Trois mois plus tard, nous avions choisi ensemble un local dans le treizième arrondissement. Il était situé dans une rue qui donnait sur l’avenue de Choisy, coincé entre un Frères Tang et un restaurant de nouilles. Tu m’avais présenté tes amis, Ammar et Rachel.
Rachel était une robuste rousse avec des cheveux en flammes, des yeux gris-verts pétillants. Elle était pleine de vie et ne communiquait que sur le mode de la plaisanterie, ce qui était parfois fatiguant. Ammar quant à lui, grand brun timide, ne bavardait jamais inutilement. Le courant est tout de suite passé entre nous.
Le local ne m’avait pas coûté une fortune car en réalité, il était en ruine. C’était le hangar d’un vieux monsieur qui s’en servait pour entretenir un bateau. Il venait de décéder. Ses héritiers étaient pressés de le vendre et de se partager les miettes qu’ils allaient en récolter. Je l’avais mis à mon nom. D’après mon conseiller financier, c’était un bon placement car le quartier prenait de la valeur, notamment grâce au projet de train qui devait y passer afin de desservir la nouvelle Bibliothèque de France.
Avec l’aide de tes amis qui étaient rapidement devenus aussi les miens, nous avons gratté les murs, rebouché les trous, installé un carrelage, remplacé les portes, repeint, mis une façade en verre, acheté des meubles, disposé des fleurs artificielles, jeté au sol des tapis, accroché des tableaux, incorporé un système d’aération, créé des séparations. On s’était farci de la paperasse pour nous enregistrer, écrire les conventions, ouvrir un compte.
Mais au moins ces papiers nous forçaient à nous asseoir côte à côte, toi et moi, penchés sur les pointillés à remplir. Nos têtes se touchant. Nos épaules appuyées l’une contre l’autre. Les odeurs de nos corps s’entrelaçant dans une mystérieuse alchimie.
Mais ça s’arrêtait là. J’avais peur de te mettre une main sur la cuisse et de recevoir une claque. Tu étais ce genre de fille. Il ne suffisait pas de t’aider à réaliser ton rêve pour te faire succomber. Tout cela n’avait rien à voir avec toi ou moi. En me proposant de travailler avec toi, tu n’avais d’autres projets que celui d’aider les Sans. Peut-être te méfiais-tu de moi, car un jour, alors que nous venions de finir une formalité, tu m’as demandé de m’asseoir sur la chaise en face de ton bureau. Tu m’as demandé sur un ton très formel, comme si tu me faisais passer un entretien d’embauche, la raison exacte pour laquelle je m’étais fait renvoyer de la fac.
−De quoi au juste étais-tu accusé ?
Je savais qu’un jour ou l’autre, tu allais revenir sur ce sujet :
−J’ai eu une relation avec une étudiante.
Tu m’as observé, en silence, comme si tu attendais la suite.
−Donc ce n’était pas une fausse accusation.
J’ai réfléchi :
−Pas tout à fait.
−Ce n’est pas très éthique, notamment car ça peut engendrer du favoritisme au niveau de la notation des contrôles continus, ou à l’inverse, exercer une pression sur l’étudiante qui aurait peur d’être saquée au cas où elle voudrait mettre un terme à la relation. C’est une forme d’abus de pouvoir.
FIN DE L’EXTRAIT
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