Commentaire et résumé
« Le Monde comme il va » est un conte philosophique de Voltaire publié en 1748. Dans ce conte, Voltaire utilise le procédé déjà employé par l’un de ses illustres prédécesseurs, Montesquieu, dans Les lettres persanes, c’est-à-dire la critique sociale par l’entremise d’un étranger qui regarde notre monde d’un œil neuf. S’il s’agit de deux Persans qui visitent Paris dans l’ouvrage de Montesquieu, ici, on a affaire à un Scythe, Babouc, qui est envoyé par le génie Ituriel jusqu’à Persépolis (en réalité Paris, d’où l’illustration originale que nous avons choisie) afin de savoir si la dite Persépolis doit être détruite ou non. C’est ainsi qu’Ituriel s’adresse à Babouc : « Babouc, les folies et les excès des Perses ont attiré notre colère ; il s’est tenu hier une assemblée des génies de la Haute Asie pour savoir si on châtierait Persépolis ou si on la détruirait. »
La critique sociale
Aux amateurs de Voltaire le conte pourrait sembler un peu mou. Quand on a été habitué au rythme de Candide ou à l’esprit de Micromégas, on peut être surpris par le manque d’énergie qui se dégage de « Le Monde comme il va ». Pourtant, n’oublions pas que la critique sociale n’était pas si aisée à l’époque, surtout lorsque l’on considère l’audience ; en effet, le conte fut d’abord lu à la Duchesse du Maine et sa société en 1747 avant d’être publié en 1748 à Dresde. Ensuite, on ne peut s’empêcher de penser que, influencé par son illustre prédécesseur, Montesquieu, Voltaire ait voulu adopter un ton plus neutre, plus descriptif afin d’allier le rythme de la narration au propos et à la nature du personnage, Babouc, un Scythe naïf chargé d’une mission qui le dépasse. Enfin, n’oublions pas que « Le Monde comme il va » est le premier des contes célèbres de Voltaire et que, quoique très bon, ce n’est pas encore un chef d’œuvre.
La critique sociale de Voltaire n’a rien à voir avec celle de Darien ou même de Zola. Ce sont des scènes de la vie parisienne qu’il écrit, revues et corrigées avec une ironie toute Voltairienne, bien sûr. Et puis, Voltaire n’est jamais noir, sa satire n’atteint jamais les excès délicieux d’un Swift ou d’un Jarry. Voltaire est un philosophe des Lumières. C’est une autre période. Une époque où la France domine le monde, où il existe au sein des élites et des philosophes ou intellectuels de l’époque une croyance partagée en la perfectibilité du monde. Et l’auteur de nous expliquer que les juges qui ont acheté leur charge ont parfois plus de raison que ceux qui ont des années d’expérience. « Tous ces vieux avocats qui en parlaient étaient flottants dans leurs opinions ; ils alléguaient cent lois dont aucune n’était applicable au fond de la question ; ils regardaient l’affaire par cent côtés, dont aucun n’était dans son vrai jour…ils [les juges] jugèrent bien parce qu’ils suivaient les lumières de la raison ; et les autres avaient opiné mal, parce qu’ils n’avaient consulté que leurs livres. » Avant d’enchaîner avec « Babouc conclut qu’il y avait souvent de très bonnes choses dans les abus. ».
La critique du dogmatisme
La réalité, la clé de « Le Monde comme il va », nous pouvons maintenant vous le révéler, c’est comme toujours chez Voltaire une critique du dogmatisme. Ce que les exégètes de Voltaire manquent ici, comme les vieux avocats qui connaissent trop bien leur sujet, c’est que « Le Monde comme il va » n’est pas simplement une critique de la société de son époque, c’est aussi une critique de ceux qui sont trop enclins à prononcer des jugements absolus, qui sont incapables de faire la part des choses, car aucune situation sociale n’est réductible à la couleur noir et blanc qu’aime à adopter l’histoire. C’est donc une critique de Persépolis mais aussi une critique d’Ituriel, et Babouc, c’est l’homme de bon sens qui apprend par l’expérience et par l’erreur la relativité de toute chose.
© 2012- Les Editions de Londres