparences, appartenait à d'honnêtes gens : qu'ils ne refuseraient pas, s'ils étaient chrétiens, de donner quelque secours à une dame qui en avait si grand besoin. Le commandeur approuva l'avis de la duègne ; et la bonne pièce de malade dit là-dessus qu'on fît d'elle tout ce qu'on voudrait ; mais qu'il ne lui était pas possible, avec les cruelles douleurs qu'elle sentait, de marcher jusque-là. Aussitôt les deux valets la prirent entre leurs bras pour la porter, tandis que le vieillard affligé allait devant pour parler aux personnes de cette maison, et les engager, par ses prières, à y recevoir sa dame pour quelques heures.
Je t'ai, déjà dit, ami lecteur, que cette maison était celle de mon père. Il y avait dedans une vieille gouvernante à laquelle il en avait confié le soin, et qui en savait pour le moins aussi long que lui. Il n'eut pas besoin de lui donner d'amples instructions sur ce qu'elle devait faire pour le servir. D'abord, qu'elle entendit frapper à la porte, elle y courut ; et feignant d'être étonnée de voir un homme qu'elle ne connaissait point, elle lui demanda, comme en tremblant, ce qu'il souhaitait. Je voudrais, lui répondit le cavalier, qu'une dame que je conduis à Gelves, et qui vient de se trouver mal à quelques pas d'ici, pût, sans vous incommoder, se reposer un moment chez vous, et que vous nous permissiez de la soulager par quelque remède. S'il ne s'agit que de cela, reprit la gouvernante, vous aurez tout lieu d'être content ; il n'y a dans cette maison que des gens de bien, et qui se plaisent à exercer la charité. Comme elle achevait ces paroles, la prétendue malade, que les deux valets apportaient, arriva. Vous la voyez, s'écria douloureusement le commandeur. Il vient de lui prendre tout à l'heure une maudite colique dont elle est prête à mourir. Entrez, seigneur cavalier ; entrez, madame, dit la gouvernante. Soyez tous deux les bienvenus ; je suis fâchée seulement que mon maître ne soit pas ici pour vous recevoir : il n'épargnerait rien pour vous traiter de la manière dont vous paraissez mériter de l'être ; mais, en son absence, je vais remplir le mieux qu'il me sera possible les devoirs de l'hospitalité.
La première chose que fit la gouvernante fut de faire porter la malade dans une fort belle chambre où il y avait un magnifique lit, qui n'était qu'à demi garni, et qu'on avait exprès mis en cet état, pour ôter au vieux jaloux tout sujet de soupçonner le tour qu'on lui jouait. Mais tout étant prêt, draps parfumés, oreillers fins et couvertures de satin piquées, on eut bientôt préparé le lit, et couché dedans la dame, qui ne cessait de se plaindre de l'opiniâtreté de son mal. La gouvernante et la duègne, également disposées à faire de bonnes œuvres, commencèrent, comme à l'envi, à chauffer des linges, que la dame poussait doucement vers ses pieds, à mesure qu'on les lui mettait sur le ventre ; sans quoi elle aurait été indubitablement incommodée de cette chaleur, puisque, malgré tout le soin qu'elle prenait de s'en défendre, peu s'en fallut qu'elle n'eût des vapeurs. On lui fit aussi avaler du vin chaud, dont elle se serait fort bien passée ; de sorte que, pour prévenir quelque autre remède qui aurait pu lui être encore plus désagréable, elle témoigna qu'elle se sentait soulagée, et que si on la laissait en repos seulement un quart d'heure, elle serait entièrement guérie. Le bon vieillard fut bien aise qu'elle eût envie de reposer : cela lui parut une marque certaine qu'elle se portait mieux. Ainsi, pour lui donner la satisfaction qu'elle demandait, il sortit de la chambre, dont il n'oublia pas de fermer la porte, recommandant aux domestiques de ne point faire de bruit. La duègne seule demeura par son ordre auprès de la malade, comme une garde dont elle pourrait avoir affaire. Pour lui, il alla se promener dans le jardin, en attendant l'heureux moment de revoir sa chère maîtresse délivrée de sa colique.
Il est, je crois, inutile de te dire que mon père pendant ce temps-là était dans cette maison, où je puis t'assurer qu'il ne dormait pas. Il se tenait caché dans un cabinet, d'où, après avoir entendu tout, et aperçu par une fenêtre le commandeur dans le jardin, il se glissa dans la chambre de la jeune dame par une petite porte que couvrait une tapisserie. La duègne, de peur de surprise, se mit en sentinelle d'un côté, tandis que de l'autre la gouvernante, suivant les ordres qu'elle avait reçus, observait le vieux jaloux. Alors les deux amants, croyant n'avoir rien à craindre, eurent ensemble une tendre et vive conversation, qui dura deux bonnes heures, et à laquelle, si je ne me trompe, je dois la naissance.
Déjà le soleil commençait à se faire sentir dans le jardin, malgré l'ombrage des bosquets et la fraîcheur des eaux. Le vieux galant n'y pouvant plus résister, et avec cela plein d'impatience d'apprendre des nouvelles de sa nymphe, prit le parti de regagner la maison ; mais il y retourna d'un pas si grave, que les deux surveillantes eurent tout le loisir d'en avertir le Génois, qui se renferma promptement dans le cabinet. La dame, que je puis désormais appeler ma mère, fit semblant d'être encore tout endormie, quand le vieillard entra dans sa chambre ; et comme si le bruit qu'il avait fait en entrant l'eût réveillée ; elle se plaignit de ce qu'il n'avait pas la complaisance de la laisser reposer un quart d'heure. Comment un quart d'heure ! s'écria-t-il. Par vos beaux yeux, ma mie, il y a plus de deux mortelles heures que vous dormez. Non, non, répliqua-t-elle, il n'y en a pas seulement une demie ; il me semble que je ne fais que de m'endormir : mais quelque temps qu'il y ait, ajouta-t-elle, je sens que je n'ai jamais eu plus besoin de repos. Peut-être disait-elle la vérité, quoiqu'elle ne parlât ainsi que pour mentir. Elle prit pourtant un air gai, en assurant le commandeur qu'elle se portait beaucoup mieux, grâces aux remèdes qu'on lui avait donnés : ce qui causait une joie infinie au bonhomme. Il proposa lui-même à sa fidèle maîtresse de passer la journée en cet endroit, attendu que la chaleur était devenue trop grande pour qu'ils osassent se remettre en chemin, et que d'ailleurs ils se trouvaient dans une maison plus jolie que celle où ils avaient compté d'aller. La dame fut assez complaisante pour y consentir, à condition toutefois que les personnes du logis l'auraient pour agréable. Là-dessus le vieux galant en demanda la permission à la gouvernante, qui lui répondit qu'il pouvait faire dans cette maison tout ce qu'il jugerait à propos ; que son maître, bien loin de le trouver mauvais, en serait ravi. Les voilà donc résolus de s'arrêter là. Aussitôt ils envoyèrent un de leurs valets à leur maison de Gelves, avec ordre de dire aux autres domestiques, qui y étaient déjà, de se rendre auprès d'eux avec leurs provisions. Tandis que le commandeur s'occupait de ces soins, mon père sortit de la maison à la dérobée, monta vite à cheval et piqua vers Séville, pour se montrer seulement à la bourse, et s'en revenir ensuite souper et coucher à Saint-Jean d'Alfarache : ce qu'il avait coutume de faire presque tous les soirs. Le temps lui parut un peu long ; mais outre qu'il devait être assez content de sa journée, il hâta son retour et arriva sur les six heures à sa maison de plaisance. Son rival suranné s'empressa d'aller au-devant de lui pour le prier d'excuser la liberté qu'il avait prise. Grands compliments de part et d'autre, surtout de celle de mon père, à qui les belles paroles ne coûtaient rien, et qui, par ses manières honnêtes et polies, enleva tout à coup le cœur du vieillard. Ce bon homme le conduisit lui-même à la dame, qui venait d'entrer dans le jardin, où, si l'on ne pouvait pas encore se promener, on n'était pas du moins fort incommodé du soleil. Le rusé marchand la salua comme une personne qui lui aurait été inconnue ; elle le reçut avec tant de dissimulation, qu'on eût dit qu'elle ne l'avait vu de sa vie.
En attendant l'heure de la promenade, ils entrèrent tous trois dans un cabinet de verdure, où il faisait d'autant plus frais, qu'il était sur le bord de la rivière. Ils se mirent à jouer à la prime, et la dame gagna ; le Génois étant trop galant pour ne pas se laisser perdre. Après le jeu, ils firent plusieurs tours d'allées, et le plaisir de la promenade fut suivi d'un bon souper, qui dura si longtemps, qu'ils ne se levèrent de table que pour s'en retourner par eau à Séville, dans une petite barque ornée de feuillages et de fleurs. Cette barque appartenait à mon père, qui l'avait fait ajuster ainsi pour se rendre plus agréablement de sa maison de campagne à la ville : ce qui lui arrivait quelquefois. Pour comble de satisfaction, ils entendirent des concerts de musique agréables, formés par des chanteurs et des joueurs d'instruments qui descendaient comme eux le Guadalquivir dans un bateau qui suivait le leur. Enfin la dame et son vieux galant, après s'être fort réjouis, remercièrent le marchand de la généreuse réception qu'il leur avait faite. Le commandeur particulièrement en était si pénétré de reconnaissance, qu'il s'imaginait ne pouvoir assez le lui témoigner ; et je crois qu'il n'aurait jamais pu se résoudre à le quitter, sans l'espérance qu'il avait de le revoir le lendemain, tant il avait conçu d'amitié pour lui dès ce jour-là.
Cette amitié fut si bien ménagée par la dame et par le Génois, qu'elle ne finit qu'avec la vie du commandeur, lequel, à la vérité, n'alla pas loin depuis ce temps-là. C'était un corps usé, un vieux pécheur qui avait fait un usage immodéré des plaisirs, sans s'embarrasser si l'on trouverait cela bon dans ce monde, et sans craindre qu'on le trouvât mauvais dans l'autre. J'avais déjà quatre ans quand il mourut ; mais je n'étais pas son seul héritier au logis. Le bon homme avait eu d'autres enfants de quelques maîtresses qu'il avait entretenues avant ma mère, et nous étions tous chez lui comme des pains de dîmes, chacun de sa fournée. Dans le fond, peut-être n'était-il pas plus leur père que le mien. Quoi qu'il en soit, comme j'étais le plus jeune de mes frères, et que la faiblesse de mon âge ne me permettait pas de me servir de mes mains aussi bien qu'eux, j'aurais eu peu de part à l'héritage du défunt, si je n'avais pas eu dans ma mère une personne fort propre à suppléer à ce défaut. Mais c'était une femme d'Andalousie, c'est tout dire. Elle n'avait point attendu, pour faire son paquet, que le vieillard fût mort. Dès qu'elle l'avait vu abandonné des médecins, elle s'était saisie du plus beau et du meilleur, ne laissant à mes cohéritiers que des guenilles. Étant maîtresse dans la maison, et ayant les clefs de tout, il lui avait été facile de divertir les effets les plus précieux. Le jour qu'il mourut, on fit un ravage effroyable dans sa maison. Dans le temps qu'il rendait l'âme, on lui prit jusqu'aux draps de son lit. Dans ses derniers moments tout fut pillé et enlevé. Il ne restait que les quatre murailles, lorsque les parents arrivèrent la gueule, comme on dit, enfarinée. Ils eurent beau regarder partout, ils virent bien qu'on les avait prévenus, et il leur fallut encore, par honneur, faire les frais des funérailles. Elles furent, je l'avoue, très modestes, et l'on n'y répandit point de larmes. On ne pleure pas les morts qui ne laissent rien : c'est aux héritiers seuls à paraître affligés ; ils sont payés pour cela.
Les parents du commandeur avaient pourtant compté sur une riche succession. Ils ne pouvaient comprendre comment un homme qui avait plus de quinze mille livres de rente en bénéfices mourait dans un état si misérable. Ils avaient vu sa maison meublée d'une manière convenable à sa qualité. Ils ne doutèrent point qu'on n'eût volé ses effets. Ils firent faire sur cela de grandes informations. Peine inutile ! Ils eurent recours ensuite aux monitoires, qui furent affichés aux portes des églises, où ils sont encore. Les voleurs ont l'estomac bon ; ils ne rendent jamais ce qu'ils ont pris : les excommunications ne les épouvantent point. Après tout, ma mère avait une très bonne raison pour posséder sans inquiétude les nippes du commandeur ; car, peu de temps avant qu'il mourût, il lui disait quelquefois, quand il visitait son coffre-fort ou ses bijoux, ou qu'il faisait emplette de quelque beau meuble : Tenez, mon cher cœur, tout ceci vous appartient. Quand ces donations, qu'elle regardait comme faites en bonne forme, n'auraient pas été capables de lui mettre la conscience en repos, elle croyait qu'une jolie femme, qui avait pu se résoudre à passer quelques années avec un vieillard dégoûtant, méritait bien d'en être l'héritière. Aussi d'habiles docteurs, qu'elle consulta sur ce point, levèrent tous ses scrupules, en l'assurant que c'était une chose qui lui était due.