Eschyle (né à Eleusis en -526, mort en Sicile en -456) est l’un des plus grands dramaturges grecs, et le premier des trois grands tragiques du Siècle de Périclès, avant Sophocle et Euripide. Il aurait écrit à peu près une centaine de pièces dont seulement sept nous sont parvenues. Eschyle est souvent considéré, par Nietzsche, par Aristophane, comme le plus grand tragédien.
Biographie partielle
Fils d’Euphorion, il appartient à la caste des eupatrides. Il combat pendant les guerres médiques, participe à Marathon en -490, à Salamine en -480. De retour à Athènes, il écrit des tragédies et obtient de nombreux prix. Il connaît le succès, notamment avec la tétralogie thébaine, puis avec l’Orestie, une trilogie. Suite à l’Orestie, il retourne en Sicile. On ne sait guère s’il y avait été invité par le roi de l’époque, ou s’il était frappé d’une sentence d’exil, ou encore s’il souffrait de la concurrence de ses contemporains dramaturges. On dit qu’il meurt à Géla, en Sicile, frappé par une tortue qu’un aigle qui aurait pris son crâne pour un caillou aurait lâchée au-dessus de lui.
Les sept pièces qui nous sont parvenues
Les Perses : représentée en -472, et apparemment part d’une tétralogie.
Les Sept contre Thèbes : représentée en –467, apparemment la dernière pièce d’une trilogie thébaine.
Les Suppliantes : représentée en -464, la première pièce d’une trilogie.
L’Orestie : représentée en -458, trilogie composée de Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides
Prométhée enchaîné : on ignore sa date de représentation. La première pièce d’une trilogie.
Les pièces disparues
La suite des Perses : Phinée, Glaucos, Prométhée. La suite des Sept contre Thèbes : Laïos, Œdipe, Le Sphynx. La suite des Suppliantes : Les Egyptiens, Les Danaïdes. La suite du Prométhée enchaîné : Prométhée délivré, Prométhée Porte-Feu. Puis Les Myrmidons, Les Néréides, Les Phrygiens, inspirés par l’Iliade…
Le théâtre d’Eschyle
Eschyle suit chronologiquement d’autres grands tragédiens tels que Thespis ou Phrynichos. Mais l’ensemble des changements et innovations dont il est crédité lui confère un statut inégalé dans l’histoire de la Tragédie. On dit ainsi qu’il aurait inventé le masque, les tréteaux pour installer la scène, qu’il aurait ajouté un acteur pour dialoguer avec le chœur, au lieu de l’acteur unique du passé. Toutefois, si on associe souvent Eschyle et l’Epique (voir notre article sur Les Grenouilles d’Aristophane), les pièces d’Eschyle, ce n’est pas non non plus Aïda ou Cléopâtre. Le sujet, l’intrigue sont simples, c’est un fait bien précis : la défaite des Perses à Salamine, l’attente de l’attaque contre Thèbes…Et l’auteur s’intéresse avant tout à la description des sentiments qui résultent de la conséquence d’une action ou de l’attente d’un évènement. Les dialogues sont, deux mille cinq cents plus tard, encore très vivants. Les longs monologues de certains personnages tendent vers l’épique. Mais c’est surtout le rapport entre le comportement des hommes et le jugement des Dieux qui nous intéresse. La fatalité est l’arrière-plan permanent des actions humaines. Dans le monde d’Eschyle, on n’échappe pas à son destin. On ne le fuit pas, on ne refuse pas son pouvoir, et toute action qui s’inscrit contre le cours du destin finit toujours par être payée. On n’échappe pas à son héritage, on reste le produit du temps, des actes passés, lesquels influencent les actes futurs. Il existe une continuité du temps par-delà la vie individuelle. Il faut lire Eschyle pour réaliser à quel point la vision du monde conditionne nécessairement un système de valeurs. A notre époque où la liberté est si évidente, si parlée, et peu exercée, où l’on pourrait parler d’insoutenable légèretéde la liberté humaine, le monde d’Eschyle est un monde pesant mais un monde d’équilibre et d’attachement farouche à certaines valeurs, telles que les Dieux, la Cité, le rôle des hommes et des femmes, le poids du destin, etc… Si la destinée humaine ne peut rien contre le choix et les décisions des Dieux, le monde des Dieux d’Eschyle est un monde imprévisible, certes, mais un monde où la justice finira par prévaloir. Alors, qu’en est-il du libre arbitre humain face au déterminisme qui prévaut dans le monde réel ? Quelle marge de manœuvre ? On pourrait presque dire qu’il existe une dimension esthétique de la liberté humaine, que l’on parvienne à renverser le cours des choses ou pas, l’acte, l’intention demeurent, dans leur inutile beauté, et c’est peut être le rôle de la tragédie Eschylienne que de peindre l’esthétique d’une fragile liberté luttant sans espoir contre le destin. Ainsi, la tragédie, serait-ce le spectacle épique et renversant de la lutte humaine contre le poids de la fatalité ?
Ce qu’en dit Nietzsche
C’est d’ailleurs un peu l’interprétation qu’en fait Nietzsche lorsqu’il dit : « ce n’est qu’en tant que phénomène esthétique que l’existence et le monde, éternellement, se justifient. ».
Ou encore « La sphère de la poésie n’est pas extérieure au monde, comme une impossible chimère sortie du cerveau d’un poète. Elle se veut exactement le contraire, l’expression sans fard de la vérité, et c’est précisément pour cette raison qu’elle doit rejeter loin d’elle la parure mensongère de la prétendue vérité de l’homme civilisé. ».
Et enfin, « l’art est ce qui représente l’espoir d’une future destruction des frontières de l’individuation et le pressentiment joyeux de l’unité restaurée. »
Entre Eschyle et Nietzsche, il y a vingt cinq siècles d’espoir qui dépassent la tristesse de la mort individuelle pour faire de nos existences de grands moments contemplatifs.
© 2012- Les Editions de Londres