« Pot-bouille » est un roman d’Emile Zola publié en 1882. C’est le dixième volume des Rougon-Macquart. Roman assez proche par certains côtés du Bonheur des Dames puisqu’il en a parfois le ton, qu’il en plante le décor, et introduit certains des personnages, tels que Octave Mouret, « Pot-Bouille » est un des meilleurs romans de Zola. C’est avant tout le roman qui fait la critique totale, magistrale, absolue de la bourgeoise parisienne, de son système de valeurs fondé avant tout sur le prêche de la vertu et la dissimulation des vices. Si la vertu s’entend différemment de nos jours, et si les vices eux aussi ont évolué, le tableau que nous peint Zola, petit monde mesquin et cruel, avec à son centre l’immeuble haussmannien, a-t-il vraiment changé ?
Bref résumé
Le jeune Octave Mouret arrive rue de Choiseul, en provenance de Plassans et en passant par la gare de Lyon. C’est une maison neuve, dans un Paris en pleine transformation haussmannienne. Les Campardon l’accueillent et le logent, puis lui trouvent un emploi au Bonheur des Dames chez Madame Hédouin. Appartement par appartement, on découvre les personnages, les Campardon, qui logent Octave, les Pichon, les impayables Josserand dont la mère désespère de marier les deux filles et conduit le père à la mort, les Vabre, propriétaires de l’immeuble, les Duveyrier, Madame Juzeur, Monsieur Verdier, Monsieur Gourd le concierge qui déteste les pauvres, etc… Octave veut conquérir Paris à l’instar de Rastignac, mais dans son cas, c’est surtout la Parisienne qui l’intéresse. Alors, il essaie de mettre Valérie Vabre dans son lit, mais il n’y parvient pas. Il couche avec Marie Pichon, puis avec Berthe, et essaie avec Madame Hédouin, mais il échoue. Au chapitre huit, on assiste au mariage de Berthe avec Auguste Vabre, une plaisanterie, symbole de la perversité bourgeoise de l’époque, que Zola décrit ainsi : « des mères faisaient visiblement le rêve qu’elles mariaient leurs filles, la bouche fendue, les dents féroces, dans un abandon inconscient ; c’était la rage de ce salon, un furieux appétit de gendres, qui dévorait ces bourgeoises, aux sons asthmatiques du piano. ». Au chapitre neuf, Octave, déçu par son premier échec amoureux avec Caroline Hédouin, quitte Au Bonheur des Dames. Au chapitre dix, c’est la mort de Monsieur Vabre, le propriétaire de l’immeuble, lequel revient aux Duveyrier. Au chapitre quatorze, sur dénonciation de la bonne Rachel, les ébats de Octave et Berthe sont interrompus par le mari Auguste, dans une belle tradition à la Feydeau ; Octave et Auguste s’échangent des gifles, puis veulent se battre en duel, et finalement Auguste abandonne lâchement. Au chapitre quinze, Auguste chasse Berthe et explique aux Josserand qu’il n’en veut plus. Au chapitre dix sept, Josserand meurt, Duveyrier échoue dans sa tentative de suicide. A la fin, Berthe chasse Rachel qui l’insulte devant toute la maisonnée, et Octave finit par épouser Madame Hédouin, par intérêt, préparant ainsi Au bonheur des Dames.
Un roman plus léger, plus balzacien
« Pot-bouille » est un roman faussement grave, ou alors gravement léger. Par moments, on se rapproche de la comédie de mœurs. Si l’argent est le ressort des romans balzaciens critiques de la bourgeoisie, c’est bien le sexe ici qui sous-tend les relations humaines et la dynamique de la société. Si ce n’est qu’il n’est pas sous-entendu, il est cru. Sexe entre domestiques, entre bourgeois et domestiques, entre bourgeois, femmes pures qui se donnent au premier venu, femmes hystériques qui ne se donnent plus, Trublot qui couche avec toutes les bonnes de la maisonnée, tout est bon à condition que les coucheries se fassent strictement en dehors du cadre du mariage. Ce sont donc des accents à la Balzac mais aussi des rires à la Feydeau qui agitent les quelques cinq cents pages de ce savoureux roman. Parfois les scènes sont drôles, ou piquantes, parfois elles sont d’une cruauté rare, mais on est très souvent à mi-chemin entre le roman dix neuvième siècle et le théâtre de la même époque. C’est aussi dans ce roman que l’on doit apprécier les remarquables talents de dialoguiste de Zola. En lisant « Pot-bouille », on apprécie bien la distinction entre les registres utilisés par Zola dans les Rougon-Macquart, puisque l’on peut déjà distinguer les excès, les portraits poussés, la saturation des manifestations du mal, les scènes décrivant la condition ouvrière ou celles peignant la débauche, Germinal, L’Assommoir, Nana, et les romans plus « tenus », où une part de satire et d’ambiguïté vient enrichir les personnages et les situations, comme La curée, Au bonheur des Dames, ou encore « Pot-bouille ».
La femme dans la bourgeoisie parisienne
Dans le monde de Zola, la femme est le mur porteur de la structure sociale. Et la relation de Zola aux femmes est bien ambiguë. Mais dans « Pot-bouille », de toutes les situations qui choquent la morale puritaine de Zola, il y avant tout le mariage. Le mariage est l’institution bourgeoise, fausse, par excellence. A l’époque de la revendication du mariage pour tous, il est intéressant de redécouvrir ce que les progressistes de l’époque pensaient du mariage. Moment croquignolesque : des belles-mères harpies en jupons, vendant au plus offrant des jeunes vierges que l’on imagine arrachant les ailes des mouches dans leurs passe-temps, entre le chant et le piano, des jeunes vierges que la bourgeoisie maintient volontairement dans l’ignorance, l’isolement le plus abject, afin qu’elles servent de pâture, de chair fraîche, aux jeunes hommes, lesquels auront déjà connu les délices de la sexualité dans les bras de celles dont la société obligeante a obtenu la déchéance par la pauvreté. Et quand ces femmes vieillissent, au lieu de tout faire pour que leurs filles ne subissent pas le même sort stupide, cette conquête du statut, de la position sociale, par le mariage, au lieu de les libérer de ce joug, elles en deviennent les grandes prêtresses, elles mènent leur maison comme une entreprise de noces funèbres. Zola est profondément choqué par le statut de la femme dans la société bourgeoise. Le processus du mariage, c’est à l’époque le symbole de l’hypocrisie bourgeoise. Depuis, l’hypocrisie s’est déplacée.
La maison, la clé de voûte de la bourgeoisie parisienne
Le héros de « Pot-bouille », c’est aussi l’immeuble haussmannien. En cela, « Pot-bouille » peut être considéré comme un roman haussmannien. C’est aussi la meilleure mise en pratique des théories naturalistes de Zola, ce début avec la présentation des personnages et des familles étage par étage, c’est du théâtre, c’est aussi du cinéma. Cette société comprise par des plans de coupe, c’est un regard unique sur la bourgeoisie parisienne, une bourgeoisie façonnée et figée dans ses valeurs profondes autant que dans ses comportements par la structure urbaine de l’époque d’Haussmann et de Napoléon III. Car la bourgeoisie parisienne, outre ses caractéristiques qui ne la distinguent guère des bourgeoisies provinciales urbanisées du reste du monde, a ses caractéristiques propres. Si elle aime à se draper des atours de la modernité et à prêcher l’ouverture sur le monde, elle est conservatrice, repliée sur elle-même et ses propres convictions. Elle est tout aussi hypocrite que les autres sans pour autant manquer de pourfendre les autres en les accusant d’hypocrisie, elle ignore tout de tout, mais a des opinions tranchées sur absolument tout, car la certitude d’avoir raison est une des caractéristiques de ceux qui tirent leur pouvoir d’une morale en pierre de taille.
Nous croyons que les ressorts de la bourgeoisie parisienne se comprennent par la structure urbaine haussmannienne. Grande densité de population, donc faibles distances, rendant possibles et aisées les soirées entre amis. Taille des appartements, spacieux sans être immenses, structurant la famille à deux puis trois enfants, et les dîners à trois couples. Environnement urbain, monotone, tracé au carré, sans espaces verts, conditionne la migration hebdomadaire vers les maisons de campagne. Foi hypocrite dans la République, puisque rappelons le, les bourgeois parisiens tirent leur pouvoir de la révolution, puis de l’Empire et la Troisième République, qui explique leur amour pour l’école publique, Louis Le Grand, Henri IV, Janson, toutes des écoles du peuple bien sûr. Foi dans l’Etat et dans la sacrosainte redistribution par l’impôt, qui donne la bonne conscience de faire son devoir fiscal, sauf qu’avec les abattements dus au système des parts, les impôts directs acquittés par les bourgeois parisiens, qu’ils soient botra ou bobo, sont probablement les plus faibles d’Europe. Et à la base de tout ça, on a l’immeuble haussmannien, vecteur de transmission des inégalités sociales, magnifique théâtre de l’hypocrisie dont nous payons toujours les intérêts sur notre malheureuse capitale. Pour changer tout cela, recréer une société vraiment fondée sur la justice et l’égalité, et non pas cette parodie radical-socialiste de bas étage, il existe peu de solutions qui n’impliquent l’usage excessif du bulldozer.
Nous regrettons bien que Zola ne soit plus là parmi nous, nous voudrions que le monsieur du deuxième étage de l’immeuble de la rue de Choiseul revienne et continue sa féroce satire des gens qui bloquent toute évolution dans notre société actuelle, ce monsieur du deuxième étage, dont on dit au chapitre dix-sept qu’il a écrit des saletés sur la maison… « Pot-bouille », c’est aussi Zola qui évolue à l’intérieur comme à l’extérieur du roman. « Pot-bouille », c’est un peu ses ménines littéraires. Alors, ce roman, il faut le lire !
© 2012- Les Editions de Londres