I
L’auteur annonce son beau livre qui raconte les malheurs des Albigeois. Il prétend s’appeler Guillaume, clerc de l’abbaye de Tudèle et avoir appris la géomancie.
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
commence la chanson que composa maître Guillaume,
ce clerc, qui fut éduqué en Navarre, à Tudèle[Note_1],
un homme de bien et savant, comme dit l’histoire.
Il fut fort aimé des clercs et des laïcs,
désiré et chéri par les comtes et les vicomtes,
à cause de l’extermination qu’il avait prévue
grâce à la géomancie qu’il avait longtemps étudiée.
Il savait qu’un pays serait brûlé et détruit,
pour la folle croyance qu’il avait reçue ;
que les riches bourgeois seraient appauvris,
qu’ils perdraient les grands biens dont ils étaient fiers,
que les chevaliers s’en iraient bannis, les pauvres !
ils iraient vers d’autres terres, soucieux et gémissants.
Il résolut, dans son cœur, habile comme il était,
expert pour tout ce qu’il entreprenait,
de faire un livre qui soit entendu à travers le monde,
par lequel se répandraient son savoir et son bon sens.
Ce fut ce livre-ci qu’il fit ; il l’écrivit lui-même
depuis le commencement jusqu’à la fin.
Il y mit tout son souci, et à peine put-il dormir.
Le livre fut bien fait, et parachevé en beaux termes.
Si vous voulez l’entendre, grands et petits,
vous y apprendrez force beaux dires et bonnes idées,
car celui qui l’a composé en a le cœur tout rempli ;
et quiconque ne le connaît pas, ni n’en a entendu parler,
ne pourrait jamais l’imaginer.