La campagne. Une belle prairie. Des bosquets. Vers le soir.
LE MAIRE, puis LE DROGUISTE
LE MAIRE
Entrant seul et criant.
Oh ! Oh !... Évidemment, l’endroit est étrange. Personne ne répond, pas même l’écho... Oh ! Oh !
LE DROGUISTE
Entrant derrière lui.
Oh ! Oh !
LE MAIRE
Vous m’avez fait peur, mon cher Droguiste.
LE DROGUISTE
Pardon, Monsieur le Maire, vous avez cru que c’était lui ?
LE MAIRE
Ne plaisantez pas ! Je sais bien qu’il n’existe peut-être pas, que tous ceux qui prétendent l’avoir rencontré dans ces parages sont peut-être victimes d’une hallucination. Mais convenez que ce lieu est singulier !
LE DROGUISTE
Pourquoi l’avez-vous choisi pour notre rendez-vous ?
LE MAIRE
Pour la raison qui sans doute le lui fait choisir. Pour être hors de vue des curieux. Vous ne vous y sentez pas mal à l’aise ?
LE DROGUISTE
Pas le moins du monde. Tout y est vert et calme. On se croirait sur un terrain de golf.
LE MAIRE
On n’en rencontre jamais, sur les terrains de golf ?
LE DROGUISTE
Peut-être en rencontrera-t-on plus tard, quand se sera accumulé sous les allées et venues des joueurs de golf mâles et femelles cet humus de mots banals et de vrais aveux, de bouts de cigares et de houppettes, de rivalités et de sympathies, nécessaire pour humaniser un sol encore primitif. Pour le moment, ces beaux terrains bien dessinés, exhaussés, surveillés, sont certainement les moins maléfiques !... D’autant plus qu’on les plante en gazon anglais, c’est-à-dire avec la graminée la moins chargée en mystère... Ni jusquiame, ni centaurée, ni vertadine... Il est vrai qu’ici vous avez ces plantes, à ce que je vois, et même la mandragore.
LE MAIRE
C’est vrai ce qu’on raconte de la mandragore ?
LE DROGUISTE
Au sujet de la constipation ?
LE MAIRE
Non, au sujet de l’immortalité... Que les enfants conçus au-dessus d’une mandragore par un pendu deviennent des êtres démoniaques, et vivent sans terme ?
LE DROGUISTE
Tous les symboles ont leur raison. Il suffit de les interpréter.
LE MAIRE
Peut-être avons-nous affaire avec un symbole de cet ordre.
LE DROGUISTE
Comment apparaît-il en général : malingre, difforme ?
LE MAIRE
Non. Grand, avec un beau visage.
LE DROGUISTE
Il y a eu des pendus, autrefois, dans le canton ?
LE MAIRE
Depuis que je suis Maire, j’ai eu en tout deux suicides. Mon vigneron, qui s’est fait sauter dans son canon paragrêle, et la vieille épicière, qui s’est pendue, mais par les pieds.
LE DROGUISTE
Il faut un pendu homme de vingt à quarante ans... Mais je commence à croire que ces Messieurs se sont égarés. L’heure de la réunion passe.
LE MAIRE
Rien à craindre. J’ai prié le Contrôleur des Poids et Mesures de guider l’Inspecteur. Ainsi nous serons quatre pour former la commission chargée d’enquêter sur l’affaire.
LE DROGUISTE
Une commission de trois membres aurait largement suffi !
LE MAIRE
Notre jeune Contrôleur est pourtant bien sympathique.
LE DROGUISTE
Très sympathique.
LE MAIRE
Et courageux ! À notre dîner du mercredi, où les propos avant lui frisaient l’indécence, il ne laisse passer aucune occasion de défendre la vertu des femmes. En deux phrases, hier, il nous a réhabilité définitivement Catherine II, malgré l’agent voyer fortement prévenu contre elle.
LE DROGUISTE
Je parlais de l’Inspecteur. Pourquoi l’avoir convoqué de Limoges ? Il passe pour brutal, les esprits n’aiment pas les butors.
LE MAIRE
C’est qu’il est venu de lui-même. C’est qu’il entend se déranger lui-même pour combattre tout ce qui surgit d’anormal ou de mystérieux dans le département. Dès qu’un phénomène inexplicable se manifeste dans la faune, la flore, la géographie même de la région, l’Inspecteur survient et ramène l’ordre. Vous connaissez ses derniers exploits ?
LE DROGUISTE
En Berry, avec ses prétendues ondines ?
LE MAIRE
Dans le Limousin même ! À Rochechouart d’abord, où il a fait murer par le génie militaire la source qui appelait. Et au haras de Pompadour, où les étalons s’étaient mis à user de leurs yeux comme des humains, à se regarder de biais entre eux, à se faire signe de leurs prunelles ou de leurs paupières, il leur a imposé des œillères, même dans les stalles. Vous pensez si l’état de notre ville a dû l’allécher... Je m’étonne seulement qu’il tarde ainsi.
LE DROGUISTE
Appelons-le !
LE MAIRE
Non ! Non ! Ne criez point ! Ne trouvez-vous pas que l’acoustique de ce pré a je ne sais quoi de trouble, d’inquiétant ?
LE DROGUISTE
Le Contrôleur a la plus belle voix de basse de la région. Nous l’entendrons d’un kilomètre... Oh ! Oh !...
LE MAIRE. LE DROGUISTE. ISABELLE.
LES PETITES FILLES
(On entend des voix aiguës de fillettes répondre : Oh ! Oh ! et aussitôt, Isabelle et ses élèves entrent sur la scène.)
LE MAIRE
Ah ! c’est Mademoiselle Isabelle ! Bonjour, Mademoiselle Isabelle !
ISABELLE
Bonjour, Monsieur le Maire !
LE DROGUISTE
Vous herborisez, mes enfants ?
LE MAIRE
Depuis trois mois que notre institutrice est malade, Mademoiselle Isabelle veut bien la remplacer. Elle tient seulement à faire sa classe en plein air, par ce beau temps.
ISABELLE
D’ailleurs, nous herborisons aussi, Monsieur le Droguiste. Il faut que ces petites connaissent la nature par tous ses noms et prénoms. J’ai là un sac plein déjà de plantes curieuses... Excusez-nous, mais nous cherchons la plus indispensable à mon cours de tout à l’heure... Je sais où la trouver...
LE DROGUISTE
Laquelle ?
LES PETITES FILLES
La mandragore ! La mandragore !
(Elles sortent.)
LE MAIRE. LE DROGUISTE
LE DROGUISTE
La charmante personne ! Comme il est touchant de voir l’innocence tourner ainsi sans soupçon et sans péril autour des symboles du mal !
LE MAIRE
Je voudrais bien que les demoiselles Mangebois eussent sur elle la même opinion.
LE DROGUISTE
Qu’ont à voir ces deux taupes avec Isabelle ?
LE MAIRE
C’est ce que nous allons savoir tout à l’heure. Elles ont demandé à être entendues de l’Inspecteur ; elles m’ont laissé supposer qu’il s’agissait d’Isabelle, et d’une dénonciation.
LE DROGUISTE
Que peuvent-elles bien dénoncer ? Isabelle est si simple, si nette, si différente en somme de ses compagnes ! Car vous les connaissez, Monsieur le Maire, toutes les autres. Elles passent leur après-midi à se perdre dans les bois aux bras de leurs cousins, à se baigner avec l’employé nègre de la sous-préfecture, à lire, étendues dans les prairies, le marquis de Sade illustré... Des jeunes filles, quoi !... Isabelle, au contraire, n’a pas de vague à l’âme, pas de curiosité anticipée... Regardez la franchise de cette silhouette ! Près de chaque être, de chaque objet, elle semble la clef destinée à le rendre compréhensible. Voyez-la à cheval sur ce baliveau, faisant valser cet ânon, en agitant un chardon, pendant que ses élèves dansent une ronde autour d’eux : la nécessité des ânons dans ce bas monde devient fulgurante... Celle des petites filles aussi, d’ailleurs... Regardez-les, Monsieur le Maire : les charmantes petites figures, les charmants petits dos...
LE MAIRE
Eh bien, eh bien, mon cher Droguiste !
LE DROGUISTE
Ah ! Voici Monsieur l’Inspecteur !
LE MAIRE. LE DROGUISTE. L’INSPECTEUR. LE CONTRÔLEUR
L’INSPECTEUR
La preuve, mon cher Contrôleur ? La preuve que les esprits n’existent pas, que le monde invisible n’existe pas ? Voulez-vous que je vous l’administre à la minute, sur-le-champ ?
LE CONTRÔLEUR
Venant d’un haut fonctionnaire, elle me sera précieuse.
L’INSPECTEUR
Vous admettez que si les esprits existent, ils m’entendent ?
LE CONTRÔLEUR
À part les esprits sourds, sans aucun doute.
L’INSPECTEUR
Qu’ils entendent donc ceci : Esprits, formes de vide et de blanc d’œuf (vous voyez, je ne mâche pas mes mots, s’ils ont un peu de dignité, ils savent ce qui leur reste à faire), l’humanité en ma personne vous défie d’apparaître ! Vous avez là une occasion unique, étant donné la qualité de l’assistance, de reprendre un peu de crédit dans l’arrondissement. Je ne vous demande pas d’extirper de ma poche une perruche vivante, opération classique, paraît-il, chez les esprits. Je vous défie d’obtenir qu’un vulgaire passereau s’envole de cet arbre, de ce bosquet, de cette forêt, quand j’aurai compté trois... Je compte, Monsieur le Contrôleur : Une... Deux... Trois... Voyez, c’est lamentable.
(Son chapeau s’envole.)
Dieu, quel vent !
LE DROGUISTE
Nous ne sentons pas le moindre souffle, Monsieur l’Inspecteur.
L’INSPECTEUR
Il suffit. C’est piteux.
LE CONTRÔLEUR
Peut-être que les esprits ne croient pas aux hommes.
LE MAIRE
Ou que l’invocation avait un caractère un peu général.
L’INSPECTEUR
Vous voulez que je les appelle chacun par leur nom ? Vous voulez que j’appelle Asphlaroth ?
LE DROGUISTE
Asphlaroth, le plus susceptible et le plus cruel des esprits, qu’on dit se loger dans l’organisme humain et se plaire à le torturer ? Prenez garde, Monsieur l’Inspecteur ! On ne sait jamais où mènent ces jeux.
L’INSPECTEUR
Tu m’entends, Asphlaroth, mes organes les plus vils et les plus ridicules te défient aujourd’hui. Non pas mes poumons, mon cœur, mais ma vésicule biliaire, ma glotte, ma membrane sternutatoire... Frappe l’un d’eux de la moindre douleur, de la moindre contraction, et je crois en toi... Une... Deux... Trois... J’attends !...
(Il glisse.)
Que c’est humide, ici !
LE MAIRE
Il n’a pas plu depuis trois semaines.
LE DROGUISTE
Les esprits ont une autre notion du temps que nous. Peut-être Asphlaroth a-t-il répondu à vos insultes longtemps à l’avance... Puis-je vous demander d’où proviennent ces cicatrices à votre nez ?
L’INSPECTEUR
Une tuile m’est tombée sur la tête, quand je marchais à peine.
LE DROGUISTE
Voilà l’explication de son silence. Il vous a répondu voilà quarante ans.
L’INSPECTEUR
Je n’attendais pas moins de lui : il n’existe pas, et il est lâche, et il s’attaque à des enfants... Messieurs, la preuve est faite, irréfutablement... Je me permettrai donc de sourire quand vous me dites que votre bourg est hanté.
LE MAIRE
Il est hanté, Monsieur l’Inspecteur...
L’INSPECTEUR
Je sais ce qu’est en réalité un bourg hanté. Les batteries de cuisine qui résonnent la nuit dans les appartements dont on veut écarter le locataire, des apparitions dans les propriétés indivises pour dégoûter l’une des parties. De là les commères au travail. De là la suspicion et l’agitation poussées à la calomnie et jusqu’au crime. Vous aviez à élire un conseiller général. Il en est résulté des rixes autour des urnes, évidemment, des rixes sanglantes. Ma foi, tant pis : l’urne, même électorale, appelle le cadavre.
LE MAIRE
Pas du tout, Monsieur l’Inspecteur, au contraire !
L’INSPECTEUR
On a voté sans répandre le sang ? C’est à peine démocratique, et pas du tout démoniaque.
LE MAIRE
On n’a pas voté. Personne n’a voté, ni songé à voter. Les électeurs s’étaient pourtant levés à l’aube, conscients de leur devoir, et précipités vers les affiches. Mais le soleil étincelait ; tous prétendent avoir lu sur les panneaux : « au soleil, pas d’abstentions ! » et ils sont allés se promener jusqu’au soir.
L’INSPECTEUR
Ils ont été soudoyés par la réaction.
LE DROGUISTE
D’accord avec le soleil.
LE CONTRÔLEUR
Certainement pas, Monsieur l’Inspecteur. Monsieur le Maire ne vous dit pas que depuis plusieurs semaines c’est à une série d’opérations aussi étranges que la ville se consacre. Une influence inconnue, et dont, pour ma part, je trouve les effets assez sympathiques, y sape peu à peu tous les principes, faux d’ailleurs, sur lesquels se base la société civilisée.
L’INSPECTEUR
Je vous dispense de vos commentaires personnels. Expliquez-vous.
LE CONTRÔLEUR
Je m’explique. Les enfants que leurs parents battent, par exemple, quittent leurs parents. Les chiens que leurs maîtres rudoient mordent la main de leurs maîtres. Les femmes qui ont un vieux mari ivrogne, laid et poilu, l’abandonnent simplement pour quelque jeune amant sobre et à peau lisse. Les hercules que des gringalets insultaient impunément n’hésitent plus à leur fracasser la mâchoire. Bref, la faiblesse n’est plus ici une force, ni l’affection une habitude.
L’INSPECTEUR
Et vous me prévenez si tard d’un pareil état de choses ?
LE MAIRE
J’ajoute que plusieurs coïncidences étranges témoignent de l’intrusion, dans notre vie municipale, de puissances occultes. Nous avons tiré l’autre dimanche notre loterie mensuelle, c’est le plus pauvre qui a gagné le gros lot en argent, et non le gagnant habituel, Monsieur Dumas, le millionnaire, qui d’ailleurs a fort bien tenu le coup ; c’est notre jeune champion qui a gagné la motocyclette et non la supérieure des bonnes sœurs à laquelle elle échéait régulièrement. Cette semaine, nous avons eu deux décès : les deux habitants les plus âgés, qui, par-dessus le compte, étaient le plus avare et la plus acariâtre. Pour la première fois, le sort nous débarrasse, le hasard frappe à coup sûr.
L’INSPECTEUR
C’est la négation de la liberté humaine !
LE DROGUISTE
Vous pourriez peut-être parler du recensement, Monsieur le Maire.
L’INSPECTEUR
Quel recensement ?
LE MAIRE
Le recensement quinquennal officiel. Je n’ai pas osé transmettre encore les feuilles à la préfecture.
L’INSPECTEUR
Vos administrés ont écrit des déclarations mensongères ?
LE MAIRE
Au contraire, tous ont répondu avec une vérité si outrée et si cynique qu’elle est un défi à l’administration. Au chapitre de la famille, pour vous en donner un exemple, la plupart n’ont pas indiqué comme leurs enfants leurs vrais fils ou filles, quand ceux-là étaient ingrats ou laids, mais leurs chiens, leurs apprentis, leurs oiseaux, bref, ceux qu’ils aimaient vraiment comme leurs rejetons.
LE CONTRÔLEUR
Plusieurs ont noté pour épouse non pas leur épouse réelle, mais la femme inconnue dont ils ont rêvé, ou la voisine avec laquelle ils sont en rapports secrets, ou même l’animal femelle qui représente pour eux la compagne parfaite, la chatte ou l’écureuil.
LE MAIRE
Au chapitre des appartements, les riches neurasthéniques ont prétendu habiter des masures, les pauvres heureux des palais.
L’INSPECTEUR
Et depuis quand, tous ces scandales ?
LE MAIRE
À peu près depuis que l’on rencontre ce fantôme.
L’INSPECTEUR
N’employez pas ce mot stupide. Il n’y a pas de fantôme.
LE MAIRE
De ce spectre, si vous voulez.
L’INSPECTEUR
Il n’y a pas de spectre !
LE DROGUISTE
Ce n’est pas ce que nous apprend la science. Il y a des spectres de tout, du métal, de l’eau. Il peut s’en trouver un des hommes.
(On entend, à la cantonade, les voix des demoiselles Mangebois.)
LE MAIRE. LE DROGUISTE. L’INSPECTEUR. LE CONTRÔLEUR. LES DEMOISELLES MANGEBOIS.
(L’aînée des demoiselles Mangebois est sourde. Elle porte en sautoir un récepteur par lequel sa sœur la tient au courant de la conversation.)
ARMANDE MANGEBOIS
Criant, encore invisible.
Nous pouvons approcher, Monsieur le Maire ?
LE MAIRE
Approchez, Mesdemoiselles, approchez ! Monsieur l’Inspecteur, voici justement ces demoiselles Mangebois qui nous ont promis des révélations.
ARMANDE
Apparaissant avec sa sœur.
J’espère, Monsieur le Maire, que nous ne vous décevrons pas.
LE MAIRE
Mesdemoiselles Mangebois sont les filles de notre défunt juge de paix, célèbre pour avoir fait trancher la membrane de deux sœurs siamoises que deux forains de Limoges se disputaient.
(Les demoiselles Mangebois s’asseyent sur des pliants, après l’échange des saluts.)
L’INSPECTEUR
Mes félicitations, Mesdemoiselles. Le vrai jugement de Salomon ! Je vous écoute.
ARMANDE
Je tiens à vous demander d’abord, Monsieur l’Inspecteur, d’excuser ma sœur Léonide. Elle est un peu dure d’oreille.
LÉONIDE
Que dis-tu ?
ARMANDE
Je dis à Monsieur l’Inspecteur que tu es un peu dure d’oreille.
LÉONIDE
Pourquoi me le dis-tu à moi ? Je le sais.
ARMANDE
Voyons, Léonide, tu exiges que je te répète tout ce que je dis !
LÉONIDE
Excepté que tu dis que je suis sourde.
L’INSPECTEUR
Mesdemoiselles, si nous vous avons priées de venir jusqu’en ces lieux, choisis à cause de leur discrétion...
LÉONIDE
Tu ronfles, toi. Est-ce que je le dis ?
ARMANDE
Je ne ronfle pas.
LÉONIDE
Si tu ne ronfles pas, c’est que tu as subitement cessé de ronfler à la minute où je devenais sourde...
L’INSPECTEUR
Priez votre sœur de se taire, Mademoiselle, ou nous n’en sortirons jamais.
ARMANDE
Cela m’est difficile, Monsieur l’Inspecteur ; elle est mon aînée.
LÉONIDE
Que dis-tu ?
ARMANDE
Rien qui t’intéresse.
LÉONIDE
Si cela ne m’intéresse pas, c’est que tu es en train de dire que tu es la cadette.
ARMANDE
Monsieur l’Inspecteur te fait dire qu’il souhaite le silence.
LÉONIDE
S’il savait ce que c’est, le silence, il ne le souhaiterait pas. Je me tais.
L’INSPECTEUR
Mesdemoiselles, on m’assure que vous êtes au courant de tout ce qui se dit et se passe dans l’arrondissement ?
ARMANDE
Nous sommes en effet secrétaires de l’Œuvre des Trousseaux.
L’INSPECTEUR
Et de quoi est-il question, en ce moment, à l’Œuvre des Trousseaux ?
ARMANDE
De quoi parlerait-on, Monsieur l’Inspecteur ? Du spectre !
L’INSPECTEUR
Vous y croyez, à ce spectre ? Vous l’avez vu ?
ARMANDE
J’ai vu des gens qui l’ont vu.
L’INSPECTEUR
Des témoins dignes de foi ?
ARMANDE
L’un d’eux est Commandeur du Grand Dragon de l’Annam.
L’INSPECTEUR
S’il croit au Grand Dragon de l’Annam, il est déjà suspect. Nommez-les.
FIN DE L’EXTRAIT
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