Voilà à quoi aboutissent nos prisons. Mais il y a plus. Le fait pour lequel un homme revient en prison est toujours plus grave que celui pour lequel il avait été condamné la première fois. Si son premier acte a été un petit vol, il reviendra pour quelque grand coup. S'il a été emprisonné, la première fois, pour un acte de violence, souvent il reviendra assassin. Tous les écrivains criminalistes sont d'accord là-dessus.
La récidive est devenue un immense problème pour l'Europe, et vous savez comment la France l'a résolu. Elle a ordonné l'extermination des récidivistes en bloc, par les fièvres de Cayenne. D'ailleurs l'extermination commence déjà en route. Vous avez lu, il y a trois jours, comment on a passé par les armes onze récidivistes à bord du vaisseau qui les emmenait de France, et cet acte de sauvagerie du capitaine sera certainement son titre pour être nommé prochainement directeur de la colonie de Cayenne.
Eh bien, malgré toutes les réformes faites jusqu'à ce jour, malgré tous les systèmes pénitentiaires essayés, le résultat a toujours été le même. D'une part, le nombre de faits contraires aux lois existantes n'augmente ni ne diminue, quel que soit le système de peines infligées. On a aboli le "knout" en Russie et la peine de mort en Italie - et le nombre des meurtres est resté absolument le même. La cruauté des juges augmente ou diminue : la cruauté ou le jésuitisme des systèmes pénitentiaires changent. Mais le nombre d'actes nommés crimes reste invariable. Il est affecté seulement par d'autres causes, dont je vais parler tout à l'heure.
Et d'autre part, quels que soient les changements introduits dans le régime pénitentiaire, la récidive ne diminue pas. Et c'est inévitable, cela doit être ainsi : la prison tue en l'homme toutes les qualités qui le rendent mieux approprié à la vie en société. Elle en fait un être qui fatalement devra revenir en prison et qui finira ses jours dans un de ces tombeaux en pierre sur lesquels on inscrit Maison de détention et de correction et que les geôliers eux-mêmes appellent « Maison de corruption ».
Si on me demandait — « Que pourrait-on faire cependant pour améliorer le régime pénitentiaire ? » je répondrais : Rien ! On ne peut pas améliorer une prison. Sauf quelques petites améliorations sans importance, il n'y a absolument rien à faire qu'à la démolir.
J'ai déjà dit pour quel salaire dérisoire travaille le prisonnier. Dans ces conditions, le travail — qui déjà n'a aucun attrait en lui-même parce qu'il n'exerce aucune des facultés mentales du travailleur — est si mal rétribué qu'il arrive à être considéré comme une punition. Quand mes amis anarchistes à Clairvaux faisaient des corsets ou des boutons de nacre et recevaient douze sous pour dix heures de travail, dont quatre sous étaient retenus par l'Etat (de cinq à neuf sous sur dix chez les prisonniers de droit commun), nous comprenions très bien le dégoût que ce travail devait inspirer à un homme condamné à le faire. Quel plaisir trouver dans un pareil labeur ? Quel effet moralisant ce travail peut-il exercer, lorsque le prisonnier se répète continuellement qu'il ne travaille que pour enrichir un patron ! Quand il a reçu trente-six sous à la fin de la semaine il s'écrie avec raison : "Décidément, les vrais voleurs sont ceux qui nous tiennent ici et pas nous".