Le mois de novembre est le plus long de l’année. Bon, je sais bien, il ne compte que trente jours. Mais c’est pour moi qu’il est le plus long. Parce que c’est le mois où je pense au calendrier de l’avent. Vous savez, ce truc plein de portes, une par jour de début décembre jusqu’à Noël, avec des images ou des bonbons derrière. J’adore. Mes copains me disent qu’à dix ans c’est trop ringard.
Je m’en fiche.
Cette année, j’ai attendu moins longtemps. Papa en a reçu un au travail – pour votre fils lui a dit son chef – et maman l’a accroché au mur juste en face de mon lit. « Interdiction de l’ouvrir avant le 1er décembre », qu’elle a dit en fronçant les sourcils. J’aurais bien voulu obéir, mais c’était impossible. Le 1er décembre était prévu pour dans dix ans. J’ai juste résisté la première nuit, et encore, jusqu’à onze heures seulement d’après mon réveil.
Toutes les cinq minutes, j’allumais ma lampe pour être sûr que personne n’avait volé mon calendrier. Je le regardais, je me levais et touchais les portes fermées, entre les dentelures je tentais d’apercevoir ce qui était caché. Mille fois je me suis couché puis relevé. À la mille et unième, j’ai craqué ; c’est humain, comme dirait grand-père qui craque pour plein de choses.
J’ai ouvert une porte au hasard. Pas celle du 1er décembre, comme ça maman ne verrait pas tout de suite que j’avais désobéi, avec un peu de bol elle penserait même que le calendrier avait un défaut. Bon, j’ai choisi le 10 décembre parce que je suis né le 10 avril et que j’aime bien ce chiffre. Derrière la porte, il y avait une image. Si petite que j’ai dû coller mon nez au calendrier. Et encore, je ne voyais pas bien, alors je me suis penché en avant comme si j’étais sur un balcon et que je voulais voir les voisins du dessous. Je me suis tellement penché que j’ai basculé.
J’ai eu très peur. Le vide, je n’aime pas trop, surtout quand il est dans ma chambre. J’ai même crié, je crois, enfin j’ai dit quelque chose en tombant. Je me suis retrouvé à plat ventre sur une pelouse super tendre et toute verte. Le ciel était bleu, le soleil brillait, mais j’avais froid parce que j’étais en pyjama et que le vent soufflait. Je me suis relevé. La pelouse était immense, bordée de tours en béton et de grilles rouillées. Je me suis senti mal. Mon ventre était comme une pierre et mes jambes tremblaient. J’ai voulu revenir dans ma chambre, mais autour de moi je n’ai trouvé ni porte ni fenêtre.
Pendant deux jours, j’ai pleuré. D’habitude, maman m’entend et vient me consoler. Pas aujourd’hui. Aujourd’hui ? J’ai encore plus paniqué en me disant que c’était la nuit dans ma chambre et le jour ici. Que se passait-il ? Je me suis mis à courir direction les tours pour trouver quelqu’un qui me ramènerait dans ma chambre. Une porte, deux, toutes fermées. Les boutons des sonnettes étaient placés trop haut, même en bondissant je ne les touchais pas.
J’avais de plus en plus froid. Derrière les grilles rouillées, j’ai cru apercevoir la voiture de papa qui m’attendait. L’image a disparu. J’étais tout seul, la pluie a commencé à tomber, j’ai encore essayé de forcer une porte, sans succès. Ce calendrier était trop naze, jamais je n’aurais dû le toucher, si on me retrouvait mort ici j’allais le regretter. Promis juré, plus jamais je ne désobéis que je me suis dit et j’ai craché par terre.
Tout à coup, j’ai pensé que si j’étais tombé ici, peut-être que je pouvais sauter en sens inverse pour revenir dans ma chambre. Une idée de génie, Einstein n’aurait pas fait mieux. J’ai mis trois mois à retrouver l’endroit exact où j’avais atterri. Ensuite j’ai sauté comme un perdu, cinq fois, dix fois… et je me suis écroulé sur le parquet de ma chambre, entre mon lit et le mur. J’ai pleuré de joie avant de m’enfouir sous le duvet, bien au fond, à l’abri du calendrier.
J’ai attendu le 1er décembre pour ouvrir la première porte. Tout s’est bien passé, l’image était super visible et il y avait un chocolat en forme de cœur. Les jours suivants aussi. Le 10 décembre, j’ai flippé comme la bête. Je ne voulais pas retourner sur la pelouse, près des tours. Puisque je ne pouvais pas en parler à maman, j’ai fait venir Maxence, un pote que je kiffe moyen. Je lui ai promis tous les chocolats, il a ouvert la porte et il a disparu. Alors j’ai dit à maman que ce calendrier de l’avent, c’était maxi ringard pour mon âge, et je l’ai jeté à la poubelle.
On n’a jamais revu Maxence.