« Une route » est un texte de Zo d’Axa écrit et publié en 1895 dans La revue blanche. Il y raconte son errance de proscrit et nous conduit de Whitechapel à Londres jusqu’aux ruines du Parthénon. C’est avec plaisir que nous le suivons dans son errance. Il s’agit du premier texte de Zo d’Axa que publient Les Editions de Londres.
Le proscrit solitaire
Zo d’Axa est un être à part, un de ces êtres solitaires, bien plus libertaires qu’anarchistes, qui appartiennent avant tout à la « chevalerie errante ». Leurs critiques maintiennent qu’ils ne réalisent rien, ne finalisent rien, ne laissent pas leur marque comme Toutankhamon un tombeau. Ceux qui disent cela sont des imbéciles. Ils oublient la façon dont progressent et évoluent les sociétés humaines. Celui qui réalise en apparence n’est jamais qu’un catalyseur de ce que le reste de la société a décidé de réaliser. En cela, ceux qui inspirent, à condition qu’on ne les plonge pas dans l’oubli, comme Georges Darien ou ici Zo d’Axa, ont bien un rôle essentiel, un rôle sous-estimé.
Comme beaucoup d’anarchistes ou assimilés, ou tout simplement ceux qui refusaient le Gouvernement exploiteur de la fin du Dix Neuvième siècle, celui de la Troisième République, Zo d’Axa doit partir. Et il part. Cette fois-ci, il nous parle de Londres, le lieu de la proscription européenne, mais un lieu auquel Zo d’Axa, grand individualiste devant l’éternel, ne peut se faire. On sent dans ces quelques pages la déprime de l’auteur, la difficulté qu’il a à faire les concessions nécessaires afin de s’intégrer dans une société, aussi petite, marginale, compacte, soit elle. Pourtant, Londres à l’époque, c’est la résidence de Kropotkine, Darien, Reclus, mais Zo d’Axa ne s’y fait pas. Alors, « étranger partout », il ne reste que trois mois et repart, « Partir et pour n’importe où… », c’est-à-dire les Pays-bas. Il s’embarque sur un paquebot pour Rotterdam, puis pour la Grèce, Mégara, Athènes, il dort une nuit sous les ruines du Parthénon.
Un style d’une grande modernité, un style inclassable
Ce qui frappe immédiatement à la lecture de Zo d’Axa, même dans un texte volontairement minimaliste comme celui que nous avons choisi de publier, c’est son indépendance. Il est presque impossible de classer Zo d’Axa dans une école littéraire. Le style est trop vivant, pas assez sujet à péroraisons, trop animé, plein de sauts, de culbutes et de cabrioles qui laissent le lecteur enchanté. Et pourtant ce style est bien à lui, le style à formules, acerbe, vif, plein de fureur et d’énergie poétique, celui d’un vrai pamphlétaire. Finalement, ce style étonnant, à la fois moderne par la variation des phrases, les ruptures de rythme, des courtes et des longues, de multiples paragraphes, rappelant l’écriture journalistique de l’époque (une époque où les journalistes n’essayaient pas d’être des littérateurs), et un peu désuet, avec ces inversions nom-adjectif, la multiplication de ces adjectifs, l’alternance entre phrases poétiques et formules tranchantes, ce style est rafraichissant.
Mais ce qui frappe aussi, c’est ce côté presque visionnaire, où en critiquant la société de son époque avec naturel il annonce déjà les travers de notre société future. Ainsi à Athènes : « Je fréquente peu les musées cliniques : vénérables morceaux de statues, bras de vénus, jambe d’Apollon, torse étiqueté, toute la Grèce chirurgicale ! »
Comme il l’explique lui-même dans un autre texte, qui résume assez bien sa relation au langage et à la vérité : « Nous aussi nous parlerons au peuple, et pas pour le flagorner, lui promettre merveilles et monts fleuves, frontières naturelles, ni même une république propre ou des candidats loyaux ; ni même une révolution préfaçant le paradis terrestre… Toutes ces antiennes équivalentes se psalmodient cauteleusement ; ici nous parlerons clair. Pas de promesses. Pas de tromperie….Nous dirons des choses très simples et nous les dirons simplement. »
© 2012- Les Editions de Londres