« Ubu enchaîné », d’Alfred Jarry, l’un des quatre Ubu, est écrit en 1899, et représenté la première fois en 1900, à vrai dire qu’importe. Si Ubu roi c’est le pouvoir, « Ubu enchaîné » c’est l’esclavage. D’un côté le croc à phynances, de l’autre les fers. D’une certaine façon Ubu enchaîné serait le pendant naturel à Ubu roi, les points cardinaux et extrêmes entre lesquels se balance la geste ubuesque.
L’histoire commence avec un mot que l’on ne dit pas, ou que l’on ne dit plus, « merdre », et des personnages et des situations un tout petit plus classiques, à savoir rabelaisiens (Pissembock, Pissedoux, Catoblepas…).
Le sujet de la pièce, encore une fois une référence à ce qui lui préexiste, c’est-à-dire d’autres Ubu, s’explique avant même que la pièce ne débute :
« Cornegidouille ! nous n’aurons point tout démoli si nous ne démolissions même les ruines ! Or je n’y vois d’autre moyen que d’en équilibrer de beaux édifices bien ordonnés. » Inutile de le souligner, cette phrase, Les Editions de Londres, qui sont férus de destruction plutôt que de cataplasmes et de placebos en matière de reconstruction sociale, l’adorent.
L’histoire se comprend et se résume dés la deuxième page :
« …Puisque nous sommes dans le pays où la liberté est égale à la fraternité, laquelle n’est comparable qu’à l’égalité de la légalité, et que je ne suis capable de faire comme tout le monde et que cela m’est égal d’être égal à tout le monde puisque c’est encore moi qui finirai par tuer tout le monde, je vais me mettre esclave, Mère Ubu !
Esclave, mais tu es trop gros, Père Ubu !
Je ferai mieux la grosse besogne… »
Et en une réplique, c’est toute la mythologie française qui passe à la trappe. Ce qui au passage montre la fragilité des mythologies (voir Barthes) d’ennui. Elles passent à la trappe après trois lignes. En revanche « Ubu enchaîné » a une mission sociale bien précise : « Ubu enchaîné » nous explique, par-delà les mots vides de sens qui ornent les frontons des Mairies, « Ubu enchaîné » nous explique ce qu’est la liberté.
Certains passages de « Ubu enchaîné » sont à mourir de rire. Il y a quelque chose d’épique dans le spectacle de ces forçats qui se battent, sous la conduite de Ubu, pour leur esclavage, et contre les partisans de la liberté, qu’ils finissent par massacrer. « Nous envahirons les prisons, et nous supprimerons la liberté ! ». Il y a quelque chose de formidable à imaginer la procession des enchaînés qui se dirigent vers les galères turques, « Sire, j’ai donné un reçu de deux cents esclaves, puisqu’il en était convenu ainsi avec le pays libre, mais le convoi est réellement de plus de deux mille. Je n’y comprends rien. La plupart sont dérisoirement enchaînés, réclament à grands cris des fers, ce que je comprends moins encore, à moins qu’ils ne témoignent par là leur hâte de participer à l’honneur de ramer sur les galères de votre majesté. »
« Ubu enchaîné », un chef d’œuvre beaucoup moins lu qu’Ubu roi, mais à lire à tout prix.
« Le Vizir- Le Père Ubu prétend qu’on lui a volé ses boulets de forçat en route. Il est d’une humeur féroce et manifeste l’intention de mettre tout le monde dans sa poche. Il casse toutes les rames et effondre les bancs afin de vérifier s’ils sont solides. »
Alors, en conclusion, nous dirons avec une humilité pas toujours caractéristique des Editions de Londres : Vive le Père Ubu ! Vive l’esclavage !
© 2011- Les Editions de Londres