Xavier de Maistre (1763-1852) est un écrivain, peintre, militaire et aventurier savoisien qui termina sa vie au service du Tsar Alexandre I de toutes les Russies. Né à Chambéry, à l’époque le Duché de Savoie ou Etats de Savoie ou encore Etats Sardes, il descend d’une famille originaire de Nice ; son père est président du Sénat de Savoie. Xavier est l’un des plus jeunes d’une famille de quinze enfants. Quand sa mère meurt, il n’a que dix ans. C’est son frère aîné qui assumera le rôle de parrain.
Une vie mouvementée
Est-ce la perte de sa mère qui explique une fuite en avant, une insatisfaction permanente, et donc une vie aussi originale ? Est-ce la situation compliquée de cette partie de l’Europe à l’époque qui explique une quête identitaire ? Est-ce son histoire familiale qui jette la lumière sur cette succession singulière d’entreprises, d’allégeances diverses, qui culmineront avec son rattachement à la Russie ? Les Editions de Londres ne peuvent apporter de réponse satisfaisante.
A l’âge de dix-huit ans, Xavier s’engage dans la Marine (Real Navi), dans un régiment stationné à Chambéry. En 1784, un an après les frères Montgolfier, après Pilâtre de Rozier, il tente une ascension en montgolfière, aventure financée par sa famille, mais à laquelle il participe en se cachant de son père.
Il se bat en 1793 contre les troupes françaises révolutionnaires, puis se replie quelques temps plus tard sur la ville d’Aoste où, stationné, il lit, apprend, dessine et peint des paysages valdotains, et enfin tombe amoureux d’une jeune femme veuve. En 1794, suite à un deuxième duel, il est arrêté et enfermé pendant quarante deux jours dans sa chambre de la citadelle de Turin. Il y écrit son ouvrage le plus célèbre, Voyage autour de ma chambre.
Voyage autour de ma chambre
Le Voyage autour de ma chambre fut écrit au cours de son séjour en prison à Turin en 1794. C’est un récit autobiographique carcéral, parodie des voyages à la mode au Dix Huitième siècle et où, plein d’une ironie toute sternienne, Maistre joue avec le lecteur et invente l’introspection littéraire, conclusion de la littérature du Dix-Huitième siècle et prélude à la littérature du Dix Neuvième siècle.
Un ronin sarde fin du Dix huitième siècle
En 1797, il est nommé capitaine de l’armée sarde. Mais en 1798, suite à l’abdication de Charles Emmanuel IV, Xavier de Maistre se retrouve sans chef, sans armée, sans projet ni mission, et aussi sans « solde ». Alors, poète militaire, peintre sabre au clair, il va errer à Turin comme un Ronin, c’est-à-dire un samouraï sans maître, jusqu’à ce qu’il y rencontre un prince Russe, justement à la recherche d’un officier sarde qui connaisse la guerre de montagne… ? En 1799 il est capitaine de l’armée Russe. Puis la vie continue, bat son plein, le voilà à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou, où il ouvre un atelier de peinture, il est ministre plénipotentiaire du roi de Sardaigne auprès du Tsar, puis il se bat à nouveau, est blessé, participe à la campagne de Russie, du côté Russe, il se marie avec une princesse Russe, lui fait quatre enfants, dont deux meurent. Il finit à Naples, perd ses deux autres enfants, retourne en Russie avec sa femme, après être passé par la Savoie. Il se remet à la peinture, s’intéresse à l’invention du daguerréotype. Finalement sa femme Sophie meurt en 1851. Il la suit un an plus tard. Il est enterré à Saint-Pétersbourg.
Un homme des Lumières
En Anglais, on dirait de nos jours Renaissance man, mais en Français, on dirait « homme des Lumières » : quoi que les deux significations ne soient pas identiques, nous aimons bien les deux sonorités et nous les utiliserons indifféremment. L’histoire de la vie de Xavier de Maistre est riche d’enseignements, et à plus d’un titre. D’abord, que l’on soit terré dans son petit trou de province, ou que l’on ne sorte jamais de son Seizième ou de son Vingtième arrondissement, au bout du compte, cela a bien peu d’importance. On ne vit pas pour les bénéfices d’une vie future, ou pour une postérité que l’on essaierait de se construire en suivant d’illusoires sentiers battus censés nous ouvrir gloire et reconnaissance sociale, mais bien en suivant ses envies, ses passions, ses pulsions de l’instant, tout en sachant que, quoi que l’on fasse, tout cela a bien peu d’importance, tout cela disparaît, enfoui sous les pelletées d’humus qui s’amoncellent et apportent un peu de matérialité au temps qui passe.
Heureusement, il y a bien d’autres vies que la nôtre, et puis parfois, on trouve un illuminé qui décide de s’intéresser à votre vie, parce qu’il y voit un exemple, un message, un présage même.
Ensuite, le bonheur est une petite chose bien illusoire. C’est quand l’ennui le saisit que Xavier découvre l’amour, c’est quand tout semble terminé que s’ouvrent les portes de la gloire, si imprévues que l’on se demande à quoi il sert de les chercher. En revanche, ce bonheur n’existe que de façon factice, puisque, à celui qui aura tout eu, tout vécu, se jouant des frontières, des royaumes, des monarques, tous enchaînés à leurs couronnes comme des chèvres à leurs poteaux, le sort jouera un sale tour : en dépit de tous ses efforts, ses quatre enfants mourront jeunes.
Et puis, quel paradoxe que la vie de cet homme qui change d’armée deux ou trois fois, est de langue française mais passe sa vie militaire à combattre les armées révolutionnaires françaises, sans que l’on sache bien ce que sont ses idéaux, un homme si adaptable qu’il vit où bon lui chante, qu’il écrit, peint, voyage en aérostat, découvre avant beaucoup le potentiel de la photographie, un esprit si évidemment curieux, créatif, critique, ouvert, un pur produit des Lumières, et au final un homme qui ne lèguera à la postérité que ce Voyage autour de ma chambre, à notre avis une simple confession l’aidant à traverser la tourmente monacale d’un mois et demi de cellule. A notre époque surspécialiste où la reconnaissance s’obtient par l’identification avec une tâche, avec un lieu, avec une position, avec une entreprise ou une cause, on aime bien oublier ce genre d’inclassable.
Aux Editions de Londres, we beg to differ, tous ces monomaniaques du cerveau, ces obsessifs de la carte de visite, qui ont un message, un CV bien construit, une route toute tracée devant eux, on les oublie, avec ennui, en bâillant à s’en décrocher la mémoire, on détourne le regard quand ils parlent, pontifiants, et nos yeux se portent sur le petit oiseau posé sur sa branche, plein de couleurs vives. En revanche, ce genre d’homme, si réel, si vrai, mort depuis deux siècles, on pense qu’il est bien plus vivant que beaucoup de morts qui marchent, et en lui on salue ce qui nous fascine, en lui on admire l’unique levier qu’ait l’être humain sur son existence, au cours du bref espace de temps qui lui est imparti, son infinie liberté.
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