Le Diable amoureux est orné de figures faites par ces hommes de génie que la nature se plaît à former, et dont l’art, par ses règles asservissantes, n’a jamais refroidi le génie. De Strasbourg à Paris, il n’y a presque pas de cheminée qui ne porte l’empreinte du feu des compositions du premier, de la fumée ondoyante de ses pipes et du flegme philosophique de ses fumeurs.
Il a bien voulu jeter sur le papier son idée brûlante et rapide ; et si les froids connaisseurs n’y trouvent pas le fini maniéré d’un burin platement exact, les gens de goût seront, à coup sûr, saisis de la vérité de l’expression ; le sérieux imposant d’un philosophe instruit des secrets les plus impénétrables de la cabale, l’avide curiosité d’un adepte qui brûle de s’instruire et dont l’attention se communique jusqu’à ses jambes, leur sauteront aux yeux. Ce qui ne leur échappera sûrement pas, c’est le bras du serviteur infernal de Soberano, qui sort d’un nuage pour obéir à son maître, et lui apporter, au premier signal, la pipe qu’il demande ; c’est enfin la facilité du génie de l’artiste à placer si naturellement sur le mur de la chambre l’estampe, heureusement négligée, qui représente cet étonnant effet de la puissance magique.
Que ne pouvons-nous décrire avec la même étendue les chefs-d’œuvre de deux autres génies qui ont prêté leurs crayons séduisants ! Mais pourquoi nous y refuser ? L’esprit d’un dessin, l’expression d’une gravure, ne disent-ils pas presque toujours plus et mieux que les paroles les plus sonores et les mieux arrangées ? Quelles expressions rendraient, comme la gravure, le courage tranquille d’Alvare, que le caverneux Che vuoi n’ébranle point ?
Comment peindre aussi chaudement, en écrivant, son étonnement froid, lorsque, de sa couche rompue, il jette les yeux sur son page charmant qui se peigne avec ses doigts ?
Quelles phrases donneront jamais une idée plus nette du clair-obscur que la quatrième de nos estampes, dont l’auteur, ayant à représenter deux chambres, a si ingénieusement mis tout l’obscur dans l’une et tout le clair dans l’autre ? Et quel service n’a-t-il pas rendu, par cet heureux contraste, à tant de gens qui ont la fureur de parler de cet art sans en avoir les premières notions ? Si nous ne craignions pas de blesser sa modestie, nous ajouterions que sa manière nous a paru tenir beaucoup de celle du fameux Rembrandt.
Le chien d’Alvare, qui, dans le bosquet, le sauve, en déchirant son habit, du précipice où il allait s’engloutir, prouve bien que les gens d’esprit en ont souvent moins que les bêtes.
La dernière enfin, qui tire assez sur le haché si spirituel de la première, quoique d’une autre main, nous a paru aussi sublime qu’elle est morale ; quelle foule d’idées présente à l’imagination son éloquente sécheresse ! une campagne éloignée de tout secours humain ; des coursiers fougueux, emblème des passions, qui, en brisant leurs liens, laissent bien loin derrière eux la voiture fragile qui représente si bien l’humanité ; un être enivré qui se précipite pour n’embrasser qu’une vapeur ; un nuage affreux, d’où sort un monstre dont la figure retrace, aux yeux du moral abusé, l’image au vrai de ce que son imagination libertine lui avait si follement embelli.
Mais où nous entraîne le désir de rendre justice aux délicieux auteurs de ces tableaux frappants ? Qui de nos lecteurs n’y trouvera pas un million d’idées que nous nous reprocherions de leur indiquer ? Brisons là, et qu’il nous soit permis seulement de dire un mot de l’ouvrage.
Il a été rêvé en une nuit et écrit en un jour : ce n’est point, comme à l’ordinaire, un vol fait à l’auteur ; il l’a écrit pour son plaisir et un peu pour l’édification de ses concitoyens, car il est très moral ; le style en est rapide ; point d’esprit à la mode, point de métaphysique, point de science, encore moins de jolies impiétés et de hardiesses philosophiques ; seulement un petit assassinat pour ne pas heurter de front le goût actuel, et voilà tout. Il semble que l’auteur ait senti qu’un homme qui a la tête tournée d’amour est déjà bien à plaindre ; mais que lorsqu’une jolie femme est amoureuse de lui, le caresse, l’obsède, le mène, et veut à toute force s’en faire aimer, c’est le diable.
Beaucoup de Français, qui ne s’en vantent pas, ont été dans les grottes faire des évocations, y ont trouvé de vilaines bêtes qui leur criaient : Che vuoi ? et qui, sur leur réponse, leur présentaient un petit animal de treize à quatorze ans. Il est joli, on l’emmène ; les bains, les habits, les modes, les vernis, les maîtres de toute espèce, l’argent, les contrats, les maisons, tout est en l’air ; l’animal devient maître, le maître devient animal. Eh ! mais pourquoi ? C’est que les Français ne sont pas Espagnols ; c’est que le diable est bien malin ; c’est qu’il n’est pas toujours si laid qu’on le dit.
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Personne ne se méprendra sur le ton ironique de cette préface, où l’auteur, à propos des gravures bizarres de sa première édition et au moyen de ces gravures mêmes, fait la critique des dessinateurs de son temps et des éloges que leur donnaient certains amateurs exagérés. Nous avons cru devoir publier le fac-simile de ces gravures ; indispensables à l’intelligence de la préface, et qui deviennent le complément nécessaire d’une édition illustrée.