Le « Cinquième livre des histoires de Pantagruel » vient terminer le cycle écrit par Rabelais. Il termine le voyage dont le début était raconté dans les troisième et quatrième livres, Panurge obtient enfin l’oracle de la dive bouteille.
Le livre complet paraît en 1564, onze ans après la mort de Rabelais. Les seize premiers chapitres ayant été publiés en 1562 sous le titre de l’Île sonnante.
L’écriture du livre tel qu’il nous est resté n’est certainement pas entièrement de Rabelais et l’on ne sait pas bien quelle y est sa part. Probablement, certains chapitres sont de sa main et d’autres ont été écrits à partir de notes de Rabelais ou complètement inventés en s’inspirant des premiers livres.
La version des éditions de Londres
La version que nous proposons est basée sur l’édition de 1564. Comme nombre d’autres éditeurs, nous avons complété ou corrigé l’édition de 1564 en prenant en compte le texte de l’Île Sonnante et le manuscrit du cinquième livre complet, découvert à la bibliothèque nationale, chaque fois que leurs textes nous semblaient plus vraisemblablement être le texte d’origine.
Notre adaptation en français moderne des œuvres de François Rabelais est originale. Comme avec les Essais de Montaigne, il nous a semblé que le moment était venu d’offrir au lecteur moderne une version plus lisible que le français du Seizième siècle, en cherchant à ce que la version moderne n’éloigne pas le lecteur de l’action et des personnages de l’époque, et qu’elle restitue fidèlement l’incroyable inventivité du langage et des situations rabelaisiennes. Nous avons donc modernisé l’orthographe, traduit les mots incompréhensibles, conservé les néologismes, utilisé des annotations quand c’était nécessaire, respecté le rythme de la phrase du Seizième siècle. Pour nous aider dans cette traduction, nous avons utilisé les notes figurant dans l’édition du Cinquième Livre de Le Duchat et Le Motteux (1711), dans celle de Burgaud des Marets et Rathery (1873) et dans celle d’Esmangart et Johanneau de 1823. Notre traduction en français moderne a cherché à fournir un texte agréable à lire en évitant l’effort continuel de déchiffrage du vieux français. On peut ainsi retrouver le plaisir de la lecture que devaient ressentir les contemporains de Rabelais.
Enfin, pour plus de confort de lecture, et parce qu’il s’agit d’une des avancées permises par le livre numérique, notre navigation « paragraphe par paragraphe » permet de passer aisément et de façon fluide d’un paragraphe en français du Seizième siècle à notre version moderne, ou l’inverse en utilisant les balises [O] et [M].
Résumé du Cinquième livre
À la fin du quatrième livre, nous avions laissé Pantagruel et ses compagnons au cours de leur voyage pour obtenir l’oracle de la dive Bouteille.
Le cinquième livre continue ce voyage jusqu’à ce que Panurge reçoive cet oracle.
Dans le prologue, l’auteur, (est-ce bien Rabelais ?), s’en prend aux porteurs de capuchons qui veulent interdire ses livres et défend la qualité des livres écrits en français. Il espère que les temps aient changé et que, peut-être grâce à la Réforme, ses livres ne seront plus condamnés.
Les chapitres I à VI racontent la visite à l’île Sonnante. À leur arrivée, il découvre l’ermite Braguibus, qui les oblige à jeûner pendant quatre jours avant d’entrer dans l’île. Ils peuvent ensuite rejoindre maître Éditus qui les guidera dans l’île. Pantagruel et ses compagnons découvrent que les habitants de l’île ont été transformés en oiseaux. Les oiseaux mâles s’appellent des Clergaux, Monagaux, Prêtregaux, Abbégaux, Évêgaux, Cardingaux, et Papegaut et les femelles des Clergesses, Monagesses, Prêtregesses, Abbégesses, Évêgesses, Cardingesses, Papegesses. On aperçoit tout de suite la satire de l’Église catholique. Dans l’île sonnante, les cloches ne cessent de sonner ce qui fait chanter les oiseaux. Éditus explique à Pantagruel d’où viennent tous ces oiseaux, c’est là que les familles se débarrassent des enfants en trop. La compagnie peut enfin boire et manger et ils le font sans cesse pendant quatre jours.
Au chapitre VII, Panurge raconte l’histoire de l’âne et du cheval, dans laquelle l’âne préfère abandonner la bonne litière et la bonne nourriture du cheval pour aller faire la fête avec les ânesses.
Dans le chapitre VIII, ils peuvent apercevoir le papegaut, toujours dans l’île sonnante.
Au chapitre IX, ils arrivent à l’île des ferrements dans laquelle toutes sortes d’outils et d’armes en fer poussent dans les arbres, et où les herbes en grandissant s’y emmanchent.
Au chapitre X, Pantagruel et ses compagnons arrivent à l’île de Cassade. C’est l’île des dés à jouer. C’est l’occasion pour l’auteur de critiquer les jeux de hasard, les joueurs étant tous des invocateurs du diable.
Les chapitres XI à XV racontent la visite au Guichet de Grippeminaud, archiduc des Chats-fourrés. C’est l’occasion de faire la satire des magistrats. Toute la compagnie se retrouve devant le tribunal de Grippeminaud. Grippeminaud pose une énigme à résoudre pour pouvoir sortir du tribunal. Pour qu’ils puissent sortir, Panurge, après avoir donné une interprétation de l’énigme, lance une bourse de pièces d’or sur lesquelles se précipitent tous les chats-fourrés. On découvre la corruption de Grippeminaud et de ses chats-fourrés lorsque des marchands leur apportent toutes sortes de bonnes choses. Après quelques accrochages avec les serviteurs des chats fourrés, ils parviennent à reprendre la mer.
Au chapitre XVI, la compagnie arrive à l’île des Apedeftes où ils rencontrent Gagne-beaucoup qui va les guider. Les habitations sont des pressoirs où l’on reçoit des grappes que l’on presse. C’est l’occasion de faire la satire de la chambre des comptes chargée de contrôler le bon paiement des impôts, les pressoirs en sont les bureaux des magistrats et les grappes les individus qui sont contrôlés.
Le chapitre XVII raconte la visite à l’île d’Outre où les habitants éclatent de graisse. C’est une satire des goinfres qui meurent de trop manger.
Au chapitre XVIII, le navire de Pantagruel et de ses compagnons s’est ensablé. Heureusement arrive un navire sur lequel l’auteur retrouve un vieil ami alchimiste qui peut les tirer du sable. C’est l’occasion d’une légère satire des alchimistes.
Les chapitres XIX à XXIII décrivent l’escale au royaume de la Quinte Essence, c’est-à-dire de l’alchimie et des charlatans. La reine est la nièce d’Aristote qui l’a nommée Entéléchie. C’est l’occasion d’une satire des scolastiques qui consacrent des livres à examiner la différence entre entéléchie et endéléchie. Ils assistent à une séance de guérisons des malades que fait la reine en leur jouant des airs appropriés. Elle les reçoit ensuite et leur fait un long discours ampoulé. Ils sont ensuite conviés à un repas merveilleux. Après le repas, ils assistent aux soins que donnent les gentilshommes de la reine par des moyens tous surprenants, c’est l’occasion de faire la satire des médecins charlatans. Par la suite, ils rencontrent les officiers de la reine occupés à des tâches toutes plus farfelues les unes que les autres. Enfin, ils assistent au repas très particulier de la reine.
Les chapitres XXIV et XXV racontent le bal donné le soir au royaume de la quinte Essence. Il se donne sur un échiquier et l’on constate que les danseurs sont en fait les pièces d’un jeu d’échecs et la description du bal est la description d’une partie d’échecs.
Le chapitre XXVI décrit l’escale à l’île d’Odes où les chemins cheminent d’eux-mêmes transportant les habitants.
Les chapitres XXVII à XXIX décrivent l’escale à l’île des Esclots ou se trouvent les frères Fredons. C’est là une satire des frères mendiants que Rabelais a souvent critiqués. Les frères Fredons, qui font à peu près tout à l’envers, n’oublient pas d’être hypocrites et de bien manger. Panurge interroge un frère Fredon qui ne répond que par monosyllabes. Les questions portent, bien sûr, sur la présence de filles à la disposition des Fredons et sur la nourriture et la boisson. Le Fredon ayant affirmé que leur période de plus forte sexualité était Mars, période du carême, Pantagruel explique que c’est les mets de jeûne qui en sont la cause.
Les chapitre XXX et XXXI concernent la visite du pays de satin. Les habitants, les animaux et les plantes sont en tapisserie. Ils ne mangent rien et ne disent rien. C’est l’occasion à l’auteur de faire la description d’animaux rares, surtout à l’époque, comme les éléphants, rhinocéros, unicornes, caméléons et d’animaux fabuleux. La compagnie y rencontre Ouï-dire, un petit vieillard avec sept langues et cent oreilles. Il permet à ceux qui l’écoutent d’apprendre les choses par ouï-dire et c’est le cas de nombreux historiens et des témoins de procès,
Les chapitres XXXII et XXXIII décrivent l’arrivée au pays de Lanternais. Ils viennent là pour obtenir une lanterne qui pourra les guider vers l’oracle de la Bouteille. Ils sont reçus par la reine et invités à son repas. La reine leur fait choisir une lanterne pour les accompagner.
Les chapitres XXXIV à XLIII décrivent leur arrivée au pays de la dive Bouteille et la visite du temple où elle officie. Il commence par traverser un vignoble merveilleux où poussent toutes sortes de cépages. Pour atteindre l’oracle, ils doivent manger trois raisins, mettre du pampre dans leurs souliers, tenir à la main une branche verte et porter un chapeau de lierre. Pantagruel et ses compagnons doivent descendre sous terre, où se trouve le temple, par un grand nombre d’escaliers pour retrouver la pontife Bacbuc. Ayant descendu tous les escaliers en devisant, ils arrivent devant le grand portail du temple qui s’ouvre de lui-même. L’auteur décrit les merveilles du temple : le sol fait d’un pavage de pierres magnifiques agrémentées d’une mosaïque représentant des vignes que l’on croirait vraies. Sur la voûte, est représentée en mosaïque, la bataille de Bacchus en Inde avec tous ses détails que l’auteur décrit comme si la scène se déroulait sous ses yeux. Avançant dans le temple, ils peuvent admirer une lampe extraordinaire qui éclaire tout le temple. Puis, la pontife Bacbuc les entraîne au niveau inférieur du temple où ils découvrent une fontaine fantastique. Bacbuc les invite à boire l’eau de la fontaine qui prend un goût de vin selon l’imagination de chacun.
Les chapitres XLIV à XLVIII concernent la consultation de l’oracle. Panurge ne doit écouter le mot de la bouteille que d’une oreille. Bacbuc le fait se vêtir des vêtements rituels très originaux et exécuter les mouvements rituels. Enfin, elle l’emmène dans une petite chapelle encore plus magnifique où, au milieu d’une fontaine, se trouve la sacrée Bouteille. Il doit encore accomplir des rites et chanter la chanson de la dive bouteille et alors sort de la dive Bouteille l’oracle sous la forme d’un mot ; Trinch. Bacbuc emmène Panurge pour découvrir l’interprétation du mot dans le grand livre de gloses. Mais le grand livre ne se lit pas, mais il boit. On apprend alors que Trinch veut dire Buvez. Puis la visite à la dive Bouteille se termine par des chansons et Bacbuc leur donne des bouteilles de l’eau de la fontaine qui se transformera en un doux vent pour pousser leurs bateaux au retour.
Quelques extraits du cinquième livre
La critique du carême
Dès leur arrivée à l’île sonnante, Pantagruel et ses compagnons doivent jeûner quatre jours : « Nos jeûnes furent terribles et bien épouvantables, car le premier jour nous jeûnâmes à bâtons rompus, le second à épées rabattues, le troisième à fer émoulu, le quatrième à feu et à sang. »
Pantagruel affirme que le jeûne du carême est fait pour manger des nourritures aphrodisiaques afin d’inciter à la multiplication de l’espèce humaine : « Vous seriez bien ébahi, dit Pantagruel, si en fait, le bon pape, créateur du saint carême, voyant que cette saison est celle où la chaleur naturelle sort du centre du corps, dans lequel elle s’était contenue durant les froidures de l’hiver, et se disperse à la circonférence des membres, comme fait la sève dans les arbres, avait ordonné ces nourritures que vous avez indiquées pour aider à la multiplication de l’espèce humaine. »
La critique des moines mendiants
Ils envahissent l’île sonnante : « Il arrivait en volant un grand nombre de cagots qui avaient souillé et conchié toute l’île d’une façon si hideuse et monstrueuse qu’ils étaient fuis par tous. Ils avaient tous le cou tordu, les pattes poilues, des griffes et un ventre de Harpies, et des culs de Stimphalides »
La visite à l’île des Esclots est à nouveau l’occasion de critiquer les frères mendiants. Grâce à leur habillement, ils sont capables de marcher en avant comme en arrière pour quêter : « Ils avaient la braguette de leurs chausses en forme de pantoufle et en portaient chacun deux, l’une cousue devant et l’autre derrière. Ils portaient des souliers ronds comme des bassins à l’imitation de ceux qui habitent la mer de sable ; au demeurant, ils avaient la barbe rase et les pieds ferrés. Et pour montrer qu’ils ne se soucient pas de la fortune, ils se faisaient tondre et plumer comme des cochons la partie postérieure de la tête depuis le sommet jusqu’aux omoplates. Les cheveux de devant depuis les os bregmatiques poussaient librement. La houppe de leurs capuchons était attachée devant, et non derrière ; de cette façon, ils avaient le visage caché, et se moquaient librement autant de la fortune que des fortunés. Ils avaient aussi toujours découverte la partie postérieure de la tête comme nous le faisons du visage : cela parce qu’ils avançaient de ventre ou de cul, comme bon leur semblait. »
La critique du clergé
Les membres du clergé sont le rebut des familles nombreuses qui se déchargent des enfants en trop dans l’église : « Généralement ils sont bossus, borgnes, boiteux, manchots, goutteux, contrefaits, et malfaisants, les poids inutiles de la terre. »
Le clergé est une charge pour la société civile qui doit les nourrir : « Toute leur occupation est à bien vivre, gazouiller et chanter. De quel pays vous vient cette corne d’abondance, et cette profusion de tant de biens et de morceaux friands. »
La critique des magistrats
La visite de l’île de Grippeminaud est l’occasion d’une critique acerbe des magistrats : « Parmi eux, règne la sexte essence, avec laquelle ils agrippent tout, dévorent tout, et conchient tout ; ils brûlent, éclatent, décapitent, meurtrissent, emprisonnent, ruinent et minent tout sans distinction de bien ni de mal. Car parmi eux, le vice est appelé vertu, la méchanceté est nommée bonté, la trahison a le nom de fidélité, le larcin est dit libéralité, le pillage est leur devise. »
La critique de la cour des comptes
Le chapitre sur l’île des apedephtes est une critique de la Cour des comptes qui pressurent les contribuables à leur volonté : « Par leur ordonnance tout doit se manier dans l’ignorance, et il ne doit pas y avoir d’autre raison, sinon que Messieurs l’ont dit, Messieurs le veulent, Messieurs l’ont ordonné. »
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