S’il est utile et agréable d’avoir une âme dégagée de la matière au point de la faire voyager toute seule lorsqu’on le juge à propos, cette faculté a aussi ses inconvénients. C’est à elle, par exemple, que je dois la brûlure dont j’ai parlé dans les chapitres précédents. Je donne ordinairement à ma bête le soin des apprêts de mon déjeuner ; c’est elle qui fait griller mon pain et le coupe en tranches. Elle fait à merveille le café, et le prend même très souvent sans que mon âme s’en mêle, à moins que celle-ci ne s’amuse à la voir travailler ; mais cela est rare et très difficile à exécuter : car il est aisé, lorsqu’on fait quelque opération mécanique, de penser à toute autre chose ; mais il est extrêmement difficile de se regarder agir, pour ainsi dire ; ou, pour m’expliquer suivant mon système, d’employer son âme à examiner la marche de sa bête, et de la voir travailler sans y prendre part.
Voilà le plus étonnant tour de force métaphysique que l’homme puisse exécuter.
J’avais couché mes pincettes sur la braise pour faire griller mon pain ; et, quelque temps après, tandis que mon âme voyageait, voilà qu’une souche enflammée roule sur le foyer : ma pauvre bête porta la main aux pincettes, et je me brûlai les doigts.