« L’Assemblée des femmes » est écrite et représentée en 392 avant Jésus-Christ, à une époque où le siècle de Périclès n’est plus qu’un souvenir.
C’est une des dernières pièces d’Aristophane, probablement inférieure à Lysistrata, et la deuxième pièce dite « féministe » du poète grec qui nous soit restée.
L’idée de la pièce est simple : « …Je dis qu’il nous faut remettre le gouvernement aux mains des femmes. » Et la raison l’est tout autant : « …C’est à elles, en effet, que nous confions, dans nos maisons, la gestion et la dépense. »
Il est difficile de savoir, ne vivant plus à l’époque des Grecs anciens, si le but d’Aristophane est de se moquer des femmes, ou au contraire de les louer. Les Editions de Londres considèrent que la vérité est probablement entre les deux. Comme Molière qui s’en inspire vaguement dans L’Ecole des femmes, Aristophane veut probablement se moquer de la société en délitement qui l’entoure, se moquer des institutions politiques, et louer les femmes tout en les moquant.
Ce qui frappe avant tout, et comme toujours, c’est la modernité d’Aristophane. Que l’on aime ou que l’on n’aime pas, la simplicité du langage, l’absence de longs monologues, la vivacité des dialogues, parsemés de blagues, d’allusions obscènes, font que la pièce se lit toute seule, et préfigure les farces du Moyen-Âge, et même celles qui survivent de nos jours comme Les visiteurs. La scène où un jeune homme est pressé, selon les nouvelles lois en vigueur, de satisfaire les envies de trois horribles mégères avant d’avoir le droit de coucher avec sa dulcinée, a sûrement suscité les rires de l’audience exclusivement mâle de l’époque de même qu’elle susciterait les mêmes rires aujourd’hui si elle était adaptée au goût du jour.
Les idées progressistes parsèment « L’assemblée des femmes ». Ainsi, vingt cinq siècles avant Marthe Richard, Praxagora recommande la suppression des filles publiques. Les critiques d’Aristophane diront que c’est un réactionnaire qui se moque des réformateurs. Alors étonnant progressiste ou infâme réactionnaire ? Est-ce si simple ?
Ce qui frappe aussi dans la lecture d’Aristophane, c’est que l’on y comprend la non-linéarité de l’histoire. Les idées et les mœurs n’évoluent pas de façon linéaire, progressive, comme voudraient nous le faire croire les idéologies de gauche, mais malheureusement ce qui semble acquis ne l’est jamais, et les retours en arrière, la répétition des erreurs, les déclins et les âges d’or sont ce qui font la trame de l’histoire des hommes, pas l’inexorable avancée du progrès. On peut en rêver à l’échelle d’une vie d’homme ; pourtant il n’y a pas de marche inexorable du progrès. C’est en l’admettant que l’on se protégera contre les retours périodiques de la barbarie.
Un autre aspect fort intéressant de « L’Assemblée des femmes », c’est le système social qui y est préconisé, dont Aristophane se moque mais qu’il évoque tout de même, probablement inspiré par certaines théories de l’époque.
Ainsi Praxagora : « …Je dis qu’il faut que tous ceux qui possèdent mettent leurs biens en commun, et que chacun vive de sa part ; que ni l’un ne soit riche, ni l’autre pauvre ; que l’un ait de vastes terres à cultiver et que l’autre n’ait pas de quoi se faire enterrer ; que l’un soit servi par de nombreux esclaves, et que l’autre n’ait pas un seul suivant : enfin, j’établis une vie commune, la même pour tous. »
Nous avons ici un exemple marquant de prémisse des idées communistes. Praxagora décrète la fin du paupérisme par la mise en commun de tous les biens sous l’égide d’un gouvernement central.
Alors, Aristophane ? Réactionnaire, conservateur, progressiste, communiste, vulgaire, grossier, obscène, bouffon, outrancier, licencieux, patriote, poujadiste, utopiste ? Pas étonnant que la gauche et la droite le détestent, que les prudes comme les dépravés s’en écartent. Pas étonnant donc qu’aux Editions de Londres, nous l’aimions.
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