L’« Histoire véritable » est un conte philosophique de Lucien de Samosate écrit au IIème siècle après Jésus Christ. C’est certainement l’un de textes les plus originaux qui nous soient parvenus de l’Antiquité. Récit de voyage, conte philosophique, récit de science-fiction, satire de son époque, satire des textes anciens tels L’Odyssée, certainement un peu de tout ça. L’« Histoire véritable » est surtout connue comme le premier voyage dans la lune.
Bref résumé
Dès le début, Lucien annonce la couleur : le voyage qu’il va raconter, contrairement à tant d’auteurs respectés qui ont raconté des mensonges en prétendant raconter des histoires vraies, son voyage à lui, il est complètement faux, complètement inventé : « Je vais donc raconter des faits que je n’ai pas vus, des aventures qui ne me sont pas arrivées et que je ne tiens de personne ; j’y ajoute des choses qui n’existent pas nullement, et qui ne peuvent pas être : il faut donc que les lecteurs n’en croient absolument rien. ». Puis le narrateur s’embarque avec ses coéquipiers, toutes voiles dehors ; ensemble ils passent les colonnes d’Hercule. C’est alors qu’ils sont surpris par une terrible tempête. Ils accostent sur une île habitée par des femmes merveilleuses avec des doigts aux extrémités desquels poussent des branches chargées de grappes, mais qui se révèlent dangereuses, voire mortelles, pour les hommes qui s’en approchent de trop près (allusion directe à L’Odyssée). Ils repartent, mais une nouvelle tempête les soulève et les emporte dans les cieux pour un voyage qui durera plusieurs jours. Au terme de ce voyage ils arrivent sur la lune. Ils rencontrent le roi de la lune, Endymion. Les relations avec les habitants du soleil sont assez tendues. S’ensuivent des combats épiques et des descriptions homériques de ces combats où s’affrontent des créatures extraordinaires dont la description trop hâtive risquerait d’effrayer le lecteur non avisé. Puis Endymion, le roi de la lune, offre son fils en mariage au narrateur (car il n’existe pas de femmes sur la lune, et les hommes font des enfants entre eux) : « Et d’abord ce ne sont point des femmes, mais des mâles qui y perpétuent l’espèce, les mariages n’ont donc lieu qu’entre mâles, et le nom de femme y est totalement inconnu. On y est épousé jusqu’à vingt-cinq ans, et à cet âge on épouse à son tour. Ce n’est point dans le ventre qu’ils portent leurs enfants mais dans le mollet. ». Nous nous sommes demandés si ce passage est une allusion à l’homosexualité du IIème siècle, ou bien plutôt une allusion à l’homosexualité d’époques plus anciennes. Les navigateurs repartent ensuite. Ils voyagent dans les Pléiades, les Hyades, ils arrivent à Lychnopolis, une ville peuplée non pas d’hommes mais de lampes qui meurent quand on les éteint, puis ils arrivent ensuite à Néphélococcygie, la ville peuplée par les Oiseaux et décrite par Aristophane, après quoi ils retombent sur la mer, puis ils sont avalés par une gigantesque baleine. De l’intérieur de la baleine, ils assistent à un terrible combat marin. Mais ce n’est qu’après avoir mis le feu à l’intérieur de la baleine qu’ils parviennent enfin à en sortir. Ils arrivent dans une île, l’île des Bienheureux, où ils retrouvent de nombreux personnages de la mythologie grecque ainsi que de grands poètes et philosophes, dont Homère : « Je désirais aussi vivement savoir s’il avait composé l’Odyssée avant l’Iliade, comme beaucoup le prétendent. Il me dit que non. Quant à savoir s’il était aveugle, ainsi qu’on l’assure, je n’eus pas besoin de m’en enquérir : il avait les yeux parfaitement ouverts, et je pus m’en convaincre par moi-même. ». Après cela, ils s’arrêtent sur une île périlleuse, traversent une mer d’arbres, rencontrent des hommes à têtes de bœuf, des femmes à jambes d’ânesse, naviguent sur le dos en utilisant leur appareil reproducteur comme mât etc. Puis ils découvrent un continent nouveau. La suite, Lucien l’annonce, mais elle ne fut apparemment pas écrite.
Les sources
Lucien habite un monde en changement rapide, un monde caractérisé par la domination romaine, et la montée de la foi chrétienne sur le pourtour méditerranéen. Avant l’« Histoire véritable », Homère (?) avait déjà créé la « Batrachomyomachia », ou guerre des rats et des grenouilles, Aristophane avait écrit Les oiseaux, cette parabole philosophique et satire politique. Mais c’est un travail d’une originalité étonnante auquel se livre Lucien.
La modernité de l’œuvre
Si Lucien se moque gentiment de tous ces historiens et géographes qui mêlent allègrement ouï-dire, réalité, vraies observations avec les fruits de leur imagination, à savoir Hérédote, Thucydide, Xénophon, il crée une œuvre d’une originalité étonnante, puisqu’il s’agit bien d’un conte philosophique sans prétentions philosophiques mais plutôt satiriques, et qui se moque de son époque comme de lui-même. Cette façon de se mettre en scène, de pratiquer la dérision de tout ce qui était à l’époque encore sacré, et de s’adonner aussi à l’autodérision (il nous faudrait en savoir plus sur l’histoire personnelle de Lucien), c’est indéniablement une vraie rupture dans l’histoire de la littérature. C’est en cela que Lucien est un libre-penseur avant la lettre.
L’influence sur les auteurs futurs
L’influence de l’« Histoire véritable » est considérable, à tel point que sa renommée a été en quelque sorte « avalée » par les successeurs qui s’en sont inspirés pour créer à leur tour des œuvres originales. On peut compter évidemment Cyrano de Bergerac avec L’Autre Monde, Jonathan Swift avec le Voyage de Gulliver, Francis Godwin avec The man in the Moone, mais aussi François Rabelais dans le Quart Livre. Alors, fantaisie, satire, ou conte philosophique, l’« Histoire véritable » mérite d’être découverte ou redécouverte, comme l’un des grands textes classiques.
© 2014 - Les Éditions de Londres