Acte premier

La campagne. Une belle prairie. Des bosquets. Vers le soir.

Scène première

LE MAIRE, puis LE DROGUISTE

LE MAIRE

Entrant seul et criant.

Oh ! Oh !... Évidemment, l’endroit est étrange. Personne ne répond, pas même l’écho... Oh ! Oh !

LE DROGUISTE

Entrant derrière lui.

Oh ! Oh !

LE MAIRE

Vous m’avez fait peur, mon cher Droguiste.

LE DROGUISTE

Pardon, Monsieur le Maire, vous avez cru que c’était lui ?

LE MAIRE

Ne plaisantez pas ! Je sais bien qu’il n’existe peut-être pas, que tous ceux qui prétendent l’avoir rencontré dans ces parages sont peut-être victimes d’une hallucination. Mais convenez que ce lieu est singulier !

LE DROGUISTE

Pourquoi l’avez-vous choisi pour notre rendez-vous ?

LE MAIRE

Pour la raison qui sans doute le lui fait choisir. Pour être hors de vue des curieux. Vous ne vous y sentez pas mal à l’aise ?

LE DROGUISTE

Pas le moins du monde. Tout y est vert et calme. On se croirait sur un terrain de golf.

LE MAIRE

On n’en rencontre jamais, sur les terrains de golf ?

LE DROGUISTE

Peut-être en rencontrera-t-on plus tard, quand se sera accumulé sous les allées et venues des joueurs de golf mâles et femelles cet humus de mots banals et de vrais aveux, de bouts de cigares et de houppettes, de rivalités et de sympathies, nécessaire pour humaniser un sol encore primitif. Pour le moment, ces beaux terrains bien dessinés, exhaussés, surveillés, sont certainement les moins maléfiques !... D’autant plus qu’on les plante en gazon anglais, c’est-à-dire avec la graminée la moins chargée en mystère... Ni jusquiame, ni centaurée, ni vertadine... Il est vrai qu’ici vous avez ces plantes, à ce que je vois, et même la mandragore.

LE MAIRE

C’est vrai ce qu’on raconte de la mandragore ?

LE DROGUISTE

Au sujet de la constipation ?

LE MAIRE

Non, au sujet de l’immortalité... Que les enfants conçus au-dessus d’une mandragore par un pendu deviennent des êtres démoniaques, et vivent sans terme ?

LE DROGUISTE

Tous les symboles ont leur raison. Il suffit de les interpréter.

LE MAIRE

Peut-être avons-nous affaire avec un symbole de cet ordre.

LE DROGUISTE

Comment apparaît-il en général : malingre, difforme ?

LE MAIRE

Non. Grand, avec un beau visage.

LE DROGUISTE

Il y a eu des pendus, autrefois, dans le canton ?

LE MAIRE

Depuis que je suis Maire, j’ai eu en tout deux suicides. Mon vigneron, qui s’est fait sauter dans son canon paragrêle, et la vieille épicière, qui s’est pendue, mais par les pieds.

LE DROGUISTE

Il faut un pendu homme de vingt à quarante ans... Mais je commence à croire que ces Messieurs se sont égarés. L’heure de la réunion passe.

LE MAIRE

Rien à craindre. J’ai prié le Contrôleur des Poids et Mesures de guider l’Inspecteur. Ainsi nous serons quatre pour former la commission chargée d’enquêter sur l’affaire.

LE DROGUISTE

Une commission de trois membres aurait largement suffi !

LE MAIRE

Notre jeune Contrôleur est pourtant bien sympathique.

LE DROGUISTE

Très sympathique.

LE MAIRE

Et courageux ! À notre dîner du mercredi, où les propos avant lui frisaient l’indécence, il ne laisse passer aucune occasion de défendre la vertu des femmes. En deux phrases, hier, il nous a réhabilité définitivement Catherine II, malgré l’agent voyer fortement prévenu contre elle.

LE DROGUISTE

Je parlais de l’Inspecteur. Pourquoi l’avoir convoqué de Limoges ? Il passe pour brutal, les esprits n’aiment pas les butors.

LE MAIRE

C’est qu’il est venu de lui-même. C’est qu’il entend se déranger lui-même pour combattre tout ce qui surgit d’anormal ou de mystérieux dans le département. Dès qu’un phénomène inexplicable se manifeste dans la faune, la flore, la géographie même de la région, l’Inspecteur survient et ramène l’ordre. Vous connaissez ses derniers exploits ?

LE DROGUISTE

En Berry, avec ses prétendues ondines ?

LE MAIRE

Dans le Limousin même ! À Rochechouart d’abord, où il a fait murer par le génie militaire la source qui appelait. Et au haras de Pompadour, où les étalons s’étaient mis à user de leurs yeux comme des humains, à se regarder de biais entre eux, à se faire signe de leurs prunelles ou de leurs paupières, il leur a imposé des œillères, même dans les stalles. Vous pensez si l’état de notre ville a dû l’allécher... Je m’étonne seulement qu’il tarde ainsi.

LE DROGUISTE

Appelons-le !

LE MAIRE

Non ! Non ! Ne criez point ! Ne trouvez-vous pas que l’acoustique de ce pré a je ne sais quoi de trouble, d’inquiétant ?

LE DROGUISTE

Le Contrôleur a la plus belle voix de basse de la région. Nous l’entendrons d’un kilomètre... Oh ! Oh !...

Scène II

LE MAIRE. LE DROGUISTE. ISABELLE.
LES PETITES FILLES

(On entend des voix aiguës de fillettes répondre : Oh ! Oh ! et aussitôt, Isabelle et ses élèves entrent sur la scène.)

LE MAIRE

Ah ! c’est Mademoiselle Isabelle ! Bonjour, Mademoiselle Isabelle !

ISABELLE

Bonjour, Monsieur le Maire !

LE DROGUISTE

Vous herborisez, mes enfants ?

LE MAIRE

Depuis trois mois que notre institutrice est malade, Mademoiselle Isabelle veut bien la remplacer. Elle tient seulement à faire sa classe en plein air, par ce beau temps.

ISABELLE

D’ailleurs, nous herborisons aussi, Monsieur le Droguiste. Il faut que ces petites connaissent la nature par tous ses noms et prénoms. J’ai là un sac plein déjà de plantes curieuses... Excusez-nous, mais nous cherchons la plus indispensable à mon cours de tout à l’heure... Je sais où la trouver...

LE DROGUISTE

Laquelle ?

LES PETITES FILLES

La mandragore ! La mandragore !

(Elles sortent.)

Scène III

LE MAIRE. LE DROGUISTE

LE DROGUISTE

La charmante personne ! Comme il est touchant de voir l’innocence tourner ainsi sans soupçon et sans péril autour des symboles du mal !

LE MAIRE

Je voudrais bien que les demoiselles Mangebois eussent sur elle la même opinion.

LE DROGUISTE

Qu’ont à voir ces deux taupes avec Isabelle ?

LE MAIRE

C’est ce que nous allons savoir tout à l’heure. Elles ont demandé à être entendues de l’Inspecteur ; elles m’ont laissé supposer qu’il s’agissait d’Isabelle, et d’une dénonciation.

LE DROGUISTE

Que peuvent-elles bien dénoncer ? Isabelle est si simple, si nette, si différente en somme de ses compagnes ! Car vous les connaissez, Monsieur le Maire, toutes les autres. Elles passent leur après-midi à se perdre dans les bois aux bras de leurs cousins, à se baigner avec l’employé nègre de la sous-préfecture, à lire, étendues dans les prairies, le marquis de Sade illustré... Des jeunes filles, quoi !... Isabelle, au contraire, n’a pas de vague à l’âme, pas de curiosité anticipée... Regardez la franchise de cette silhouette ! Près de chaque être, de chaque objet, elle semble la clef destinée à le rendre compréhensible. Voyez-la à cheval sur ce baliveau, faisant valser cet ânon, en agitant un chardon, pendant que ses élèves dansent une ronde autour d’eux : la nécessité des ânons dans ce bas monde devient fulgurante... Celle des petites filles aussi, d’ailleurs... Regardez-les, Monsieur le Maire : les charmantes petites figures, les charmants petits dos...

LE MAIRE

Eh bien, eh bien, mon cher Droguiste !

LE DROGUISTE

Ah ! Voici Monsieur l’Inspecteur !

Scène IV

LE MAIRE. LE DROGUISTE. L’INSPECTEUR. LE CONTRÔLEUR

L’INSPECTEUR

La preuve, mon cher Contrôleur ? La preuve que les esprits n’existent pas, que le monde invisible n’existe pas ? Voulez-vous que je vous l’administre à la minute, sur-le-champ ?

LE CONTRÔLEUR

Venant d’un haut fonctionnaire, elle me sera précieuse.

L’INSPECTEUR

Vous admettez que si les esprits existent, ils m’entendent ?

LE CONTRÔLEUR

À part les esprits sourds, sans aucun doute.

L’INSPECTEUR

Qu’ils entendent donc ceci : Esprits, formes de vide et de blanc d’œuf (vous voyez, je ne mâche pas mes mots, s’ils ont un peu de dignité, ils savent ce qui leur reste à faire), l’humanité en ma personne vous défie d’apparaître ! Vous avez là une occasion unique, étant donné la qualité de l’assistance, de reprendre un peu de crédit dans l’arrondissement. Je ne vous demande pas d’extirper de ma poche une perruche vivante, opération classique, paraît-il, chez les esprits. Je vous défie d’obtenir qu’un vulgaire passereau s’envole de cet arbre, de ce bosquet, de cette forêt, quand j’aurai compté trois... Je compte, Monsieur le Contrôleur : Une... Deux... Trois... Voyez, c’est lamentable.

(Son chapeau s’envole.)

Dieu, quel vent !

LE DROGUISTE

Nous ne sentons pas le moindre souffle, Monsieur l’Inspecteur.

L’INSPECTEUR

Il suffit. C’est piteux.

LE CONTRÔLEUR

Peut-être que les esprits ne croient pas aux hommes.

LE MAIRE

Ou que l’invocation avait un caractère un peu général.

L’INSPECTEUR

Vous voulez que je les appelle chacun par leur nom ? Vous voulez que j’appelle Asphlaroth ?

LE DROGUISTE

Asphlaroth, le plus susceptible et le plus cruel des esprits, qu’on dit se loger dans l’organisme humain et se plaire à le torturer ? Prenez garde, Monsieur l’Inspecteur ! On ne sait jamais où mènent ces jeux.

L’INSPECTEUR

Tu m’entends, Asphlaroth, mes organes les plus vils et les plus ridicules te défient aujourd’hui. Non pas mes poumons, mon cœur, mais ma vésicule biliaire, ma glotte, ma membrane sternutatoire... Frappe l’un d’eux de la moindre douleur, de la moindre contraction, et je crois en toi... Une... Deux... Trois... J’attends !...

(Il glisse.)

Que c’est humide, ici !

LE MAIRE

Il n’a pas plu depuis trois semaines.

LE DROGUISTE

Les esprits ont une autre notion du temps que nous. Peut-être Asphlaroth a-t-il répondu à vos insultes longtemps à l’avance... Puis-je vous demander d’où proviennent ces cicatrices à votre nez ?

L’INSPECTEUR

Une tuile m’est tombée sur la tête, quand je marchais à peine.

LE DROGUISTE

Voilà l’explication de son silence. Il vous a répondu voilà quarante ans.

L’INSPECTEUR

Je n’attendais pas moins de lui : il n’existe pas, et il est lâche, et il s’attaque à des enfants... Messieurs, la preuve est faite, irréfutablement... Je me permettrai donc de sourire quand vous me dites que votre bourg est hanté.

LE MAIRE

Il est hanté, Monsieur l’Inspecteur...

L’INSPECTEUR

Je sais ce qu’est en réalité un bourg hanté. Les batteries de cuisine qui résonnent la nuit dans les appartements dont on veut écarter le locataire, des apparitions dans les propriétés indivises pour dégoûter l’une des parties. De là les commères au travail. De là la suspicion et l’agitation poussées à la calomnie et jusqu’au crime. Vous aviez à élire un conseiller général. Il en est résulté des rixes autour des urnes, évidemment, des rixes sanglantes. Ma foi, tant pis : l’urne, même électorale, appelle le cadavre.

LE MAIRE

Pas du tout, Monsieur l’Inspecteur, au contraire !

L’INSPECTEUR

On a voté sans répandre le sang ? C’est à peine démocratique, et pas du tout démoniaque.

LE MAIRE

On n’a pas voté. Personne n’a voté, ni songé à voter. Les électeurs s’étaient pourtant levés à l’aube, conscients de leur devoir, et précipités vers les affiches. Mais le soleil étincelait ; tous prétendent avoir lu sur les panneaux : « au soleil, pas d’abstentions ! » et ils sont allés se promener jusqu’au soir.

L’INSPECTEUR

Ils ont été soudoyés par la réaction.

LE DROGUISTE

D’accord avec le soleil.

LE CONTRÔLEUR

Certainement pas, Monsieur l’Inspecteur. Monsieur le Maire ne vous dit pas que depuis plusieurs semaines c’est à une série d’opérations aussi étranges que la ville se consacre. Une influence inconnue, et dont, pour ma part, je trouve les effets assez sympathiques, y sape peu à peu tous les principes, faux d’ailleurs, sur lesquels se base la société civilisée.

L’INSPECTEUR

Je vous dispense de vos commentaires personnels. Expliquez-vous.

LE CONTRÔLEUR

Je m’explique. Les enfants que leurs parents battent, par exemple, quittent leurs parents. Les chiens que leurs maîtres rudoient mordent la main de leurs maîtres. Les femmes qui ont un vieux mari ivrogne, laid et poilu, l’abandonnent simplement pour quelque jeune amant sobre et à peau lisse. Les hercules que des gringalets insultaient impunément n’hésitent plus à leur fracasser la mâchoire. Bref, la faiblesse n’est plus ici une force, ni l’affection une habitude.

L’INSPECTEUR

Et vous me prévenez si tard d’un pareil état de choses ?

LE MAIRE

J’ajoute que plusieurs coïncidences étranges témoignent de l’intrusion, dans notre vie municipale, de puissances occultes. Nous avons tiré l’autre dimanche notre loterie mensuelle, c’est le plus pauvre qui a gagné le gros lot en argent, et non le gagnant habituel, Monsieur Dumas, le millionnaire, qui d’ailleurs a fort bien tenu le coup ; c’est notre jeune champion qui a gagné la motocyclette et non la supérieure des bonnes sœurs à laquelle elle échéait régulièrement. Cette semaine, nous avons eu deux décès : les deux habitants les plus âgés, qui, par-dessus le compte, étaient le plus avare et la plus acariâtre. Pour la première fois, le sort nous débarrasse, le hasard frappe à coup sûr.

L’INSPECTEUR

C’est la négation de la liberté humaine !

LE DROGUISTE

Vous pourriez peut-être parler du recensement, Monsieur le Maire.

L’INSPECTEUR

Quel recensement ?

LE MAIRE

Le recensement quinquennal officiel. Je n’ai pas osé transmettre encore les feuilles à la préfecture.

L’INSPECTEUR

Vos administrés ont écrit des déclarations mensongères ?

LE MAIRE

Au contraire, tous ont répondu avec une vérité si outrée et si cynique qu’elle est un défi à l’administration. Au chapitre de la famille, pour vous en donner un exemple, la plupart n’ont pas indiqué comme leurs enfants leurs vrais fils ou filles, quand ceux-là étaient ingrats ou laids, mais leurs chiens, leurs apprentis, leurs oiseaux, bref, ceux qu’ils aimaient vraiment comme leurs rejetons.

LE CONTRÔLEUR

Plusieurs ont noté pour épouse non pas leur épouse réelle, mais la femme inconnue dont ils ont rêvé, ou la voisine avec laquelle ils sont en rapports secrets, ou même l’animal femelle qui représente pour eux la compagne parfaite, la chatte ou l’écureuil.

LE MAIRE

Au chapitre des appartements, les riches neurasthéniques ont prétendu habiter des masures, les pauvres heureux des palais.

L’INSPECTEUR

Et depuis quand, tous ces scandales ?

LE MAIRE

À peu près depuis que l’on rencontre ce fantôme.

L’INSPECTEUR

N’employez pas ce mot stupide. Il n’y a pas de fantôme.

LE MAIRE

De ce spectre, si vous voulez.

L’INSPECTEUR

Il n’y a pas de spectre !

LE DROGUISTE

Ce n’est pas ce que nous apprend la science. Il y a des spectres de tout, du métal, de l’eau. Il peut s’en trouver un des hommes.

(On entend, à la cantonade, les voix des demoiselles Mangebois.)

Scène V

LE MAIRE. LE DROGUISTE. L’INSPECTEUR. LE CONTRÔLEUR. LES DEMOISELLES MANGEBOIS.

(L’aînée des demoiselles Mangebois est sourde. Elle porte en sautoir un récepteur par lequel sa sœur la tient au courant de la conversation.)

ARMANDE MANGEBOIS

Criant, encore invisible.

Nous pouvons approcher, Monsieur le Maire ?

LE MAIRE

Approchez, Mesdemoiselles, approchez ! Monsieur l’Inspecteur, voici justement ces demoiselles Mangebois qui nous ont promis des révélations.

ARMANDE

Apparaissant avec sa sœur.

J’espère, Monsieur le Maire, que nous ne vous décevrons pas.

LE MAIRE

Mesdemoiselles Mangebois sont les filles de notre défunt juge de paix, célèbre pour avoir fait trancher la membrane de deux sœurs siamoises que deux forains de Limoges se disputaient.

(Les demoiselles Mangebois s’asseyent sur des pliants, après l’échange des saluts.)

L’INSPECTEUR

Mes félicitations, Mesdemoiselles. Le vrai jugement de Salomon ! Je vous écoute.

ARMANDE

Je tiens à vous demander d’abord, Monsieur l’Inspecteur, d’excuser ma sœur Léonide. Elle est un peu dure d’oreille.

LÉONIDE

Que dis-tu ?

ARMANDE

Je dis à Monsieur l’Inspecteur que tu es un peu dure d’oreille.

LÉONIDE

Pourquoi me le dis-tu à moi ? Je le sais.

ARMANDE

Voyons, Léonide, tu exiges que je te répète tout ce que je dis !

LÉONIDE

Excepté que tu dis que je suis sourde.

L’INSPECTEUR

Mesdemoiselles, si nous vous avons priées de venir jusqu’en ces lieux, choisis à cause de leur discrétion...

LÉONIDE

Tu ronfles, toi. Est-ce que je le dis ?

ARMANDE

Je ne ronfle pas.

LÉONIDE

Si tu ne ronfles pas, c’est que tu as subitement cessé de ronfler à la minute où je devenais sourde...

L’INSPECTEUR

Priez votre sœur de se taire, Mademoiselle, ou nous n’en sortirons jamais.

ARMANDE

Cela m’est difficile, Monsieur l’Inspecteur ; elle est mon aînée.

LÉONIDE

Que dis-tu ?

ARMANDE

Rien qui t’intéresse.

LÉONIDE

Si cela ne m’intéresse pas, c’est que tu es en train de dire que tu es la cadette.

ARMANDE

Monsieur l’Inspecteur te fait dire qu’il souhaite le silence.

LÉONIDE

S’il savait ce que c’est, le silence, il ne le souhaiterait pas. Je me tais.

L’INSPECTEUR

Mesdemoiselles, on m’assure que vous êtes au courant de tout ce qui se dit et se passe dans l’arrondissement ?

ARMANDE

Nous sommes en effet secrétaires de l’Œuvre des Trousseaux.

L’INSPECTEUR

Et de quoi est-il question, en ce moment, à l’Œuvre des Trousseaux ?

ARMANDE

De quoi parlerait-on, Monsieur l’Inspecteur ? Du spectre !

L’INSPECTEUR

Vous y croyez, à ce spectre ? Vous l’avez vu ?

ARMANDE

J’ai vu des gens qui l’ont vu.

L’INSPECTEUR

Des témoins dignes de foi ?

ARMANDE

L’un d’eux est Commandeur du Grand Dragon de l’Annam.

L’INSPECTEUR

S’il croit au Grand Dragon de l’Annam, il est déjà suspect. Nommez-les.

FIN DE L’EXTRAIT

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