La « Vie de Henry Brulard » est une autobiographie de Stendhal écrite entre 1835 et 1836, commencée quand il a cinquante deux ans. S’il y fait souvent référence au « lecteur de 1880 », l’œuvre ne sera publiée qu’en 1902. La « Vie de Henry Brulard » reste une des autobiographies littéraires les plus passionnantes qui aient été écrites. Outre la personnalité de Stendhal, on y découvre un contexte historique original, la psychologie de l’enfance, et une écriture à des années lumière du style emprunté du siècle qu’il habite.
Un miroir que l’on promène le long d’une vie
« Vie de Henry Brulard » est une lecture obligatoire pour toute personne aimant Stendhal et appréciant sa modernité. L’introspection psychologique de son enfance, l’importance de l’enfance dans le façonnement de la personnalité, le style élégant, qui cherche à exprimer les sentiments, qui cherche aussi à créer une véritable complicité avec son lecteur, tout ceci nous touche, de même que la multiplicité de ses esquisses, de ses dessins où il renforce le réalisme de scènes passées, tout ceci vise et réussit à produire une autobiographie étonnante, qui franchement n’est pas que celle d’Henry Brulard, ou celle d’Henri Beyle, mais est aussi la notre.
Henry Brulard et Stendhal
Il s’adresse au lecteur comme il écrirait une lettre à un ami de 1880 : « parler à des gens dont on ignore absolument la tournure d’esprit, le genre d’éducation, les préjugés, la religion ! Quel encouragement à être vrai, et simplement vrai, il n’y a que cela qui tienne. »
Qu’apprend-t-on de Stendhal ? Il adorait sa mère, ils s’embrassaient passionnément, sa vie, ou alors, la vie qu’il aurait pu avoir, s’arrête avec sa mort. Il détestait son père avec la même passion (« Il ne m’aimait pas comme individu mais comme fils devant continuer sa famille. »), de même que sa tante Séraphie. Heureusement, il avait son grand-père, qu’il admire, qu’il aime (« Mon excellent grand-père qui dans le fait fut mon véritable père et mon ami intime jusqu’à mon parti pris… »), et qui l’initie aux Lettres, au Siècle des Lumières (il a un petit buste de Voltaire dans son bureau). Il déteste la Monarchie, aime la République, il exulte à la mort de Louis XVI, aime la patrie, il hait la religion, il déteste les bourgeois, mais ne goûte pas non plus du spectacle de la pauvreté, qui dans une tradition aristocratique partiellement refoulée le rebute, il aime en revanche les beaux spectacles de la nature. Il n’aime pas Grenoble, veut à tout prix s’en échapper, pour aller à Paris, qui d’ailleurs le décevra. Il est maladroit avec les femmes ; elles jouent un rôle essentiel dans sa vie, bien que souvent il n’ait pas « eues » celles qu’il aimait, ou qu’il les perdît, ce qu’il explique ainsi : « au lieu d’être galant je devins passionné auprès des femmes que j’aimais, presque indifférent et surtout sans vanité pour les autres, de là, le manque de succès et les fiasco ». Dans « Vie de Henry Brulard », (est-ce pour balancer plus délicatement ses quatre vérités au monde qui l’entoure ?), on trouve un nombre d’anglicismes et de mots anglais assez étonnant. Ou alors, est-ce parce qu’il s’adresse aux « Happy Few » ?
Stendhal aime les mathématiques, science précise et exacte, une science non subjective et hypocrite ( ?) (« j’aime encore, les mathématiques pour elles-mêmes, comme n’admettant pas l’hypocrisie et le vague, mes deux bêtes d’aversion. »), car l’hypocrisie de son milieu le dégoûte. Mais c’est aussi un moyen de quitter Grenoble. L’origine de tous ses malheurs, l’origine de sa personnalité, c’est qu’il vivait entouré de tyrans (« tant il est vrai que toutes les tyrannies se ressemblent »), son père, tante Séraphie, l’abbé Raillane (« Un jour, mon grand-père dit à l’abbé Raillane : - Mais Monsieur, pourquoi enseigner à cet enfant le système céleste de Ptolémée que vous savez être faux ? – Monsieur, il explique tout et d’ailleurs est approuvé par l’Eglise. » ; tout est là), mais aussi les rois qui trahissent la patrie, etc…mais l’origine de ses malheurs, c’est aussi « Tout mon malheur peut se résumer en deux mots : jamais on ne m’a permis de parler à un enfant de mon âge. ».
Il déteste le latin, il s’en plaint, il s’ennuie, c’est un vrai pensum. En littérature, Stendhal n’aime pas Chateaubriand, Lamartine, Balzac, et quantité d’écrivains empruntés ou faux dont les noms ont été perdus pour la postérité. Ce qu’il aime, Montesquieu, Walter Scott, Cervantès, Molière, mais aussi Florian et La Nouvelle Héloïse, Les liaisons dangereuses. Mais surtout Don Quichotte : « Don Quichotte me fit mourir de rire… Qu’on juge de l’effet de Don Quichotte au milieu d’une si horrible tristesse ! La découverte de ce livre, lu sous le second tilleul de l’allée du côté du parterre dont le terrain s’enfonçait d’un pied, et là je m’asseyais, est peut-être la plus grande époque de ma vie. »
Détail intéressant, il rencontre Xavier de Maistre, l’auteur du Voyage autour de ma chambre :« le Comte de Maistre, surnommé Bance (et c’est Bance, auteur du Voyage autour de ma chambre, dont j’ai vu la momie à Rome vers 1832, il n’est plus qu’un ultra fort poli, dominé par une femme russe, et s’occupant encore de peinture. Le génie et la gaieté ont disparu, il n’est resté que la bonté). »
Et au final, il veut « aller à Paris et faire des pièces comme Molière. ». Suivons-le pour les Tome deux et Tome trois.
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