Il ne faut pas anticiper sur les événements ; l’empressement de communiquer au lecteur mon système de l’âme et de la bête m’a fait abandonner la description de mon lit plus tôt que je ne devais ; lorsque je l’aurai terminée, je reprendrai mon voyage à l’endroit où je l’ai interrompu dans le chapitre précédent.
Je vous prie seulement de vous ressouvenir que nous avons laissé la moitié de moi-même, tenant le portrait de Mme de Hautcastel, tout près de la muraille, à quatre pas de mon bureau. J’avais oublié, en parlant de mon lit, de conseiller à tout homme qui le pourra d’avoir un lit de couleur rose et blanc : il est certain que les couleurs influent sur nous au point de nous égayer ou de nous attrister suivant leurs nuances.
Le rose et le blanc sont deux couleurs consacrées au plaisir et à la félicité. La nature, en les donnant à la rose, lui a donné la couronne de l’empire de Flore ; et lorsque le ciel veut annoncer une belle journée au monde, il colore les nues de cette teinte charmante au lever du soleil.
Un jour nous montions avec peine le long d’un sentier rapide : l’aimable Rosalie était en avant ; son agilité lui donnait des ailes : nous ne pouvions la suivre. Tout à coup, arrivée au sommet d’un tertre, elle se tourna vers nous pour reprendre haleine, et sourit à notre lenteur. Jamais peut-être les deux couleurs dont je fais l’éloge n’avaient ainsi triomphé. Ses joues enflammées, ses lèvres de corail, ses dents brillantes, son cou d’albâtre, sur un fond de verdure, frappèrent tous les regards. Il fallut nous arrêter pour la contempler : je ne dis rien de ses yeux bleus, ni du regard qu’elle jeta sur nous, parce que je sortirais de mon sujet, et que d’ailleurs je n’y pense jamais que le moins qu’il m’est possible. Il me suffit d’avoir donné le plus bel exemple imaginable de la supériorité de ces deux couleurs sur toutes les autres, et de leur influence sur le bonheur des hommes.
Je n’irai pas plus avant aujourd’hui. Quel sujet pourrais-je traiter qui ne fût insipide ? Quelle idée n’est pas effacée par cette idée ? Je ne sais même quand je pourrai me remettre à l’ouvrage. Si je le continue, et que le lecteur désire en voir la fin, qu’il s’adresse à l’ange distributeur des pensées, et qu’il le prie de ne plus mêler l’image de ce tertre parmi la foule de pensées décousues qu’il me jette à tout instant.
Sans cette précaution, c’en est fait de mon voyage.