Emilio Salgari est un écrivain italien (1862 – 1911), auteur de plus de quatre-vingts romans d’aventures et créateur notamment du héros de Bornéo, Sandokan. Salgari est quasiment inconnu en France, mais très célèbre en Italie, en Espagne ou en Amérique Latine.
Brève biographie
Emilio Salgari est né le 21 août 1862 à Vérone en Italie, dans une famille de petits bourgeois – son père était négociant en tissus –, et sa scolarité ne fut ni bonne ni mauvaise. C’est à peu près tout ce que l’on sait de sa jeunesse.
Sa vie ne semble réellement commencer qu’en 1878, lorsqu’il s’inscrit à l’Académie navale Sarpi de Venise. La légende veut que ce soit l’aboutissement d’un rêve d’enfant, celui de voyages en mer et d’aventures aux quatre coins du globe. Hélas, il ne brille guère et il est vraisemblable qu’il n’ait jamais obtenu le titre de capitaine, bien que ses premiers ouvrages soient signés « Capitaine Salgari ». Il tenait d’ailleurs tellement à cette appellation qu’il alla jusqu’à provoquer en duel un critique qui, ayant découvert le pot aux roses, l’avait surnommé le « garçon de cabine ». Déçu de ne pas être ce qu’il avait toujours voulu être, il commence comme journaliste à La Nuevo Arena de Verona en 1882, puis se met rapidement à écrire, probablement afin de vivre cette vie d’aventures et d’exotisme qu’il ne connaîtra jamais.
Emilio Salgari le mythomane
Dans son autobiographie, Emilio Salgari affirme également qu’il a parcouru l’Ouest américain (où il a rencontré Buffalo Bill), qu’il a exploré le Soudan, qu’il a aimé une princesse indienne ou encore qu’il a navigué sur tous les océans du globe – ou presque.
Or, si Emilio Salgari a bien croisé la route de Buffalo Bill, ce n’était pas dans le Nebraska, mais à Vérone sa ville natale, à l’occasion d’un show organisé par le général William Sherman ! Et le capitaine au long cours n’a pris la mer qu’une seule fois dans sa vie, à bord d’un navire marchand qui reliait Vérone à… Brindisi (Italie). De retour de cette « expédition », Emilio a montré à qui voulait les voir divers objets collectés lors de ses voyages dans les lointaines contrées de l’Est, objets qu’il avait en réalité achetés à des vendeurs rencontrés le long de la côte Italienne.
Dans la vie comme dans les romans d’Emilio Salgari, il y avait donc une (petite) part de vérité et une (grande) part d’affabulations, toutes droites sorties de l’imagination débordante de l’écrivain.
Emilio Salgari le populaire
La personnalité singulière d’Emilio Salgari ne l’a pas empêché de connaître le succès. Un succès que les lecteurs français ont bien du mal à imaginer, tant il est aujourd’hui complètement oublié dans l’hexagone.
Après son échec à l’académie navale, Emilio Salgari travaille en 1882 comme journaliste, pour tromper son ennui, en quelque sorte. En parallèle, il se met à écrire, et l’année suivante, il publie sa première série (format très à la mode à l’époque) : Le Tigre de Malaisie. Il y donne naissance à son personnage le plus célèbre, Sandokan le pirate, qui connaîtra par la suite bien d’autres aventures, et qui sera l’objet de nombreuses adaptations cinématographique, télévisuelle ou en dessin-animé après la mort d’Emilio Salgari. Cette première publication remporte un tel succès, dès sa parution, qu’il devient écrivain à plein temps.
Emilio Salgari est extrêmement prolifique, et au cours d’une carrière relativement courte (25 ans), il publie plus de 200 romans et nouvelles !
Il est toujours très populaire en Italie et en Espagne, ainsi qu’en Amérique latine. Il a marqué et influencé de nombreux auteurs de ces pays, où il est très souvent comparé à Jules Verne. Ainsi Umberto Eco confie : « Au cours de mon enfance, j’obtenais la plupart de mes informations sur les pays exotiques non pas en lisant des manuels de géographie, mais en lisant les romans d’aventures de Jules Verne, Emilio Salgari et Karl May ».
Emilio Salgari le malchanceux
Comme c’est généralement le cas pour les écrivains populaires, Emilio Salgari ne convaincra jamais la critique et les élites intellectuelles, qui lui reprocheront notamment un style brut et manquant de raffinement.
Mais les malheurs d’Emilio Salgari ne sont pas que professionnels.
En 1892, Emilio se marie avec celle qui sera l’amour de sa vie, l’actrice de théâtre Ida Peruzzi, qui lui donnera quatre enfants. Leur existence est heureuse jusqu’au début de l’année 1903. À ce moment-là, Ida commence à montrer des signes de démence, et les choses vont aller de mal en pis. Devant les notes de soin pour son épouse qui ne cessent de croître, Emilio écrit sans discontinuer pour faire face aux dépenses, et il n’est probablement pas aidé par des éditeurs qui profitent de lui. Malgré cela, sa situation financière ne s’arrange pas, au point qu’il lui faudra parfois rédiger ses textes avec une plume réparée à l’aide d’un bout de ficelle.
Un problème en entraînant un autre, l’imagination d’Emilio Salgari commence à lui faire défaut, et il craint de perdre son talent. Au point qu’il tentera de mettre fin à ses jours une première fois en 1910. L’année suivante, sa femme est internée dans un asile d’aliénés. C’est le coup fatal. Emilio Salgari, ne pouvant imaginer vivre sans elle, se suicidera moins d’une semaine après, le 25 avril 1911, en se faisant hara-kiri à la mode japonaise.
L’originalité de Salgari
Au pire, Salgari est inconnu, comme en France ou dans le monde anglophone. Au mieux, c’est un romancier d’aventures sans style mémorable et aux personnages stéréotypés. Comme toutes les opinions communément acceptées, c’est évidemment faux. Sans être un maître du style (mais cela n’a pas empêché Jules Verne d’être un des plus grands romanciers) ni du travail sur les personnages (mais il y a peu de Faulkner ou de Zola), Salgari n’est pas que l’inventeur du genre d’aventures en Italie, c’est aussi un romancier différent. Prenons les personnages de femmes : oui, ce sont bien des femmes typiques de l’époque, convoitées, menacées et qui attendent un preux chevalier. Mais beaucoup de ses héroïnes sont également courageuses, astucieuses et déterminées. Ou alors, les indigènes : oui, certains portraits sont évidemment condescendants, mais si ses héros sont souvent européens, ils sont aussi locaux, c'est-à-dire ressortissants des pays colonisés dans lesquels se déroule l’action de ses œuvres.
Salgari et le Western Spaghetti
Dans les années cinquante, Salgari est l’auteur italien le plus vendu au monde, devant Dante. Le cinéma italien des débuts est déjà riche de nombreuses adaptations de ses romans. Même Hollywood s’y est mis, sans grand succès, dans les années soixante. Puis dans les années soixante-dix, Sandokan, une série télévisée italienne, conquiert l’Europe pendant quelques années. Et puis, de nouveau, une résurgence dans les années quatre-vingt-dix, avec une série de dessins animés espagnols où Sandokan apparaît de nouveau, mais cette fois-ci sous les traits d’un tigre. Mais le plus intéressant, et probablement le moins évident pour le lecteur français, c’est la création du genre du Western Spaghetti. Comme tous les petits Italiens de l’époque, Sergio Leone a été bercé au rythme des aventures de Salgari, et c’est donc sans surprise que le genre dont il est le représentant le plus célèbre emprunte ses principaux personnages, taciturnes, violents, cyniques aux héros de Salgari.
L’influence de Salgari
Comme nous le disions, l’univers de Salgari a profondément et naturellement influencé l’Italie, mais aussi tout le monde hispanophone. Voici quelques noms et quelques exemples : Carlos Fuentes, Umberto Eco, Isabel Allende, Jorge Luis Borges, Gabriel Garcia Marquez, Artur Perez Reverte, Sergio Leone, Mario Vargas Llosa, et Paco Ignacio Taibo : italien, espagnol, colombien, péruvien, chilien, argentin, etc.
Souvent associés aux œuvres de Jules Verne, mais aussi de Joseph Conrad et de Robert Louis Stevenson, ses romans sont probablement plus simples, concentrés sur l’action et la narration, et doivent absolument être découverts ne serait-ce que pour comprendre l’incroyable influence qu’ils eurent sur tous ces auteurs « latins ».
Adieu à Mompracem et Paco Ignacio Taibo
Ses trois œuvres les plus célèbres sont probablement : Les mystères de la jungle noire, Le corsaire noir, et Les tigres de Mompracem (qui met en scène Sandokan). Paco Ignacio Taibo est un tel fan de Salgari qu’il explique dans sa biographie de Che Guevara (à lire absolument, bien que ce ne soit pas publié aux Éditions de Londres…) que l’on ne peut comprendre le cheminement personnel et politique de Guevara sans réaliser l’influence de Salgari. En hommage à Salgari, dans son roman À quatre mains (pas plus publié aux Éditions de Londres…), Paco Ignacio Taibo consacre plusieurs chapitres à une version imaginaire de Adieu à Mompracem (en fait, il s’agit d’un des nombreux « fils » narratifs de ce roman aussi remarquable par sa structure que par ses ambitions), probablement la clé de voûte du roman, puisqu’après la mort, il y a toujours la littérature. Heureusement. « Il se retourna pour contempler le soleil qui disparaissait dans l’océan et, après l’avoir mouillé avec sa salive, alluma un cigare de Manille ».
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