« L’aiguille creuse » est un roman de Maurice Leblanc publié en 1909. On y retrouve Arsène Lupin pour la quatrième fois, mais aussi Ganimard, Herlock Sholmès, et le jeune journaliste Isidore Beautrelet. Après un recueil de neuf nouvelles, Arsène Lupin, gentleman cambrioleur, et un recueil de deux nouvelles longues, Arsène Lupin contre Herlock Sholmès, « L’aiguille creuse » est le premier vrai roman « lupinesque » de Leblanc ; c’est un texte plus sombre, plus dramatique, et…plus passionnant. Un des meilleurs Arsène Lupin, parole d’Editions de Londres !
Bref résumé de l’aiguille creuse
Tout commence par un vol presque cinématographique dans le château d’Ambrumésy. Suzanne de Gesvres et Raymonde de Saint-Véran sont réveillées au milieu de la nuit par un bruit, descendent, et découvrent le comte de Gesvres et son secrétaire, étendus, apparemment morts, tandis qu’au loin dans le parc une silhouette s’éloigne tranquillement. Raymonde attrape un fusil et tire : l’homme est touché. Là où cela devient étrange, c’est que l’on ne retrouve nulle trace de l’homme blessé par Raymonde, que le Comte de Gesvres n’est pas mort, et que surtout l’on n’a rien volé. Le juge d’instruction n’y comprend rien. Nous non plus. C’est alors qu’arrive Isidore Beautrelet, prétendu journaliste, en fait jeune élève à Janson-de-sailly. Il va deviner les dessous de l’affaire, détail par détail, suscitant la méfiance puis l’admiration du juge d’instruction et de Ganimard, mais surtout rapidement les foudres de Lupin, puisque c’est bien lui qui est derrière tout cela. On apprendra donc successivement que des œuvres d’art ont bien été dérobées dans le château mais qu’elles ont été remplacées par des faux. Puis que Lupin avait bien été touché par la balle de Raymonde, et qu’il était resté des jours mourant sous le château, pendant que ses complices enlevaient un médecin parisien au vu et su de tout le monde afin de le soigner, que Raymonde s’est occupé de lui lors de sa convalescence, qu’ils sont tombés amoureux. Pendant ce temps, Beautrelet avance, découvre un morceau de papier oublié et couvert de chiffres, qu’il va décrypter au fil de l’histoire, au terme de mille péripéties. En dépit des efforts de Lupin pour l’arrêter dans sa course (il enlèvera son père, enlèvera Ganimard, Herlock Sholmès…), Beautrelet finira par percer le secret des rois de France, connu depuis Jules César, et redécouvert par Lupin.
Le roman d’Isidore Beautrelet
Leblanc, on le sait, s’inspire beaucoup de ses contemporains. De même que le personnage de Lupin fut largement inspiré par celui du cambrioleur Raffles (voir Arsène Lupin, gentleman cambrioleur), le personnage de Beautrelet apparaît pour la première fois dans « L’aiguille creuse » en novembre 1908, un peu plus d’un an après la naissance de Rouletabille sur la scène policière française avec Le mystère de la chambre jaune. Beautrelet répond selon nous à la volonté de Leblanc de suivre la mode au plus près (peut-on lui reprocher ?), mais aussi de chercher des personnages susceptibles de tenir la dragée haute à Lupin. Ainsi, Leblanc se rend vite compte que Ganimard ne fera pas le poids ; alors il introduit Herlock Sholmès dans le premier recueil de nouvelles, et le développe dans son deuxième recueil. Mais l’opposition Lupin- Sholmès ne peut devenir le ressort central de l’œuvre ; ce qui fonctionne à la grande rigueur entre Sherlock Holmes et Moriarty ne passera pas ici, surtout avec la personnalité empruntée de Sholmès. Alors, il invente Beautrelet, jeune journaliste intrépide, qui donnera Tintin quelques années après. Puis plus tard Leblanc inventera un nouvel adversaire, beaucoup plus original : la Comtesse de Cagliostro.
Un roman historique ?
« L’aiguille creuse » est par bien des aspects un roman policier truffé d’éléments historiques. L’action se passe comme toujours dans le cœur de la Normandie chère à Leblanc. Evidemment il y a le titre lui-même, « L’aiguille creuse », secret détenu par les rois de France depuis Jules César (qui n’était pas vraiment un roi de France, nous sommes d’accord). Et puis on y retrouve le livre d’heures de Marie-Antoinette, les sombres desseins de Louis XIV, une évocation presque « Dumas-ienne » du Masque de fer : ici, ce dernier n’est que l’auteur d’un petit livre intitulé « Le mystère de l’aiguille creuse ». Arrêté par le capitaine des gardes, il est conduit dans la forteresse de l’île Sainte Marguerite. Leblanc évoque aussi un complot de Cadoudal pour enlever Napoléon…C’est la narration d’un secret bien gardé, repassé de roi en roi, et qui survit aux remous de l’histoire, et parvient jusqu’au Gouvernement de la Troisième République, en dépit de la Révolution.
Un Arsène Lupin beaucoup plus sombre
Arsène Lupin, on l’oublie, ne cesse d’évoluer à ses débuts. Un peu symbolique par moments dans Arsène Lupin, gentleman cambrioleur, plus humain dans Arsène Lupin contre Herlock Sholmès, son personnage prend un tournant beaucoup plus sombre dans « L’aiguille creuse ». Ici, c’est clairement plus l’anarchiste que l’aristocrate que l’on voit en scène. D’ailleurs, ce n’est pas vraiment l’anarchiste ; pour la première fois, c’est le criminel. On est loin de l’élégance et la légèreté de Arsène Lupin, gentleman cambrioleur : pas trop gentleman, Lupin enlève le père de Beautrelet, menace une mère de tuer son enfant si elle parle, enlève Ganimard, Herlock Sholmès, un médecin connu…Il y a d’ailleurs beaucoup d’éléments dans « L’aiguille creuse » qui nous font dire : si Lupin était plus méchant, ce serait sans doute Fantômas. Outre les enlèvements, il y a ce lieu reclus, caché, anachronique, qui donne sur la mer, où Lupin se prélasse avec celle qui est devenue sa femme, il y a son sous-marin de poche évidemment, l’arrivée d’un torpilleur, et puis ce combat mortel à la fin avec un Herlock Sholmès furieux, et qui se termine par la mort de celle qu’il aime, et pour laquelle il était prêt à tout abandonner.
Aussi, un Lupin différent, plus vrai, plus fâché, se dévoile : « Et tu ne sais pas non plus toutes les ressources qui sont en moi…tout ce que ma volonté et mon imagination me permettent d’entreprendre et de réussir. Pense donc que ma vie entière est tendue vers le même but, que j’ai travaillé comme un forçat avant d’être ce que je suis… » ou « Je ne prétends point que ma modeste personnalité, qui, certes, en des temps plus héroïques, eût passé complètement inaperçue, ne prenne quelque relief en notre époque de veulerie et de médiocrité… »
Le plus grave et les plus sombre des Lupin. Il revient encore transformé dans « 813 », notre Lupin préféré !
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