La guerre a provoqué de tels bouleversements que bien peu de personnes se souviennent aujourd’hui de ce qui fut, il y a quelques années, le scandale d’Hergemont.
Rappelons les faits en quelques lignes :
Au mois de juin 1902, M. Antoine d’Hergemont, dont on apprécie les études sur les monuments mégalithiques de la Bretagne, se promenait au Bois avec sa fille Véronique, lorsqu’il fut assailli par quatre individus et frappé au visage d’un coup de canne qui l’abattit.
Après une courte lutte, et malgré ses efforts désespérés, Véronique, la belle Véronique comme on l’appelait parmi ses amies, était entraînée et jetée dans une automobile que les spectateurs de cette scène très rapide virent s’éloigner du côté de Saint-Cloud.
Simple enlèvement. Le lendemain, on savait la vérité. Le comte Alexis Vorski, jeune gentilhomme polonais, d’assez mauvaise réputation mais de grande allure, et qui se disait de sang royal, aimait Véronique d’Hergemont et Véronique l’aimait. Repoussé par le père, insulté même par lui à diverses reprises, il avait combiné l’aventure sans que Véronique, d’ailleurs, en fût le moins du monde complice.
Ouvertement, Antoine d’Hergemont, qui était — certaines lettres rendues publiques l’attestèrent — violent, taciturne, et qui, par son humeur fantasque, son égoïsme farouche et son avarice sordide, avait rendu sa fille fort malheureuse, jura qu’il se vengerait de la manière la plus implacable.
Il donna son consentement au mariage, qui eut lieu, deux mois après, à Nice. Mais, l’année suivante, on apprenait une série de nouvelles sensationnelles. Tenant sa parole de haine, M. d’Hergemont enlevait, à son tour, l’enfant né du mariage de sa fille avec Vorski, et, à Villefranche, prenait passage sur un petit yacht de plaisance nouvellement acheté par lui.
La mer était forte. Le yacht coula en vue des côtes italiennes. Les quatre matelots qui le montèrent furent recueillis par une barque. D’après leur témoignage, M. d’Hergemont et l’enfant avaient disparu au milieu des vagues.
Lorsque Véronique eut recueilli la preuve de leur mort, elle entra dans un couvent de Carmélites.
Tels sont les faits. Ils devaient entraîner à quatorze ans de distance l’aventure la plus effroyable et la plus extraordinaire. Aventure authentique, cependant, bien que certains détails prennent, au premier abord, une apparence en quelque sorte fabuleuse. Mais la guerre a compliqué l’existence au point que des événements qui se passent en dehors d’elle, comme ceux dont le récit va suivre, empruntent au grand drame quelque chose d’anormal, d’illogique et, parfois, de miraculeux. Il faut toute l’éclatante lumière de la vérité pour rendre à ces événements la marque d’une réalité, somme toute assez simple…