« L’éclat d’obus » est un roman de Maurice Leblanc publié en 1915, puis remanié et republié en 1923. « L’éclat d’obus » est un roman un peu à part dans l’œuvre de Maurice Leblanc puisque, d’abord conçu comme un grand roman patriotique, c’est aussi un roman d’espionnage mais surtout parce que Leblanc a décidé d’inclure Arsène Lupin huit ans plus tard lors de sa réécriture, ne serait-ce que pour une fugitive apparition de deux pages, laquelle pourtant éclaire le roman d’un regard nouveau. Les Editions de Londres ont choisi de publier la deuxième version, celle de 1923, avec Arsène Lupin.
Résumé
Eté 1914, Paul Delroze et Elisabeth d’Andeville viennent de se marier. Paul raconte un souvenir à Elisabeth : enfant, en se promenant avec son père, il a rencontré Guillaume II dans une forêt. C’est en 1898, et le Kaiser n’a pas l’air satisfait d’être surpris dans un lieu aussi insolite, sur le territoire français, par ces deux promeneurs. Une femme s’approche du père de Paul, lui parle, le prie d’aller à la rencontre de Guillaume II, ce que le père de Paul refuse. Soudain, elle sort un couteau et le tue.
Elisabeth a écouté Paul ; si elle a toujours son père, elle aussi a perdu sa mère enfant. Paul et Elisabeth vont dans son château à elle. Elle veut lui montrer la chambre de sa mère. Sur le mur, Paul aperçoit un tableau. Cette femme sur le tableau, avec un camée en forme de serpent d’or avec des yeux de rubis, et ce fichu de dentelle noire autour des épaules, c’est bien la femme qui a tué son père. Abasourdi, Paul abandonne Elisabeth et quitte le château de Corvigny où ils sont logés, il traverse le parc immense, et par hasard retrouve les lieux mêmes où son père fut assassiné. Plus incroyable encore, il est alors attaqué par deux hommes, se défend, et en aperçoit un troisième qui ressemble à s’y méprendre à la femme qui tua son père seize ans plus tôt.
Puis la guerre est déclarée. Paul, qui n’a plus rien à perdre, se distingue par sa bravoure et d’extraordinaires exploits. Il est rejoint dans le même régiment par son jeune beau-frère, Bernard d’Andeville. Celui-ci lui fait par d’une rencontre curieuse : une femme déguisée en paysanne qui cherche Paul, mais qui selon la description de Bernard ressemblerait à la femme du tableau. Paul et Bernard apprennent ensuite que les Allemands occupent le château d’Ornequin. Quand ils y arrivent, ils découvrent les cadavres des gardiens, Jérôme et Rosalie, exécutés par les Allemands, ainsi que des indices suggérant qu’Elisabeth elle aussi a été fusillée. D’autres évènements étonnants suivent : la mort de deux soldats français dans le château la nuit, la découverte d’un couteau avec les lettres « HERM ». Puis Paul découvre le journal d’Elisabeth qui raconte son calvaire de façon pathétique. Certaines pages clé ont été arrachées.
Le beau-père de Paul le rejoint aussi sur le front. Il l’accuse d’être parti en abandonnant sa femme Elisabeth. Paul veut apprendre ce que sait son beau-père sur la mystérieuse femme du tableau. Ils se disputent. Puis Paul capture le major Hermann, cet homme qui ressemble tellement à la mystérieuse femme responsable de la mort de son père. Mais le major Hermann parvient à prendre la fuite à la faveur d’une attaque allemande. Paul est blessé. Pourtant, une fois remis, il repart pour une mission secrète du côté prussien. Bernard d’Andeville l’accompagne. Tous deux découvrent un tunnel aux dimensions étonnantes apparemment creusé par les Prussiens. Quand Bernard s’émerveille des dons d’observation et de déduction de Paul, et qu’il le compare à Arsène Lupin, Paul lui répond qu’il ajustement rencontré Arsène Lupin au cours de sa convalescence. Celui-ci lui a donné quelques conseils, puis a disparu aussi vite qu’il était venu.
Paul et Bernard entrent dans le tunnel, parviennent dans un château, où ils découvrent Elisabeth et la femme mystérieuse, entourant le prince Conrad, fils du Kaiser, qui s’est épris d’Elisabeth, et veut en faire une nouvelle conquête. Dans un élan d’audace inouïe, ils enlèvent le Prince Conrad. Bernard l’emmène en territoire français tandis que Paul retient ses poursuivants dans le tunnel. Encore d’autres retournements, et finalement, Paul retrouve Elisabeth, saine et sauve, puis va à la rencontre de la Comtesse Hermine alias le Major Hermann, pour une confrontation finale où tous les mystères de cette affaire s’éclairciront, où il comprendra enfin l’énigme du tableau et de la mort de son père.
Un roman de guerre patriotique
C’est comme si deux objectifs s’étaient entrecroisés dans le projet de Maurice Leblanc ; d’un côté, un grand roman d’espionnage à la 813, de l’autre un élan de rage patriotique, spontanée ou calculée afin d’obtenir l’effet désiré, c'est-à-dire rallier la France assaillie et assaillante, qui prépare sa revanche depuis quarante-quatre ans. Il y a donc deux registres au roman. Le registre patriotique comme d’habitude fera grincer les dents de ceux qui savent mieux que tout le monde, et pour lesquels un roman ancré dans un contexte guerrier et surtout revanchard n’est pas digne de leur attention et est surtout bon pour les poubelles de la littérature. A cela, nous disons seulement ceci : que des hommes pas spécialement guerriers comme Leblanc ou Bernède nous pondent des romans « patriotiques », qu’un homme comme Dorgelès s’indigne du chef d’œuvre de Radiguet, est-ce que cela ne veut pas dire quelque chose ? C’était une autre époque, admettons notre difficulté à nous y projeter, mais par respect pour le million cinq cent mille hommes qui sont morts du côté français et le million d’allemands qui sont tombés, bêtement, aux ordres d’institutions incompétentes ou tyranniques, ne jugeons pas trop hâtivement ce que nous comprenons mal.
Ceci dit, les Prussiens y sont peints comme des barbares venus de l’Est, et la glorieuse nation française y est présentée sous son meilleur jour. Pour un roman écrit en 1914 dans sa première version, c’est de bonne guerre, dirons-nous : que celui qui connaît assurément son comportement dans de telles circonstances leur jette le premier obus.
Quant à la partie espionnage du roman, elle est parfois abracadabrante, mais tient habilement en haleine, puisque comme à son habitude, Maurice Leblanc accumule les détails mystérieux, lesquels seront tous élucidés à la fin, dans une bonne tradition française du policier des débuts (si différente de la tradition britannique ou américaine) où rien, absolument rien, ne sera laissé au hasard. Il est clair que Paul Delroze, c’est un Lupin jeune sorti de son contexte social pour combattre du côté du Bien, contre le Mal, incarné par tous les Allemands (bien que curieusement, une nouvelle fois, Guillaume II soit plutôt moins malmené que les autres, mais c’est probablement un respect atavique du monarque). La capacité de déduction de Delroze est tout bonnement extraordinaire. Mais au final, si ce n’est pas son meilleur, un bon roman.
Les femmes dans les romans de Maurice Leblanc
Un dernier point, on ne peut pas ne pas remarquer qu’une nouvelle fois (voir l’ambiguité du tueur de 813, voir La Comtesse de Cagliostro…), le tueur est une femme, et cette fois-ci, c’est même un être bizarre et androgyne. Et on ne peut pas non plus dire que ce soit une simple mode littéraire, puisque l’ambiguïté du personnage de Belphégor chez Arthur Bernède est d’un tout autre ordre. Non, la misogynie de Leblanc est claire, et se teinte certainement d’une certaine homophobie, dont il faudrait chercher les sources dans son histoire personnelle, qui n’est pas exempte de traumatismes (maison qui brûle quand il a quatre ans, envoyé en Ecosse seul sans ses parents au moment de la guerre de 1870…). Ainsi, de même que Conan Doyle fait preuve par le biais de son héros Sherlock Holmes d’une misogynie toute britannique, Maurice Leblanc a des comptes à régler avec le genre féminin. Nous y reviendrons avec la Cagliostro, personnage qui éclaire le personnage et l’univers d’Arsène Lupin d’une lumière nouvelle.
© 2012- Les Editions de Londres