« La Commune de Paris » est un texte de Kropotkine écrit en 1880. Il revient neuf ans plus tard sur les acquis de la Commune et sur son message politique et révolutionnaire.
La perspective de Kropotkine
Dés le début, Kropotkine entre dans le vif du sujet (au passage, quel bonheur que ces philosophes behavioristes, dont les mots sont à la mesure de l’action) : il nous rappelle que le peuple de Paris s’insurge le 18 Mars 1871, et proclame la ville de Paris « indépendante, libre, s’appartenant à elle-même. » Il décrit l’épisode, sans coup de fusil ni effusion de sang, la fuite du pouvoir central, des bourgeois et des fonctionnaires vers Versailles (lire Bas les cœurs ! de Georges Darien). Il explique qu’elle naquit dans l’esprit collectif, que ce fut une révolte spontanée, un coup de sang et non pas une de ces idées pondues par un philosophe. Il rappelle la grande question qui divisa les socialistes dans les années précédant la Commune, à savoir : « le mode de groupement politique des sociétés », et la réponse de l’AIT : « le groupement…doit s’étendre par-dessus les frontières artificielles. » Deux courants d’idées s’opposèrent : l’Etat populaire, et l’Anarchie. Il rappelle aussi que pour beaucoup, l’Etat populaire « eût été la pire des tyrannies » Il raconte la fin de la Fédération des Communes, qui succomba à l’assaut conjugué des bourgeois terrorisés et des Prussiens.
Il revient ensuite sur les acquis de la Commune. « La Commune enthousiasme les cœurs, non par ce qu’elle a fait, mais parce qu’elle promet de faire un jour. » Quelle est cette idée, s’interroge t-il ? « c’est l’idée de la révolution sociale cherchant à s’établir enfin, après tant de siècles de luttes, la vraie liberté et la vraie égalité pour tous. » Kropotkine revient sur le contexte de la Commune, et rappelle que « le communisme autoritaire, gouvernemental et plus ou moins religieux de 1848 n’avait plus de prise sur les esprits pratiques et libertaires de notre époque. » Il reproche d’ailleurs à la Commune d’avoir cédé à la facilité et de s’être doté d’un gouvernement.
Puis il réfléchit sur le futur, considère que c’est « en abolissant la propriété individuelle, que les Communes de la prochaine révolution affirmeront et constitueront leur indépendance. » Toujours enclin aux considérations économiques, Kropotkine rappelle que le travail et la productivité sont indissociables de la liberté, idées bien intégrées par les socialistes de nos jours, puisque le socle de la pensée économique socialiste, c’est que la transformation économique est indissociable de la transformation sociale. Il évoque l’émergence de l’idée du collectivisme doctrinaire, qui distingue le capital qui sert à la production, bien collectif, et les habitations, produits manufacturés, les vêtements, les denrées, biens individuels, et en cela s’oppose aux vues de l’anarchisme, ou selon Kropotkine du communisme anti-autoritaire (pour nous, l’anarchisme et le communisme anti-autoritaire sont deux choses bien différentes). Kroptokine rappelle ensuite : « Tout gouvernement central, se chargeant de gouverner une nation, étant formé fatalement d’éléments disparates, et conservateur de par son essence gouvernementale, ne serait qu’un empêchement à la révolution. »
Enfin il fustige la religion du gouvernementalisme et met en garde les futurs révolutionnaires, d’une façon qui nous semble visionnaire : « L’émancipation du prolétariat ne sera même pas possible, tant que le mouvement révolutionnaire n’embrassera pas les villages. »
L’histoire de la Commune
L’expérience de la Commune dura deux mois, du 18 mars 1871 jusqu’au 28 mai 1871, terme de la semaine sanglante, dont la répression fit trente mille morts, un des plus grands massacres de l’histoire de France, ainsi que la déportation de près de cinq mille communards en Nouvelle Calédonie. C’est une page sombre, sanglante et méconnue de l’histoire de France. Une page que l’on voudrait oublier, mais qui transforme radicalement l’écriture de l’histoire.
L’inspiration de la Commune est multiple : la première République et le gouvernement révolutionnaire de la Commune de 1792, mais aussi l’insurrection de 1848, réprimée par le Gouvernement issu de la révolution de février 1848. C’est pour cela qu’aux Editions de Londres nous nous méfions des gouvernements révolutionnaires, comme nous nous méfions de tout gouvernement. D’ailleurs un vrai libéral du Dix Huitième siècle n’a d’autre option dans un monde surgouverné, surcentralisé, que le refus en bloc, et donc une tentation anarchiste.
Un autre aspect méconnu de la Commune, c’est qu’elle est née en grande partie d’un mouvement patriotique de gauche. Petite mise au point au passage : la gauche moderne française n’a toujours pas compris qu’avoir abandonné le patriotisme à la droite, dont le passif sur le sujet est plus que douteux (Thiers, Laval…) est probablement la plus énorme des imbécillités, et de plus est presque anti-historique, puisque ce sont les gouvernements révolutionnaires de gauche qui eurent dans l’histoire de France à faire ou à préparer la guerre (la Révolution, la volonté de la gauche de ne pas abandonner la lutte face aux Prussiens, l’effort d’armement qui ne commence qu’avec le Front Populaire, le CNR amorcé par les Communistes...). Mais ceci n’est encore qu’une des nombreuses falsifications historiques produites par ceux à qui, aux Editions de Londres, nous n’accordons pas la moindre légitimité. En effet, c’est bien la droite de Thiers qui négocia une paix honteuse avec l’occupant, après avoir engagé la France dans une guerre absurde, puis avoir sacrifié des centaines de milliers de soldats des campagnes sur les champs de l’Est, et enfin avoir vendu l’Alsace et la Lorraine…
L’autre aspect qui nous semble intéressant, c’est que les grandes transformations parisiennes engagées par Napoléon IIII et son grand vizir Haussmann, de façon à expulser les pauvres de leur Paris chéri, conduisit rapidement à la disparition de la mixité sociale, et que c’est certainement cette absence de mixité qui provoqua et facilita la révolte spontanée que fut la Commune. D’ailleurs, on pourrait presque voir dans Thiers un inspirateur d’Haussmann : en effet, Thiers commença les fortifications de Paris sous Louis-Philippe, dans un but de protection contre l’ennemi, mais surtout dans le but de faciliter la répression de toute révolution populaire. Allez, on vous simplifie la tâche : le Dix Neuvième siècle français, c’est avant tout une lutte de la bourgeoisie pour asseoir sa domination sur le peuple urbain, et d’éteindre toute velléité de cette classe ouvrière naissante d’améliorer son sort.
La Commune fut surtout un extraordinaire mouvement démocratique, populaire et spontané, qui pour nous n’est certainement pas sans rappeler l’expérience barcelonaise de 1936 au début de la Guerre d’Espagne (à lire Hommage à la Catalogne de George Orwell). Au début, toutes les tendances politiques y sont représentées, jacobins, anarchistes, blanquistes, proudhoniens… Un Conseil de la Commune est élu, dominé par une majorité de Jacobins, blanquistes et indépendants.
Mais la Commune c’est une formidable expérience de démocratie directe, dont bien souvent l’institutionnalisation et la codification visent à abolir l’élan. La Commune fut l’occasion d’élections à répétition, mais surtout l’opportunité de véritables dialogues directs, dans les cafés, dans les clubs, sans lesquels nulle démocratie ne saurait exister. La liberté de la presse fut totale, au moins au début (les journaux versaillais furent interdits au bout d’un temps). Ainsi, plus de soixante-dix journaux furent créés pendant les soixante dix jours que dura la Commune.
D’un certain point de vue, la Commune revient aux idées de 93, mais les ramène à la vie, à l’instar du calendrier républicain qui est réintroduit. C’est le retour de la démocratie directe. Mais les avancées de la Commune frappent avant tout par leur foisonnement et leur modernité. Ainsi, un énorme travail social est produit : autogestion, encadrement par les salariés, interdiction des retenues sur salaires, indication de salaire minimum…
Les avancées féministes sont elles aussi nombreuses : la Commune reconnaît l’union libre, demande l’égalité des salaires…
Et les avancées laïques : le 2 Avril, la Commune réclame la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Ainsi, loin d’être ce Paris livré à la canaille, la Commune est le retour à l’inspiration révolutionnaire, enrichie par l’élan local, sans la centralisation liberticide de la Révolution. Il faudra toutes les sordides alliances et manigances du gouvernement Thiers pour mettre fin à l’expérience fédéraliste communarde. Il leur faudra s’allier avec l’occupant afin de tuer leur propre peuple. Mais les tortionnaires des Communards ne s’arrêtent pas là ; ils vont plus loin, ils font le ménage, et massacrent, déportent, humilient, construisent (c’est quand même fort) le Sacré Cœur pour (tenez vous bien) expier les crimes des Communards. Si Les Editions de Londres étendaient leur activité libre penseuse en dehors du champ littéraire et se voyaient octroyer un champ urbanistique, elles commenceraient par la destruction du Sacré Cœur, avec explosion au milieu de la nuit, et retombées de pierre sacrée dans les infusions au jasmin sur les mezzanines bobo au petit matin.
Les points de vue sur la Commune et l’héritage
Il ne fait aucun doute que les étrangers (enfin, ceux qui s’intéressent au progrès social) considèrent à l’instar de Marx ou de Lénine la Commune comme la première vraie insurrection populaire. Nous, aux Editions de Londres,nous voyons dans la Commune l’une des vraies expériences anarchistes avec l’expérience barcelonaise de 1936, et en dépit de ses excès condamnables, une formidable expérience de démocratie directe avec tout ce qu’elle représente de positif et de créatif, et de visionnaire : féminisme, structures démocratiques, fonctionnement de la démocratie, avancées sociales, sur le monde du travail, autogestion, absence d’un gouvernement central oppresseur et dominateur, indépendance, courage, liberté de la presse, réformes de la justice…
Mais tout cela est complètement oblitéré par la doxa sociale française : la Commune, on en parle à gauche comme d’une velléité un peu coupable d’indépendance locale, et la gauche française, tellement inspirée par le dogme de la Révolution, se méfie comme de la peste de tout pouvoir anticentralisateur, et à droite, alors là, la Commune, c’est la canaille qui bouffe des rats pendant le siège, tue les prêtres, démolit la colonne Vendôme (magnifique réalisation que nous avons mis en couverture), sert d’exemple à Lénine, et gâche les joyeux débuts de la IIIe République (voyons un peu ces débuts : collaboration avec l’occupant, abandon de l’Alsace et de la Lorraine, massacre de trente mille de ses citoyens, déportation des autres en Nouvelle-Calédonie, colonisation à tire-larigot, retour à l’ordre bourgeois avec exploitation débridée…). Mais la vraie explication de l’occultation quasi-totale de la Commune dans notre histoire collective, et surtout dans l’enseignement, c’est évidemment ce besoin paysan conservateur, d’ordre, de sécurité qui nous pollue la fibre depuis plusieurs siècles, mais aussi, et c’est presque pire, ce sentiment que la Commune, si on en révélait les acquis, si on en montrait l’élan moderne et généreux, et bien, cela polluerait un peu le sacro-saint dogme de la Révolution, dont on nous rabat les oreilles depuis deux siècles. A ces gens là, il faudrait qu’un jour, quelqu’un leur explique qu’une Révolution ne se transforme pas en dogme, sinon ça pourrit. Une révolution ça n’existe que dans le présent, ce qui en reste c’est l’esprit, et la Commune, de par ses magnifiques réalisations, c’est une belle illustration de cet esprit. Il faudrait à la Commune un phare littéraire, l’équivalent d’un Hommage à la Catalogne, d’un Pour qui sonne le glas, d’un L’espoir. Avis à la population, Les Editions de Londres cherchent auteur : envoyez vos manuscrits ! Merci pour eux.
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