« Surcouf, roi des corsaires » est un roman d’aventures historiques d’Arthur Bernède paru en 1925. Il est conçu, comme la plupart des œuvres de Bernède, comme un cinéroman, c'est-à-dire qu’il sort simultanément comme roman et comme film. « Surcouf, roi des corsaires » dépeint la vie très romancée du célèbre corsaire malouin.
Surcouf, le cinéroman
« Surcouf » sort en cinéroman entre Février et Avril 1925 dans Le Petit Parisien, donc quelques années après qu’Albert Londres y officie, et tandis que ce dernier écrivait pour L’Excelsior. Au même moment, puisque c’était le concept du cinéroman, sort le film « Surcouf », réalisé par Luitz-Morat, avec Bernède comme scénariste. Le film a un grand succès, populaire et critique. Le succès du film aide le « roman-feuilleton », et inversement.
Surcouf et Bernède
Le grand-père d’Arthur Bernède était Procureur du Roi, et connut Surcouf. Selon Annie Besnier, Robert Surcouf rendit même visite au grand-père de Bernède dans sa maison de Redon en 1824, donc cent ans avant que Arthur Bernède ne se lance dans son projet de cinéroman inspiré par l’histoire de l’un des plus grands Malouins. Comme il l’avait fait pour Vidocq ou pour Mandrin, Bernède fera un important travail de recherche sur le corsaire, lira énormément, ce qui ne l’empêchera pas de raconter une histoire où se mêlent réalité et fiction. Bon, et puis Surcouf est un malouin, c'est-à-dire quand même un peu un Breton, quoi qu’en disent les Malouins…, et un Breton, c’est bien ce qu’est Arthur Bernède.
Résumé du livre de Bernède
Surcouf, adolescent querelleur et désobéissant, s’échappe de la surveillance du Révérend Monnier, régent du collège des Jésuites de Dinan, auquel l’a confié le père de Surcouf, puis saute dans une barque, et se met en tête de traverser la rade qui sépare Dinan de Saint-Malo par un jour de tempête ! Heureusement, le corsaire Marcof se lance à son secours avec ses matelots et lui sauve la vie.
Quatorze ans plus tard, Robert Surcouf est riche et célèbre. Il a déjà beaucoup navigué, beaucoup écumé les mers, l’Océan Indien, Atlantique…Sa renommée dépasse Saint-Malo. . Partout son nom symbolise l’esprit corsaire qui sert de contrepoids à la puissance navale anglaise. De retour d’Île-de-France dans la cité malouine, il rend visite à sa famille, ses parents, sa grand-mère, sa cousine Marie-Catherine, qui est secrètement amoureuse de lui, et son ami Jacques Morel. Il apprend que Marcof vit retiré avec une compagne indienne, sur les bords de la Rance, dans sa propriété du Chêne-vert. Il va à sa rencontre, découvre Madiana, la femme de Marcof, et en tombe aussitôt amoureux. Il sent toutefois une certaine nervosité chez Marcof et Madiana. Marcof lui révèle son secret. C’est au cours d’une de ses navigations au sud de l’Inde qu’il sauva Madiana, tandis qu’elle cherchait à échapper à des hommes voulant la tuer. Pour la protéger, il dut tuer certains de ses assaillants. Les ennemis de Madiana ont juré de se venger. Le même jour, Surcouf fait échouer une tentative d’enlèvement. Marcof est blessé, Madiana est sauve.
Plus tard, à Port-Louis, en Île-de-France, en 1800, suite à une querelle entre ses marins et ceux du Lorientais Dutertre, il décide de faire alliance avec ce dernier afin de faire la chasse au Kent, un gros bâtiment anglais, fleuron de la marine britannique. Il embarque sur la Confiance, et finit par rattrapper le Kent. Par un coup d’une audace incroyable, il se rend maître de la frégate britannique. Il se gagne le respect et l’estime des anglais en épargnant les femmes, le commandant, le général et d’autres officiers supérieurs. C’est alors que par un hasard extraordinaire, il découvre Madiana sur le bateau, dans une cabine gardée par deux Hindous, Tagore et Timour, le fils et le père. Il apprend son histoire. Marcof est mort au cours d’un combat naval, elle est tombée entre les mains des anglais, qui l’ont remise aux Hindous qui la réclament, afin de lui faire payer la mort du Brahmane aux mains de Marcof. Le jeune Hindou s’échappe et saute à la mer. Surcouf fait pendre le père Timour.
De retour en France, Lady Bruce, la femme du Commandant du Kent, est chargée par Surcouf de porter la lettre du Ministre de la Marine, qui contient un proposition d’échange entre les prisonniers anglais du Kent, gardés au Château de Saint-Malo, et les prisonniers français, gardés sur les pontons, en rade de Portsmouth. Lady Bruce rencontre le Premier Ministre Pitt, et le convainc. Pendant ce temps, Surcouf prépare son mariage avec Madiana. C’est alors que, le jour de ses noces, il apprend que Marcof n’est pas mort, qu’il est aussi prisonnier sur les pontons, mais comme son nom n’est pas sur la liste présentée à Pitt, il n’est pas libéré. Aussitôt, il n’a d’autre choix que d’abandonner Madiana, et de se lancer au secours de Marcof. Surcouf sait qu’il lui faudra un nouveau coup d’une incroyable audace pour entrer en rade de Portsmouth, et subtiliser un prisonnier très bien gardé au nez et à la barbe des soldats britanniques. Il se déguise donc en anglais, et embarque avec Dutertre et quelques fidèles sur un cutter, The Swallow. Il arrive à Portsmouth, et rencontre le commodore local qu’il invite à dîner. Mais dans la cale du Swallow, nouveau coup de théâtre, c’est Tagore qui est caché, bien décidé à venger la mort de son père. Pendant ce temps, Surcouf et Dutertre trompent le commodore et s’emparent de Marcof. Quand ils reviennent sur le ponton pour embarquer sur leur cutter, ils le voient dériver. C’est Tagore qui s’en est emparé. Trahis au dernier moment, ils doivent s’enfuir à la nage. Poursuivis de toutes parts, ils se réfugient par hasard dans la résidence de Lady Bruce. Elle décide de les cacher. Mais ils sont ensuite capturés, puis délivrés par Dutertre, au cours d’une rocambolesque nuit sujette à de multiples rebondissements. Grâce à une nouvelle traitrise de Tagore, les anglais finissent par mettre la main sur eux. Ils sont condamnés à la pendaison. Nouveau coup de théâtre, au dernier moment, Surcouf est escorté hors de sa cellule, et conduit en présence de Pitt. Ce dernier le charge d’apporter un message à Bonaparte, et de revenir avec la réponse d’ici un mois, contre la vie de ses camarades prisonniers.
Surcouf arrive en France, rencontre Bonaparte, lequel, aussitôt impressionné par le corsaire qu’il n’avait jamais rencontré, veut lui confier la responsabilité de sa flotte. Bonaparte lit ensuite le message de Pitt : celui-ci lui demande d’arrêter la guerre de course en échange des prisonniers. Bonaparte refuse la proposition insultante, écrit une réponse, la confie à Surcouf, qui repart pour l’Angleterre. Sur le chemin du retour, Surcouf est mêlé à une rixe avec des royalistes dans une auberge. Mais avant de s’embarquer pour l’Angleterre, il repasse par Saint-Malo. Là, prévenu par Jacques Morel, l’ami d’enfance mortellement jaloux et amoureux de Marie-Catherine, l’Hindou Tagore plante un poignard empoisonné dans la poitrine de Surcouf. Puis les évènements se précipitent. Surcouf est embarqué par ses matelots à bord de la Confiance, tandis que le vieux chirurgien qu’il a fait appeler, le remet sur pied. Arrivé à proximité des côtes anglaises, il s’embarque seul sur une chaloupe, doit affronter une tempête soudaine, se réfugie chez Lady Bruce, et repart aussitôt avec le général Bruce pour Londres. Pendant ce temps, ses amis restés en prison croient qu’il les ait abandonnés. Pourtant, il arrive à temps, remet à Pitt la réponse de Bonaparte. Pitt tient sa promesse et les libère tous. Ils rentrent en Bretagne. C’est alors qu’il découvre la vérité : Madiana n’est pas morte. Elle a été enlevée par Tagore. Il se précipite à son secours, tue Tagore, Jacques Morel se suicide. Et Madiana se tue aussi, afin de ne pas avoir à choisir entre Surcouf et Marcof. Surcouf reprend la mer. Plus tard, il épousera Marie-Catherine.
Corsaires, pirates, flibustiers et boucaniers
C’est assez simple, mais clarifions pour le lecteur peu naviguant.
Le corsaire est une sorte de mercenaire des mers. Muni d’une lettre de marque, le corsaire est sur un navire civil armé, il est chargé d’attaquer des navires battant pavillon ennemi, et uniquement en temps de guerre. En cela, en dépit de son statut spécial, il a une fonction militaire.
Le pirate est un bandit qui s’attaque à des navires, armés ou non, et dont l’unique objectif est la recherche d’un butin.
Le flibustier a un statut plus ambigü. A mi-chemin entre le corsaire et le pirate, le flibustier peut s’attaquer à des navires de guerre comme à des navires marchands, parfois pour des raisons militaires, ou pour des raisons purement financières. Ce sont souvent des exilés, français, anglais, ou hollandais, et que l’on trouve au Dix Septième et au Dix Huitième siècle dans les Caraïbes. Leur camp de base, leur repère, est la fameuse île de la Tortue, au large d’Hispaniola. De même que les corsaires français s’en prenaient principalement, voire exclusivement aux navires anglais, les flibustiers, mélange de nationalités, s’attaquaient surtout aux galions espagnols, qu’ils savaient pleins de l’or et des pierres précieuses de l’Amérique.
A l’origine, le boucanier était un flibustier qui avait arrêté la course, ou alors un déserteur, un esclave en fuite…Constitués en petites communautés autonomes à Saint-Domingue, les boucaniers vivaient de la chasse de bœufs et de cochons sauvages dont ils séchaient la viande. Il n’était pas rare qu’ils reprennent la mer de façon occasionnelle, de même que les flibustiers pouvaient parfois faire une pause, et s’occuper du boucan. On associe souvent les flibustiers et les boucaniers sous le nom de Frères de la côte.
Au final, si le terme pirate est le plus générique, celui de corsaire s’applique surtout à la guerre de course pratiquée par les Français contre les Anglais, et flibustier comme boucanier sont des termes correspondant à des aventuriers des Caraïbes, qui se retrouvent à Saint-Domingue, mais surtout sur la légendaire île de la Tortue.
Biographie de Surcouf
Né en 1773 à Saint-Malo et mort en 1827 à Saint-Servan, Robert Surcouf est un corsaire français, probablement le plus célèbre avec Jean Bart, de Dunkerque, et Duguay-Trouin, un autre Malouin. Originaire d’une famille malouine riche et célèbre, il était aussi cousin de Duguay-Trouin. Dès l’âge de treize ans, il est aspirant sur le Héron, puis s’embarque dans la marine marchande et part pour les Indes. Il fait du transport d’esclaves, puis découvre le combat dès l’âge de vingt ans. Il devient corsaire et se fait remarquer par plusieurs coups d’éclat, le plus célèbre d’entre eux étant la prise du Triton, qu’il accomplit par la ruse, mais sans lettres de marque, l’exposant à la confiscation de ses prises, puisqu’il n’avait pas respecté les lois de la guerre, ayant fait de lui en quelque sorte un corsaire « sans licence ». Le Directoire revient sur sa décision, et lui octroie ses prises. En 1799, il prend le commandement de la Clarisse, repart pour l’Asie, et accomplit de nombreux exploits. Puis, quelques mois plus tard, il commande la Confiance, un trois mâts, et réalise sa superbe prise du Kent (telle que la raconte Bernède), un navire appartenant à la Compagnie des Indes Orientales. En 1801, il épouse Marie-Catherine de Maisonneuve. Et il reprend la mer. Bonaparte lui propose en 1803 le grade de capitaine de vaisseau, ce qu’il refuse, n’étant pas adepte de la discipline militaire. Mais en 1804, Bonaparte le décore de la Légion d’Honneur, puis le fait Baron d’Empire. Riche, il continue quand il le peut à s’attaquer à des navires marchands anglais, ou arme des bateaux pour ses expéditions, croyant beaucoup plus à la guerre d’usure qu’à l’affrontement direct avec la marine britannique. Il continue aussi le transport d’esclaves à partir d’Afrique, et ce en dépit de l’interdiction de l’esclavage. Riche à millions, il meurt en 1827.
L’esprit malouin
L’histoire maritime et commerciale de la France doit plus à Saint-Malo qu’à toute autre ville, ou province ou région. D’ailleurs, on pourrait presque dire que, sans Saint-Malo, il n’y aurait pas eu d’histoire maritime de la France, ou presque. Saint-Malo a produit plus de navigateurs, corsaires, d’administrateurs commerciaux de comptoirs maritimes que tout endroit de France. Pensez donc : Jacques Cartier, découvreur du Canada, de La Lande, de l’Epine, des corsaires, de Beauchêne, découvreur des îles Malouines, Duguay-Trouin, Surcouf, corsaires encore, La Bourdonnais, administrateur des Mascareignes et grand navigateur, Charcot, le navigateur…La liste n’en finit pas.
Saint-Malo fut même indépendante entre 1590 et 1594, joua un rôle essentiel dans le commerce avec l’Amérique, dans la guerre de course évidemment, mais également dans le commerce avec les comptoirs français d’Inde du Sud. En effet, la Compagnie française des Indes Orientales créée en 1694 par Colbert n’a jamais réussi qu’à être déficitaire, ce qui est tout de même incroyable, vu les bénéfices réalisés par les Compagnies des Indes Orientales anglaise et hollandaise. Mais en 1714, des commerçants malouins reprennent le commerce avec la côte du Coromandel (là où se situe Pondichéry). Ils créent aussi un important commerce à partir de Moka.
Alors, qu’est-ce que l’esprit malouin ? « Ni Breton, ni Français, Malouin suis ». Indépendant, ouvert, navigateur, aventurier, entreprenant, autonome, s’opposant à l’esprit « français » (ou plutôt parisien), centralisateur, administrateur, depuis Louis XI, renforcé avec le Dix Septième siècle, encore accentué par la Révolution, puis par l’Empire, puis par les diverses Républiques, l’esprit malouin serait un peu l’antithèse de ce qui fait le cadre établi, les normes, la structure, de ce qu’est la France. Indépendant, autonome, à la marge, hostile à l’emprise d’un pouvoir central distant et inefficace, que ce soit dans la vision du monde, ouverte sur l’extérieur (les marins), romantique (Chateaubriand), hostile à la discipline et soucieuse d’efficacité (la guerre de course), amoureuse de découvertes (le Canada, les Mascareignes, les Malouines…), commerçante, efficace, et entreprenante (voir la reprise des activités de la Compagnie des Indes Orientales dès 1714 et le succès obtenu : côte du Coromandel, Moka…), la cité malouine offre un contrepoids symbolique au pouvoir central parisien, et à la vision du pouvoir à la française. En cela, transformant ainsi la devise malouine, Les Editions de Londres oseraient dire : « Nous sommes tous des Malouins. ».
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