PREMIER et SECOND COQUINS
PREMIER COQUIN.
(entrant par la gauche du théâtre, considère un instant le second coquin, qui reste immobile et songeur sur un banc de pierre.)
As-tu trouvé quelque pitance ?
SECOND COQUIN.
Je réfléchis sur l'existence !
Je tombais presque en pâmoison,
Mais on m'a nourri de raison !
Et toi ?
PREMIER COQUIN.
De même !
SECOND COQUIN.
Ami, l'aubaine
Me parait maigre pour l'étrenne !
C'est le mari qui tient l'argent :
Il fait l'aumône à la Saint-Jean.
PREMIER COQUIN.
C'est la femme qui tient la bourse !
Il parait qu'elle était en course ;
Mais elle fait la charité
Tous les ans, à la Trinité.
SECOND COQUIN.
Alors simple est notre partage.
Tu n'as pas reçu davantage
Que moi-même ?
PREMIER COQUIN.
J'ai toujours faim.
SECOND COQUIN.
Et, pour avoir l'estomac plein,
Ferais-tu ce que je vais dire ?
PREMIER COQUIN.
Ce n'est pas le moment de rire !
Comment ne le ferais-je pas ?
SECOND COQUIN.
Eh bien, va-t'en donc de ce pas
Demander un pâté d'anguille
A cette marchande gentille...
(À part.)
Gentille ! Un guichet de cachot
Est plus aimable ! Mais il faut
Pourtant sortir de cette affaire !
(Haut)
Dis ! Veux-tu faire bonne chère ?
Va donc à cette porte encor !
Et cette fois frappe bien fort,
Ainsi que quelqu’un qui commande !...
PREMIER COQUIN.
À quoi bon ? Je sais quelle offrande
On me garde en cet endroit-ci !
Rien…, ou des coups ! Merci ! Merci !
SECOND COQUIN.
(se rengorgeant.)
Tu sais bien que je suis un sage.
Peux-tu douter de mon message ?
Sans crainte et d'un air effronté,
Va-t'en demander le pâté !
Mais écoute cette parole,
Sans quoi tu joueras mal ton rôle :
À la marchande sans retard
Tu diras : « Je viens de la part
De maître Gautier, chère dame !
Il m'a dit que je vous réclame
Le gros pâté que vous savez.
Donnez-le-moi, car vous l'avez !
On l'attend pour se mettre à table... »
Et comme signe véritable.
Pour montrer que c’est bien à toi
De l'emporter, prends-lui le doigt !
Va ! Tu verras si je t'abuse !
PREMIER COQUIN,
Ma foi ! Je vais tenter la ruse !
Mais si le mari n'était pas
Encor parti pour ce repas
Dont tu parles ?
SECOND COQUIN.
Si ! Tout à l'heure
Il est sorti de sa demeure !
PREMIER COQUIN.
Ah ! Je vais lui serrer le doigt !
SECOND COQUIN.
Et la dame, comme elle doit,
Ne fera faute à la promesse :
Nous aurons mets de haute graisse
Avant la Saint-Jean. Qu'en dis-tu ?
PREMIER COQUIN.
Ma foi ! Je crains d'être battu !
Si par hasard notre commère
Allait se douter de l'affaire...
SECOND COQUIN.
Eh ! qui ne risque rien n'a rien !
PREMIER COQUIN.
Je t'écoute : c'est bien, c'est bien !
Je m'en vais frapper à la porte,
Et le pâté, je le l’apporte !
(Il va frapper à la boutique du pâtissier, tandis que son camarade sort par la droite. — La pâtissière ouvre le volet.)