« Les Comitadjis » est un récit d’Albert Londres, écrit suite à un reportage réalisé en 1931 dans les Balkans. Cette fois-ci, le journaliste enquête parmi les réseaux des terroristes indépendantistes macédoniens.
Qui sont les Comitadjis ?
Les Comitadjis sont des terroristes qui luttent pour leur indépendance, pour la libération de leur pays et de leur terre d’un joug étranger. Comme les Minute men avant et pendant la Guerre d’Indépendance, comme les FFI pendant la Résistance, comme beaucoup de mouvements armés et violents qui utilisent le meurtre, ciblé, ou aveugle, comme moyen d’affirmation de leurs revendications politiques. Comme toujours, il faut s’en méfier, comme il faut se méfier aussi de ceux qui les louent, et de ceux qui les condamnent. Car la vérité n’est pas si simple. Les vérités simples sont en général les mensonges que l’on vous fait avaler afin d’obtenir votre consentement de façon non violente, dans le but d’attiser en vous les passions les moins avouables, afin d’octroyer « légalement » ou même « démocratiquement » le monopole de la violence à ceux qui les fabriquèrent si habilement, ces vérités simples, c'est-à-dire ces mensonges.
Alors, qui sont les Comitadjis ? A l’origine ce sont des résistants bulgares et macédoniens qui se battent contre les Turcs au XIXe siècle, puis se battent toujours contre les Turcs après le Congrès de Berlin de 1878 qui divise la Macédoine entre Bulgarie et Empire Ottoman, puis qui continuent à se battre, un peu contre tout le monde, après les conflits qui embrasent les Balkans entre 1912 et 1913. Quand Albert Londres les rencontre au prix de multiples difficultés, ils se battent toujours.
L’ORIM
L’ORIM est un peu le Gouvernement officiel en exil de la Macédoine, et la force de l’ombre qui fait à peu près ce qu’elle veut en Bulgarie. L’ORIM, c’est l’Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédonienne. L’Orim est née en 1893 à Ressen, entre Okrida et Monastir, donc après le Congrès de Berlin. Damian Groueff et Péré Tocheff en sont les fondateurs. L’ORIM s’appuie sur une tradition séculaire, celle des Haïdoucs, des bandits généreux et redresseurs de torts, qui font partie du folklore bulgare et macédonien. Au départ, comme partout dans les Balkans, l’ennemi est clair : c’est le Turc. A l’époque, « la Macédoine…était un pays d’épouvantable misère ». « C’était une étable ottomane pour des cochons de chrétiens. Les révolutionnaires se firent réformateurs, organisant leur courrier, leur service sanitaire, distribuant la quinine, châtiant la ménagère malpropre, montrant comment il fallait enfourner. Concurremment, les fusils ne manquant plus, ils formaient leurs premières bandes. »
Dés les premières attaques des bandes armées, les bachi-bouzouks turcs organisent la répression. En 1912, la Bulgarie, la Serbie, la Grèce et le Monténégro déclarent la guerre à l’Empire Ottoman. En 1913, les Turcs perdent la Macédoine. Mais celle-ci est coupée en trois morceaux : grec, serbe et bulgare. Depuis 1928, les assassinats entre fractions opposées de l’ORIM se multiplient. Personne n’y échappe.
La Macédoine
A l’époque d’Albert Londres, la Macédoine compte deux millions d’habitants. Leurs divisions ethniques : Bulgares, Turcs, Grecs, Albanais, Koutso-Valaques, Tziganes, Juifs et Serbes. Les Serbes considèrent que leur partie de Macédoine est leur, c’est la Serbie du Sud. Les Bulgares prétendent que la Macédoine est leur, puisque l’on y parle Bulgare. Mais le Macédonien n’est pas exactement le Bulgare, c’est un mélange de grec, turc, bulgare, serbe et albanais. Suite à la fin de l’Empire Ottoman et au Traité de Neuilly, les choses restent en l’état. Ce qui ne satisfait pas tout le monde. Le problème, c’est que dans le monde des patriotes macédoniens, les Serbes ont un peu remplacé les Turcs. Ils ont supprimé les écoles de langue bulgare, les Macédoniens ont du « serbiser » leurs noms…Alors, l’ORIM est très occupée à assassiner en Bulgarie ceux qui ne sont d’accord avec leur cause, à assassiner les colons serbes de leur Macédoine, et ce en opérant par l’intermédiaire de bandes armées ou tchétas. Avec le temps, l’ORIM s’installe, et ils deviennent plus terroristes que résistants.
L’Etat dans l’Etat
L’ORIM dispose d’un millier d’hommes. Elle a des représentants dans les capitales européennes. A l’époque de Londres, l’ORIM est dirigée par un triumvirat constitué de Mikaïloff, Karadjoff et Razvigoroff. Ils ont de nombreuses dépenses : membres, nourriture, munitions, complots… Et leurs recettes ? L’Etat Bulgare, l’Italie contribuent. Mais la spécialité de l’ORIM, ce sont les contributions forcées, art dans lequel l’organisation révolutionnaire est passée maître. Et comme le décrit Londres, « Le fonctionnaire vous remet deux reçus, l’un au nom de l’Etat, l’autre au nom de la Terreur. ». L’impôt de la Terreur, c’est dix pour cent ; sur les récoltes de tabac, c’est cinq pour cent du chiffre d’affaires. Mais ils ont aussi un système de justice, et une Haute Cour. Ils veillent à empêcher tout rapprochement possible entre la Yougoslavie et la Bulgarie, entre Sofia et Belgrade. Et le moyen de leur politique étrangère ? L’assassinat. « L’ombre du comitadji est plaquée sur la vie bulgare. »
Et des solutions ?
Il n’y en pas…« …sans la Macédoine, il n’y aurait pas de comitadjis, je vous ai donné une opinion. Il en est une autre, celle des Serbes : sans les comitadjis, il n’y aurait plus de question de Macédoine. ». Et il n’y en pas, de solution, parce que comme dans tous ces conflits, il existe des opinions irréconciliables. Et prendre parti pour l’une ou pour l’autre ne sert à rien, si ce n’est à renforcer l’une des parties, et pousser l’autre dans l’obscurité et la guerre larvée. Allons, il y aurait bien une solution, une solution qui dépasse le cadre de ce petit livre, la libre détermination des peuples à décider d’eux-mêmes et de leur sort. Mais pour cela, il faudrait que les plus forts respectent les plus faibles, il faudrait que les parties soient prêtes à négocier.
Pourtant, Londres en propose une, de solution : une confédération des peuples slaves du sud allant de l’Adriatique à la mer noire. Cette idée pourrait se réaliser au sein de l’Union Européenne. Mais encore une fois, la solution n’est pas dans l’Etat-Nation, qui voit ses rapports avec le monde extérieur en termes d’exclusivité, en termes d’eux et nous. Après presque vingt ans passés à courir le monde, Londres en sait bien plus en politique étrangère que ceux qui sont chargés de la politique étrangère. Et il connaît la règle d’or de la politique étrangère : l’homme n’est pas sage, et toute personne qui signe un traité en comptant sur la sagesse des hommes pour le mettre en pratique, est un imbécile. Car, pour qu’il le devienne, sage, il faut qu’il n’ait plus le choix.
© 2012- Les Editions de Londres