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Fantastique histoire de Tsang-Tso-Lin

Tsang-Tso-lin, chef des bandits Hong-Houzes, autrement dits moustaches rouges, super-toukiun du Fang-tien, maréchal de l'armée chinoise, roi de Mandchourie, dictateur de Pékin, tyran absolu, illustre de Singapour à Yokohama (les gloires aussi ont leurs frontières), un as !

Il naquit dans le Sud d'un père coolie-pousse et d'une mère ravaudeuse de hardes. Préférant la volupté de traîner sa natte dans les égouts chinois à l'orgueil d'être un lettré, il n'apprit pas à lire. Il cherchait des plantes aux sucs mystérieux pour guérir les animaux malades de mauvais traitements. Ce fut sa première vocation, devenant vétérinaire comme d'autres s'installent rebouteux.

Mais le Japon décide de sabrer la Chine. Nous sommes en 1894. Le petit pouilleux Tsang, raflé par les recruteurs, est enrôlé dans les armées de l'empe­reur de Chine. On lui met des chaussures, on lui passe une tunique. Ça le gêne. Il déserte.

On le traque. La maréchaussée bat la cam­pagne, forçant ses pareils. S'il est pris, il perd la tête pour l'exemple. Il fuit et tombe près de Nuzian, dans la ferme Saint-Joseph que tiennent les sœurs de la Providence, françaises, saintes filles et hautes âmes.

Il dit que ses ennemis sont à ses chausses, sup­plie qu'on le cache. On le cache. Il devient domes­tique, trait les vaches, va au puits. Deux semaines passent. L'hospitalité chrétienne touche à sa limite. On va le renvoyer. Il implore.

— Alors, fais-toi catéchumène.

Va pour le Christ ! Il se fait catéchumène.

On lui apprend les prières apostoliques. Son triomphe est le Credo. Il le chante comme un refrain de café-concert, en tondant les moutons. Mais les guerres ont toutes une fin. Il le faut pour qu'elles puissent recommencer ! Et les gendarmes alors dis­paraissent des routes. Tsang sait cela. Il flaire. La voie est libre, il détale, plantant là son salut éternel.

Il revient dans son pays, à Newch-Wang. Il a vingt-deux ans, c'est le bel âge pour choisir une car­rière. Sur le chemin du retour, il a trouvé sept fusils. Il racole six clampins de son âge. Avec lui comme chef, cela fait aussitôt sept brigands.

Ses premiers pas annoncent l'homme qu'il sera. Il établit les lois de sa compagnie. Sa main est de fer. Ses brigands n'auront pas le droit d'attaquer dans le village. Ils n'ont champ libre qu'à deux lis (douze cents mètres) de la dernière maison. Ils ne chercheront d'abord qu'à dépouiller le passant, tueront s'il le faut, mais ne tortureront que s'il y a lieu.

Ses affaires vont au mieux. Sa maîtrise impose. On vient à lui. Sa troupe s'enfle. Les Hong-Houzes, ou moustaches rouges, fameux bandits de Mandchourie, dont les lettres de noblesse remontent au­-delà du déluge — Noé, pour en conserver la race, ayant emmené deux des leurs dans son arche — , se rangent sous son sabre. C'est la puissance. Tsang règne sur une province.

Dix ans passent vite. Les Japonais et les Russes tombent alors subitement amoureux fous du pays du Matin Calme, qui porte le joli petit nom de Corée. Ils décident de s'entre-tuer pour les beaux yeux de cette fiancée. C'est la guerre. Sur les champs où elle doit mener sa danse macabre, le coupe-tête Tsang-Tso-lin est une force. Les Japonais louent Tsang-Tso-lin, lui donnent argent, armes, souliers et bénédictions.

Le voilà espion et franc-tireur.

La guerre cesse. Tsang est riche. Il tient main­tenant la Mandchourie entière sous son pistolet. Ce n'est plus un bandit sans référence, c'est un chef de bandes chevronnées. L'Empire chinois ne peut plus ignorer Tsang. On doit compter avec lui. On lui offre d'entrer dans l'armée régulière avec grade de colonel et décoration du Tigre (troisième classe). Le compère se tâte, sourit intérieurement, accepte.

Le voilà officier supérieur de l'armée de l'Empire. On lui laisse entendre que sa carrière serait tout de même plus rapide s'il donnait une preuve de sa conversion. L'ambition le tient, les Japonais aussi, qui lui disent : « Va donc ! » Il donnera les preuves que l'on voudra.

L'occasion se présente. Pékin désirerait se débar­rasser de Tou-Ii-San, autre chef de moustaches rouges.

Tsang-Tso-lin invite Tou-Ii-San à déjeuner. C'est son vieux copain, son frère de lait en brigan­dages. Tou-Ii-San accourt. Le repas est de choix. Il y a des ailerons de requins, du canard laqué et le vin ambré colore l'intérieur des petites coupes de porcelaine. Heureux, les deux compagnons évoquent leurs plus beaux crimes.

« Te souviens-tu ?.. » Comme c'est beau l'amitié !

La fête est finie. Tsang accompagne Tou jusqu'à la porte. Les politesses de cérémonie durent longtemps. Enfin, Tou met le pied dans la cour. Un peloton l'attend et le fusille en marche. Tsang-­Tso-lin fait décapiter Tou-li-San. Il saisit la tête, saute à cheval, éperonne sa bête, arrive bride abattue au palais du vice-roi et pose le trophée tout chaud sur le bureau impérial.

Tsang était devenu honnête homme.

C'est la première phase de sa vie.

Voici la seconde :

Le maréchal tartare, qui commandait alors dans Moukden, prend peur de Tsang. Il l'expédie en Mongolie. Tsang sait déjà que dans la vie des hommes illustres il est des moments où ils doivent s'effacer. Il va en Mongolie.

Soudain, la Révolution chinoise éclate. Nous sommes en 1911. Le maréchal tartare fait défection à l'Empire. Le vice-roi de Mandchourie se tourne vers Tsang-Tso-lin. Le colonel Tsang rentre de Mongolie et étrille le maréchal tartare.

Mais c'est le maréchal qui avait vu juste : la République l'emporte. Qu'importe ? Tsang n'en est pas à un régime près. Au nom de la République, il fait alors tomber les têtes, comme il faisait hier au nom de l'Empire et avant-hier au nom de Mandrin. Il s'y connaît. C'est son métier ! Grâce à lui le calme renaît. Il est nommé général.

Alors, il appelle les chefs de brigands ses amis et les nomme d'office capitaines dans l'armée régu­lière. La Chine, suivant sa norme, entrait dans une période de décomposition. L'heure de Tsang avait sonné. Il se proclame vice-roi de Mandchourie, se fait maréchal et s'adjuge le sceau des neuf lions.

Le film maintenant se précipite.

Une autre guerre, en 1914, dit-on, occupa le monde et donna naissance aux bolcheviks. Bref, ces temps-ci, les bolcheviks envahissaient la Mongolie. Tsang en ressentit durement l'injure. Il se tourne vers Pékin. Il exige trente millions de dollars pour chasser Lénine de Mongolie. Pékin s'incline. Tsang empoche. Il va se mettre à la tête de ses armées. Cependant il ne peut partir qu'un jour faste, il consultera les sorts, la tortue et l'achillée. Les sorts n'ayant pas répondu (qu'il dit), il n'alla pas en Mongolie.

Mais... il constitue un gouvernement : commis­sariat des Affaires étrangères, des Finances, de l'Inté­rieur, de l'Instruction publique (il ne sait pas encore lire) ; une cour : maître des cérémonies, cham­bellan ; une garde d'honneur de mille hommes qui ne compte que des coupe-jarrets ayant au moins à leur tableau deux crimes bien pesés. Son fils, vingt ans, est bombardé général et la commande.

Un ordre terrible règne en Mandchourie. Il est impitoyable pour les pillards, les irréguliers, les bandits.

FIN DE L’EXTRAIT

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