Le Supplément au Voyage de Bougainville, ou Dialogue entre A et B sur l’inconvénient d’attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n’en comportent pas, est un conte philosophique de Denis Diderot, écrit en 1772, et paru en 1796 à titre posthume. A et B discutent dans le court dialogue, ou conte ou roman, du « Voyage autour du monde », de Bougainville, récemment publié en 1771. Bougainville, l’un des plus grands navigateurs français avec La Pérouse, écrit son livre Voyage autour du monde, au retour de son voyage (autour du monde) qui lui aura pris quatre ans. On ne va pas en parler en détail, mais ce qui est à noter, c’est que le livre connaît aussitôt un succès de librairie, principalement du bouche à oreille, en grande partie en raison de sa description enthousiaste du paradis polynésien, et surtout de Tahiti, où se passe l’action du Supplément, comme l’observateur et le connaisseur de Tahiti l’auront déjà observé par la couverture, illustration originale des Editions de Londres, qui représente A et B, avec la Boudeuse, le bateau de Bougainville, s’éloignant au loin. Ces regards désabusés, ironiques, des deux indigènes sur la couverture, sont familiers. C’est le même regard que l’on retrouve de nos jours sur les visages des indigènes du monde entier, lorsqu’ils regardent l’avion de touristes s’éloigner dans le ciel.
Plutôt que de s’extasier sur ce qui deviendra le mythe du bon sauvage, ou de dépeindre Tahiti comme la panacée humaine, Diderot sautera sur l’occasion pour critiquer, dans une tradition toute voltairienne, la société et l’époque dans laquelle il vit. A travers des dialogues parsemés de réflexions sur le droit naturel, la morale, Dieu évidemment (sujet très à la mode au XVIIIème siècle), la liberté, il introduit et alterne les personnages, A et B, L’AUMÔNIER et Orou, et les récits (les adieux du vieillard).
A la fin du conte, pourrait-on même soupçonner les prémices d’une pensée anarchiste, en opposition à la Monarchie, ce que la Révolution pervertira en changeant la structure de l’ordre mais sans en altérer les fondations morales ?
Jugez par vous-mêmes :
« - […] J’en appelle toutes les institutions politiques, civiles et religieuses : examinez-les profondément ; et je me trompe fort, ou vous y verrez l’espèce humaine pliée de siècle en siècle au joug qu’une poignée de fripons se promettait de lui imposer. Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre. Ordonner, c’est toujours se rendre maître des autres en les gênant : et les Calabrais sont presque les seuls à qui la flatterie des législateurs n’en ait point encore imposé.
Et cette anarchie de la Calabre vous plaît ? »
© 2011- Les Editions de Londres