« Le scarabée d’or » est un conte d’Edgar Allan Poe publié en 1843 dans le Philadephia Dollar Newspaper. Cette nouvelle lança la mode de la cryptographie dans la littérature du Dix Neuvième siècle, influençant ainsi littérature policière, d’aventures, de science-fiction. Au-delà d’une mode, « Le scarabée d’or » reste probablement la nouvelle cryptographique par excellence.
Bref résumé
William Legrand est un original qui vit dans une île peu habitée de la côte du sud des Etats-Unis. Un jour, Legrand découvre un scarabée d’or, « d’une brillante couleur d’or –gros à peu près comme une grosse noix- avec deux tâches d’un noir de jais à l’extrémité du dos, et une troisième, un peu plus allongée, à l’autre ». Ce scarabée va tourner à l’obsession. Un jour, Legrand disparaît, et le narrateur comme Jupiter, son serviteur noir, se demandent même s’il n’a pas perdu la raison. Pourtant, il revient, et leur demande de se joindre à lui pour une expédition dans une partie désolée de l’île. Suite à de multiples tentatives, des images énigmatiques mais d’une force visuelle étonnante, tête de mort clouée sur une branche, fil auquel le scarabée d’or est attaché, Jupiter qui ne connaît pas sa droite de sa gauche, Legrand finit par découvrir le trésor du capitaine Kidd. Et explique ensuite au narrateur l’incroyable cheminement, parchemin d’abord découvert par hasard, puis approché près du feu, message secret et décryptage.
L’ambiance et Hitchcock
L’action se passe dans l’île Sullivan, en face de Charleston, en Caroline du Sud, île où Edgar Allan Poe fut stationné entre 1827 et 1828. La tradition veut tant que « Le scarabée d’or » soit la nouvelle de la cryptographie que l’on en oublie le superbe exercice de style, visant à décrire l’ambiance de l’île, dans un premier temps, puis l’expédition des trois hommes dans une partie désolée de cette île. N’en déplaisent à ses critiques, la maîtrise de Poe est étonnante. « Cette île est des plus singulières… », nous explique t-il au tout début. Le décor est planté d’une manière hitchcockienne. Si Hitchcock fut très influencé par Poe et Daphné du Maurier, c’est clairement Poe qui selon nous définit les règles qu’il emploiera ensuite, par exemple dans la scène de l’avion dans La mort aux trousses : planter un décor, semer des éléments qui entretiennent le doute, et par l’accumulation des doutes, des clichés trompeurs, des fausses pistes, créer subrepticement l’angoisse, jusqu’au moment où un détail déclenche le début de la tension narrative (dans La mort aux trousses, l’homme qui explique à Thornhill que l’avion de sulfatage sulface des champs non cultivés…)
La nouvelle de la cryptographie
Le travail de Poe est extraordinaire. Le détail et la précision avec laquelle il explique et résout l’énigme pour le lecteur encore une fois définit le genre. D’abord, c’est par hasard que Legrand découvre le dessin d’une tête de mort sur le vieux parchemin qu’il avait récupéré aux côtés du scarabée mais dont il avait oublié l’existence. Ensuite, il associe le dessin d’un chevreau au nom du capitaine Kidd, et insiste (toujours le paradoxe chez Poe entre irruption de l’étrange dans le fil normal des évènements, ou alors explication sur rationnelle du surnaturel) sur le côté exceptionnel des circonstances qui présidèrent à l’évènement, révélant ainsi un aspect de sa cosmogonie et de sa vision générale du monde : « Il a fallu que tous ces évènements arrivassent le seul jour de l’année où il a fait, où il a pu faire assez froid pour nécessiter du feu ; et sans ce feu et sans l’intervention du chien au moment précis où il a paru, je n’aurais jamais eu connaissance de la tête de mort et n’aurais jamais possédé ce trésor. »Il explique ensuite avec un luxe de détail encore inégalé comment, par méthode itérative et hypothético-déductive, il va résoudre le cryptogramme, en comptant le nombre de signes et en procédant d’abord par analogie avec l’alphabet de la langue anglaise, puis en déduisant, lettre par lettre, avant de reconstituer des groupes de lettres, puis des mots, puis le sens. C’est du Champollion!
L’influence du scarabée d’or
Elle est partout. Le cryptogramme de l’alchimiste islandais dans le Voyage au centre de la terre de Jules Verne, L’aiguille creuse de Maurice Leblanc, « Les hommes dansants » de Conan Doyle… « Le scarabée d’or » reste le modèle de la cryptographie littéraire.
© 2012- Les Editions de Londres