« La Farce du cuvier » est une pièce de théâtre médiévale, datant de la fin du Quinzième siècle, et dont on ne connaît pas l’auteur, donc une farce anonyme. C’est une des comédies les plus célèbres du Moyen-Âge, probablement écrite en dialecte picard, et c’est surtout avec La Farce de Maître Pathelin un des exemples les plus célèbres de la farce.
La Farce, un genre médiéval ?
La Farce naît selon nous avec Plaute, notamment avec La comédie de la Marmite. La Farce avant tout a pour but de faire rire, et faire rire souvent aux dépens des autres. Les autres sont des personnages type, victimes ou caricatures de sentiments humains qui n’ont rien de glorieux mais qui créent un lien avec l’audience, confortablement assise dans un théâtre de pierre comme à Athènes, ou face à un théâtre en bois, comme ceux que Plaute construisit probablement à ses débuts à Rome et sur lesquels il fit plus tard jouer ses pièces et connut la gloire et le succès, ou encore sur une place publique, sous les arbres, face à des tréteaux qui tiennent lieu de scène comme au Moyen-Âge.
Si les origines sont donc ancrées dans l’antiquité gréco-romaine, principalement Athènes et Rome, et sa naissance avec Plaute, le mot « Farce » apparaîtrait au Xème siècle. Apparemment, les thèmes de la farce, ou alors les prémices de la farce, renvoient aux monologues qui entrecoupaient les représentations théâtrales d’inspiration religieuse que l’on appelle les Mystères. C’étaient des monologues comiques censés amuser le public, des intermèdes où apparaissent des personnages différents, jongleurs ou bateleurs, plus proches de la vie quotidienne des spectateurs.
Avant tout, la Farce est un nouveau pas de la littérature ou de la tradition artistique vers la sortie du Sacré. Elle ne donne pas vraiment de cours de morale, n’utilise pas d’allégories, de fées. De nature satirique, elle peint les gens souvent de condition modeste, les gens de la ville, avec leurs caractères types, marchands roublards ou malhonnêtes, mendiants voleurs, faux aveugles, gamins débrouillards et vils, descendants des esclaves rusés à la Strobile comme dans La comédie de la Marmite, ancêtres des valets roués comme Sganarelle ou Scapin, femmes volages, matrones autoritaires ou martyrisant leurs maris, vieillards libidineux, juges malhonnêtes. Ancêtre de la comédie de mœurs, elle s’aventure parfois sur le terrain de la critique sociale par le biais de la satire. Souvent cruelle, portrayant sa morale par l’immoralité des comportements humains, la Farce est probablement ce qu’il ya de plus indémodable ; c’est un des fils conducteurs le plus forts liant les traditions et les genres littéraires.
De plus, la farce s’illustre par son langage, vif, gouailleur, parfois grossier, plein de connotations sexuelles, mais la farce s’illustre aussi par le dynamisme des scènes qui s’enchaînent sans pauses convenues, sans schémas à la structure trop rigide, sans exagérations trop poussées nuisant au réalisme du monde dépeint. De par ses intrigues simples, son contexte atemporel, ses caractères types mais différenciés, non codifiés (à la différence par exemple de la Commedia dell’Arte, qui pourtant tire en partie ses origines d’un fond commun à la farce), sa peinture des mœurs, la vivacité de ses dialogues, l’inventivité du langage (voir La Farce de Maître Pathelin, la Farce est un des genres littéraires les plus vivants, les plus souples, et donc les plus modernes.
La Farce médiévale, un genre né dans le Nord de la France ?
C’est sûrement la richesse industrielle et commerciale, et le dynamisme démographique qui l’accompagnent, qui expliquent la floraison culturelle et théâtrale en Picardie et dans le Nord, à partir du Treizième siècle, avec comme villes phare Arras et Tournai. Arras est en partie dominé par Adam de La Halle, avec entre autres Le Jeu de la Feuillée, sotie avec beaucoup des éléments de la farce. Mais si Arras reste le berceau du théâtre comique médiéval avec « Le jeu de Saint-Nicolas », « Courtois d’Arras », Le Jeu de Robin et Marion, et bien sûr Le Jeu de la Feuillée, le Nord est probablement le terreau de la farce.
Citons dans un ordre chronologique approximatif :
« Le garçon et l’aveugle », pièce anonyme, probablement jouée entre 1266 et 1282 à Tournai, La Farce de Maître Pathelin, composée vers 1460 en francien, « La Farce du pâté et de la tarte », fin du Quinzième siècle, « La Farce des deux savetiers » vers la fin du Quinzième siècle, et « La Farce du cuvier » composée en picard.
Résumé de l’intrigue
Aux admirateurs de La Farce de Maître Pathelin, l’intrigue de « La farce du cuvier » semblera très simple. On n’y compte que trois personnages, Jaquinot, le mari, Jeannette, la femme, et Jaquette, la belle-mère. On est vraiment dans la comédie de mœurs. Le but est de faire rire. On imagine facilement les spectateurs s’esclaffant, attroupés devant les tréteaux de bois, installés provisoirement sur l’une des grand-places, typiques des villes du Nord.
Jacquinot est dominé par sa femme et sa belle-mère qui lui imposent toutes les corvées domestiques. Pour s’assurer qu’il les accomplisse bien, sous peine d’«être battu comme plâtre », il doit les écrire sous la dictée sur ce qu’on appelle un rollet. C’est le passage drôle de la pièce. L’effet comique vient de la liste interminable, des geigneries de Jacquinot, et des interventions inappropriées de la belle-mère. Ce qui échappera au lecteur de la version originale adaptée par Gassies des Brûlies (puisque la pruderie de l’époque fit qu’il retira ces quelques vers…que nous avons rajouté), et offre un élément comique supplémentaire, c’est qu’outre s’occuper de l’enfant, faire la lessive, cuire le pain, « ranger, laver, sécher, fourbir… », Jeannette exige aussi, sur suggestion de sa mère ( !), que Jacquinot l’honore « Mais tous les jours, cinq ou six fois Je l’entends ainsi, pour le moins ».
Mais, alors qu’il aide sa femme à faire la lessive au-dessus d’un cuvier, celle-ci bascule et tombe dedans au risque de se noyer. Elle le supplie de la sortir de ce mauvais pas, il accepte à conditon qu’elle lui obéisse à partir de maintenant et qu’elle s’occupe des tâches domestiques.
Origines de la Farce du cuvier
C’est dans un recueil de pièces du répertoire comique du Moyen-Âge conservé au British Museum que l’on trouve la trace de « La Farce du cuvier ». Le sujet apparaîtrait la première fois dans un fabliau du Treizième siècle, intitulé « Sire Hain et Dame Hanieuse ». Une autre édition de « La Farce du cuvier » est retrouvée à Lyon au début du Dix Septième siècle. Et si on doit « La Farce du cuvier » au conservateur du British Museum, il était logique que Les Editions de Londres vous offrent cet inédit numérique.
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