Dikæopolis
Un Héraut
Amphithéos
Un Prytane
Envoyés des Athéniens, revenant d'auprès du roi de Perse
Pseudartabas
Théoros
Chœur de Vieillards Acharniens
Femme de Dikæopolis
Fille de Dikæopolis
Képhisophôn
Euripidès
Lamakhos
Un Mégarien
Deux filles du Mégarien
Un Sykophante
Un Bœotien
Nikarkhos
Un Serviteur de Lamakhos
Un Laboureur
Un Paranymphe
Messagers
La scène se passe sur l'Agora, puis devant la maison de Dikæopolis.
DIKÆOPOLIS
Que de fois j'ai été mordu au cœur ! Et de plaisirs bien peu, tout à fait peu ! Quatre ! Mais de douleurs, un amoncellement de sables à la hauteur des Gargares ! Voyons donc : qui m'a été un juste sujet de joie ? Oui, je vois pourquoi j'ai eu l'âme réjouie : c'est quand Kléôn a revomi les cinq talents. Quel bonheur j'en ai ressenti ! Et j'aime les Chevaliers pour ce service: il fait honneur à la Hellas, mais bientôt j'ai éprouvé une douleur tragique : la bouche béante, j'attendais de l'Æskhylos, quand un homme crie : « Théognis, fais entrer le Chœur ! » Comment croyez-vous que ce coup m'ait frappé l'âme ? Mais voici pour moi une autre joie, lorsque, concourant pour un veau, Dexithéos s'avança et joua un air bœotien. Cette année-ci, au contraire, je vis que j'étais mort, mis en lambeaux, lorsque Khæris préluda sur le mode orthien. Mais jamais, depuis que je vais aux bains, la paupière ne m'a piqué les sourcils comme aujourd'hui : c'est jour d'assemblée régulière : voici le matin, et la Pnyx est encore déserte. On bavarde sur l'Agora : en haut, en bas, on évite la corde rouge. Les Prytanes mêmes n'arrivent pas : ils arrivent à une heure indue ; puis ils se bousculent, vous savez comme, les uns les autres, pour gagner le premier banc, et ils s'y jettent serrés.
De la paix à conclure, ils n'ont aucun souci. Ô la ville, la ville ! Pour moi qui viens toujours le premier à l'assemblée, je m'assois, et là, tout seul, je soupire, je bâille, je m'étire, je pète, je ne sais que faire, je trace des dessins, je m'épile, je réfléchis, l'œil sur la campagne, épris de la paix, détestant la ville, regrettant mon dème, qui ne m'a jamais dit : « Achète du charbon, du vinaigre, de l'huile ! » Il ne connaissait pas le mot : « Achète », mais il fournissait tout, et il n'y avait pas ce terme, « achète », qui est une scie. Aujourd'hui, je ne viens pas pour rien ; je suis tout prêt à crier, à clabauder, à injurier les orateurs, s'il en est qui parlent d'autre chose que de la paix. Mais voici les Prytanes ! Il est midi ! Ne l'ai-je pas annoncé ? C'est bien ce que je disais. Tous ces gens-là se ruent sur le premier siège.
LE HERAUT
Avancez sur le devant ; avancez, pour être dans l'enceinte purifiée.
AMPHITHEOS
A-t-on déjà parlé ?
LE HERAUT
Qui veut prendre la parole ?
AMPHITHEOS
Moi.
LE HERAUT
Qui, toi ?
AMPHITHEOS
Amphithéos.
LE HERAUT
Pas un homme ?
AMPHITHEOS
Non, mais un immortel. Amphithéos était fils de Dèmètèr et de Triptolémos : de celui-ci naît Kéléos. Kéléos épouse Phænarètè, mon aïeule, de laquelle naît Lykinos. Né de lui, je suis un immortel. À moi seul les dieux ont confié le soin de faire une trêve avec les Lakédæmoniens. Mais tout immortel que je suis, citoyens, je n'ai pas de quoi manger ; car les Prytanes ne me donnent rien.
LE HERAUT
Archers !
AMPHITHEOS
Ô Triptolémos, ô Kéléos, m'abandonnez-vous ?
DIKÆOPOLIS
Citoyens Prytanes, vous faites injure à l'assemblée, en expulsant cet homme, qui a voulu nous obtenir une trêve et pendre au clou les boucliers.
LE HERAUT
Assis ! Silence !
DIKÆOPOLIS
Non, par Apollôn ! Je ne me tais pas, à moins que les Prytanes ne délibèrent sur la paix.
LE HERAUT
Les Envoyés revenant d'auprès du Roi !
DIKÆOPOLIS
De quel roi ? J'en ai assez des Envoyés, des paons et des fanfaronnades.
LE HERAUT
Silence !
DIKÆOPOLIS
Ah ! Ah ! Par Ecbatana, quel équipage !
UN DES ENVOYES
Vous nous avez députés vers le Grand Roi, avec une solde de deux drakhmes par jour, sous l'archontat d'Euthyménès.
DIKÆOPOLIS
Hélas ! Nos drakhmes !
L’ENVOYE
Certes, nous avons peiné le long des plaines du Kaystros, errants, couchant sous la tente, mollement étendus sur des chariots couverts, mourant de fatigue.
DIKÆOPOLIS
Et moi, j'étais donc bien à l'aise, couché sur la paille, le long du rempart ?
L’ENVOYE
Bien reçus, on nous forçait à boire, dans des coupes de cristal et d'or, un vin pur et délicieux.
DIKÆOPOLIS
Ô cité de Kranaos, sens-tu bien la moquerie de tes Envoyés ?
L’ENVOYE
Les Barbares ne regardent comme des hommes que ceux qui peuvent le plus manger et boire.
DIKÆOPOLIS
Et nous, les prostitués et les débauchés aux complaisances infectes.
L’ENVOYE
Au bout de quatre ans, nous arrivons au palais du Roi ; mais il était allé à la selle, suivi de son armée, et il chia huit mois dans les monts d'or.
DIKÆOPOLIS
Et combien de temps mit-il à fermer son derrière ?
L’ENVOYE
Toute la pleine lune ; puis il revint chez lui. Il nous reçut alors, et il nous servit des bœufs entiers, sortant du four.
DIKÆOPOLIS
Et qui n’a jamais vu des bœufs cuits au four ? Quelles bourdes !
L’ENVOYE
Mais, de par Zeus ! Il nous fit servir un oiseau trois fois plus gros que Kléonymos, et dont le nom était « le hâbleur ».
DIKÆOPOLIS
Est-ce donc pour tes hâbleries que tu touchais deux drakhmes?
L’ENVOYE
Et maintenant nous vous annonçons Pseudartabas, l'œil du Roi.
DIKÆOPOLIS
Puisse un corbeau te crever le tien d'un coup de bec, toi, l'Envoyé !
LE HERAUT
L'œil du Roi !
DIKÆOPOLIS
Par Héraklès ! Au nom des dieux, dis donc, l'homme, ton œil est fait comme un trou de navire ! Est-ce que, doublant le cap, tu regardes par où entrer en rade ? Tu as une courroie qui retient ton œil par en bas.
L’ENVOYE
Allons, toi, dis ce que le Roi t’a chargé d’annoncer aux Athéniens, Pseudartabas.
PSEUDARTABAS
Iartaman exarxas apissona satra.
L’ENVOYE
Avez-vous compris ce qu’il dit ?
DIKÆOPOLIS
Par Apollon ! Je ne comprends pas.
L’ENVOYE
Il dit que le Roi vous enverra de l’or. Allons, toi, prononce plus haut et plus clairement le mot or.
PSEUDARTABAS
Tu n’auras pas d’or, Ionien au derrière élargi ; non.
DIKÆOPOLIS
Oh ! Le maudit homme ! C’est on ne peut plus clair.
L’ENVOYE
Que dit-il ?
DIKÆOPOLIS
Il dit que les Ioniens ont le derrière élargi, s’ils comptent sur l’or des Barbares.
L’ENVOYE
Mais non, il parle de larges médimnes d’or.
DIKÆOPOLIS
Quels médimnes ? Tu es un grand hâbleur. Mais va-t’en : à moi tout seul, je vais les mettre à l’épreuve.
(À Pseudartabas.)
Voyons, toi, réponds clairement à l’homme qui te parle ; autrement je te baigne dans un bain de teinture de Sardes. Le Grand Roi nous enverra-t-il de l’or ?
(Pseudartabas fait signe que non.)
Alors nous sommes dupés par les Envoyés.
(Pseudartabas fait signe que oui)
Mais ces gens-là font des signes à la façon hellénique ; il n’y a pas de raison pour qu’ils ne soient pas d’ici. Des deux eunuques, j’en reconnais un : c’est Klisthénès, le fils de Sibyrtios. Oh ! Son chaud derrière est épilé. Comment, singe que tu es, avec la barbe dont tu t’es affublé, viens-tu nous jouer un rôle d’eunuque ? Et l’autre, n’est-ce pas Stratôn ?
LE HERAUT
Silence ! Assis ! Le Conseil invite l’œil du Roi à se rendre au Prytanéion.
DIKÆOPOLIS
N’y a-t-il pas là de quoi se pendre ? Après cela dois-je donc me morfondre ici ? Jamais la porte ne se ferme au nez des étrangers. Mais je vais faire quelque chose de hardi et de grand.
Où donc est Amphithéos ?
AMPHITHEOS
Me voici !
DIKÆOPOLIS
Prends-moi ces huit drakhmes, et fais une trêve avec les Lakédæmoniens pour moi seul, mes enfants et ma femme. Vous autres, envoyez des députations, et ouvrez la bouche aux espérances.
LE HERAUT
Place à Théoros qui revient de chez Sitalkès.
THEOROS
Me voici !
DIKÆOPOLIS
Encore un hâbleur appelé par la voix du Héraut.
THEOROS
Nous ne serions pas restés longtemps en Thrakè...
DIKÆOPOLIS
Non, de par Zeus ! Si tu n’avais touché un gros salaire.
THEOROS
S’il n’avait neigé sur toute la Thrakè, et si les fleuves n’eussent gelé vers le temps même où Théognis faisait ici jouer ses drames. Dans ce même temps je buvais avec Sitalkès. En vérité, il est passionné pour Athènes ; c’est pour nous un amant véritable, au point qu’il a écrit sur les murs : « Charmants Athéniens ! » Son fils, que nous avons fait Athénien, brûlait de manger des andouilles aux Apatouries, et conjurait son père de venir au secours de sa nouvelle patrie. Celui-ci jura sur une coupe de venir à notre secours avec une armée si nombreuse, que les Athéniens s’écrieraient : « Quelle nuée de sauterelles ! »
DIKÆOPOLIS
Que je meure de male mort, si je crois un mot de ce que tu dis, hormis tes sauterelles !
THEOROS
Et maintenant il vous envoie la peuplade la plus belliqueuse de la Thrakè.
DIKÆOPOLIS
Voilà, au moins, qui est clair.
LE HERAUT
Paraissez, Thrakiens que Théoros amène.
DIKÆOPOLIS
Quel est ce fléau ?
THEOROS
L’armée des Odomantes.
DIKÆOPOLIS
Quels Odomantes ? Dis-moi, qu’est-ce que cela signifie ? Qui donc a émasculé ces Odomantes ?
THEOROS
Si on leur donne deux drachmes de solde, ils fondront sur la Bœotia tout entière.
DIKÆOPOLIS
Deux drachmes à ces châtrés ! Gémis, peuple de marins, sauveurs de la ville ! Ah ! Malheureux, c’est fait de moi ! Les Odomantes m’ont volé mon ail. N’allez-vous pas me rendre mon ail ?
THEOROS
Malheureux, ne te mesure pas avec des hommes bourrés d’ail.
DIKÆOPOLIS
Vous souffrez, Prytanes, que je sois traité de la sorte dans ma patrie, et cela par des Barbares ! Mais je m’oppose à ce que l’assemblée délibère sur la solde à donner aux Thrakiens. Je vous déclare qu’il se produit un signe céleste : une goutte d’eau m’a mouillé.
LE HERAUT
Que les Thrakiens se retirent ! Ils se présenteront dans trois jours. Les Prytanes lèvent la séance.
DIKÆOPOLIS
Oh ! Malheur ! Que j’ai perdu de hachis. Mais voici Amphithéos, qui revient de Lakédæmôn. Salut, Amphithéos !
AMPHITHEOS
Non, pas de salut ; laisse-moi courir : il faut qu’en fuyant, je fuie les Akharniens.
DIKÆOPOLIS
Qu’est-ce donc ?
AMPHITHEOS
Je me hâtais de t’apporter ici la trêve ; mais quelques Akharniens de vieille roche ont flairé la chose, vieillards solides, d’yeuse, durs à cuire, combattants de Marathôn, de bois d’érable. Ils se mettent à crier tous ensemble : « Ah ! Scélérat ! Tu apportes une trêve, et on vient de couper nos vignes ! » En même temps ils mettent des tas de pierres dans leurs manteaux ; moi je m’enfuis ; eux me poursuivent en criant.
DIKÆOPOLIS
Eh bien, qu’ils crient ! Mais apportes-tu la trêve ?
AMPHITHEOS
Oui, assurément, et j’en ai de trois goûts. En voici une de cinq ans ; prends et goûte.
DIKÆOPOLIS
Pouah !
AMPHITHEOS
Qu’y a-t-il ?
DIKÆOPOLIS
Elle ne me plaît pas : cela sent le goudron et l’équipement naval.
AMPHITHEOS
Eh bien, goûte cette autre, qui a dix ans.
DIKÆOPOLIS
Elle sent, à son tour, le goût aigre des envoyés, qui vont par les villes stimuler la lenteur des alliés.
AMPHITHEOS
Voici enfin une trêve de trente ans sur terre et sur mer.
DIKÆOPOLIS
Ô Dionysia ! En voilà une qui sent l’ambroisie et le nectar. Elle ne dit pas : « Fais provision de vivres pour trois jours. » Mais elle a à la bouche : « Va où tu veux ! » Je l’accepte, je la ratifie, je bois à son honneur, et je souhaite mille joies aux Acharniens. Pour moi, délivré de la guerre et de ses maux, je vais à la campagne fêter les Dionysia.
AMPHITHEOS
Et moi, j’échappe aux Acharniens.
…/…
FIN DE L’EXTRAIT
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© 2012- Les Editions de Londres
ISBN : 978-1-909053-17-5