Le Comte Louis de Kerkadek, dit La Pérouse, est un navigateur, explorateur et écrivain français. Né au début des années soixante dans un hameau du Nord Finistère, des périodes entières de sa vie restent à ce jour un mystère.
Une anecdote des mers du Sud.
Alors, que sait-on du Comte ? D’abord, contrairement à tous ces bourgeois du Dix-Neuvième siècle qui ajoutèrent subrepticement une particule à leur nom, le Comte, lui, l’ôta.
En effet, plus attiré par la mer et l’océan que par les biens fonciers que les Kerkadek se transmettent de génération en génération, il décida d’adopter un profil bas, plus roturier, afin de se confondre avec ses camarades navigants. Mais chassez le naturel, il revient au galop, comme dirait le Comte, qui pourtant ne monte pas à cheval, mais s’intéresse depuis son plus jeune âge aux oligoéléments : c’est au cours d’une de ses discrètes circumnavigations que le Comte, après avoir essuyé une tempête au passage du Cap Horn, un typhon ravageur en mer de Chine, dut faire face aux éléments déchaînés sur son catamaran en pleine mer du Sud, si près de l’endroit célèbre du naufrage de « l’Astrolabe » et de « la Boussole » que l’équipage lui donna ce surnom de La Pérouse. Au final, le Comte ne connut pas cette nuit là le sort de son illustre prédécesseur. Pourtant, au petit matin, tandis que le bateau voguait à cinq cents milles nautiques de la côte Ouest de l’Australie, il découvrit deux kangourous morts sur le pont et alors il comprit la force des vents.
Que cette anecdote ne décourage pas les lecteurs curieux de découvrir sa biographie : elle nous semblait essentielle pour comprendre la modestie, l’abnégation et le sens de la survie qui sont les caractéristiques de ce personnage hors du commun, que nous eûmes un jour la chance de rencontrer par une nuit d’orage tandis que nous cherchions un raccourci que nous ne trouvâmes jamais.
Biographie du Comte, ou ce que l’on en sait.
Louis de Kerkadek naît au début des années soixante dans un hameau du Nord Finistère. C’est un enfant précoce. Rêveur, il passe ses journées à chercher l’Océan de la fenêtre de sa chambre. Mais comme il s’agit d’un hameau bretonnant, il ne croise que le regard des quelques cochons qui font l’essentiel de l’exploitation porcine de la domesticité avoisinante.
Au hameau de Kerkadek, il n’y a pas une famille qui ne se souvienne de cette fameuse nuit de 1793 où les Bleus, ayant décidé d’une expédition punitive en pays chouan, s’égarent dans les bocages et parviennent par hasard sur la place principale du hameau des Kerkadek, place qui la nuit ne vibre que des conversations des korrigans et des courses de farfadets. Choix bien peu judicieux de la part des Républicains. Déjà, à l’époque, les Kerkadek ne se mêlaient pas de politique, ou disons plutôt qu’ils s’opposaient aux efforts combinés de l’Etat centralisateur, monarchique ou républicain, et de l’Eglise, à vouloir abuser de la liberté individuelle. Alors, n’écoutant que leur courage, les Kerkadek mirent les familles du hameau à l’abri dans leur château du Treizième siècle, puis, aidés par quelques hommes valides, menés par le curé, aux idées déjà modernes pour l’époque, puisqu’il militait pour le mariage gay et l’ordination des femmes, la petite troupe s’en vint affronter seule l’armée républicaine au cours d’une bataille restée célèbre sous le nom de défilé des Thermopyles, hommage des Kerkadek, fameux hellénistes, à la campagne bretonne.
Au Dix-Neuvième siècle, des Kerkadek se mésallient avec des roturières du Morbihan, et la branche de Louis se laisse convaincre par les jeunes femmes sudistes, lascives et charmantes, de partir pour un sud plus méridional, celui de Marseille, à l’époque la porte de l’Empire colonial. C’est ainsi que les Kerkadek essaiment dans les coins et les recoins de l’Empire. On retrouve des Kerkadek avec Georges Darien à Biribi, d’autres en Afrique Occidentale Française, un Kerkadek qui sentait bon le sable chaud s’engage même dans la Légion Etrangère où il rencontre un certain aventurier espagnol, lequel n’est autre qu’Arsène Lupin… C’est une période faste pour les Kerkakek puisque la famille s’enrichit et construit une des plus belles maisons phocéennes sur les collines du Prado, facilement reconnaissable à la nef en coque de bateau de l’église avoisinante.
Et le petit Louis dans tout ça ?
Fort d’une telle lignée, on comprend le désarroi du petit Louis, seul face à la campagne bretonne, cherchant l’Océan de ses yeux bleu azur. Car Louis est un être différent. La civilisation l’oppresse. Les impôts, les parcmètres, les matchs de foot qui se substituent à la conscience nationale, les radars, les limitations de vitesse, les alcooltests obligatoires sous peine d’amende à onze euros, les sermons des politiciens minables, les règlements internes des entreprises, la pleutrerie ambiante, les regards outrés des parents accompagnés de bambins braillards quand il sort son cigarillo et déambule le long des quais du port de Roscoff, les journaux télévisés, les conversations futiles, les considérations matérialistes : tout cela lui pèse. Et comme il rejette aussi l’école obligatoire, Louis ne s’intéresse pas beaucoup à ses études. À seize ans, il devient bouddhiste. À dix-huit ans, il traduit le Tao Te Ching en Breton. À vingt ans il disparaît. On le retrouve à Saigon, puis au Laos. À Saigon, il tient un restaurant où sa recette de paupiettes fait des ravages parmi les membres du parti communiste local. À Vientiane, il investit dans une compagnie de ferries qui transporte les locaux et les touristes sur le Mékong. Il fait fortune et la perd en une nuit au Mah-jong dans un bouge chinois de Haiphong. Poursuivi par les triades haïnanaises pour dettes de jeux, il disparaît.
Il a trente ans quand on le retrouve sur la mer jaune à la barre d’un cargo de nuit. Là, il a sous ses ordres un jeune matelot indiscipliné du nom d’Axel Bauer, dont on dit qu’il fut l’inspiration. C’est aussi lui qui met fin quelques années plus tard à la piraterie malaise dans la mer de Siam. En remerciement, il est fait Commandeur de la Marine Britannique par un cousin de la Reine, lequel lui offre un poste sur un de ses bateaux de guerre en partance pour les Malouines. Par conscience patriotique bretonne, il refuse. La suite est plus mystérieuse, on le dit de passage à Londres pendant les années Major, on le soupçonne de toute une série de larcins, mais les RG de l’époque ne parviennent à rien prouver, sûrement en raison des multiples complicités dont Kerkadek jouit dans la police britannique.
Puis le revoilà sur les mers du Sud, où il décide de refaire les voyages de Bougainville, de Cook, et de La Pérouse. Il vogue la plupart du temps à bord de son catamaran, avec son équipage dankali. Il en profite pour découvrir une centaine d’espèces inconnues et une dizaine d’îles. Il déchiffre une langue polynésienne à l’aide d’une stèle faite d’un métal rare, l’orichalque. Il écrit un fameux « Voyage sur les mers du Sud » qu’il échange contre une jeune locale au cours d’une nuit de débauche sur l’île de Vanuatutonga, où au passage il met fin aux essais nucléaires français. Et puis il se met en tête de découvrir l’Atlantide, mais renonce en cours de route, pour des raisons encore obscures, des raisons qui échappent à la plupart de ses biographes, quoique certains affirment que l’explication de ce renoncement se trouve dans « Atlantido », le roman suite de Pacifico.
L’épisode américain.
Le Comte Kerkadek retourne à Marseille, reprend ses affaires, puis suite à un divorce mal vécu, il abandonne tout, et part précipitamment aux Etats-Unis pour, selon ses détracteurs, échapper à la toute puissance fiscale du gouvernement français. Là, le début de ses aventures est avéré, puisqu’il travaille dans un restaurant pour poulets, dans une ville du Nord Est (voir Pacifico). Mais il disparaît un soir d’émeute pour s’embarquer dans une aventure rocambolesque dont on ne sait à ce jour si elle est vraie ou non (voir Atlantido).
L’ermite de Guimiliau.
Depuis ces aventures, le Comte écrit. Avec plus ou moins de bonheur, diront ses détracteurs. Son style puise dans la fureur de Céline, l’onirisme de Lautréamont, le réalisme de Truman Capote ; sa philosophie est caractérisée par des thèmes comme l’errance de Pierrot le fou lisant Rimbaud, le bouddhisme « Beat » à la Kerouac, l’ésotérisme de Borgès ou de Pratt ; ses textes alternent entre les road trips psychédéliques et les exégèses de l’œuvre de Bakounine mais aussi de nombreuses traductions de poètes laotiens et de taoïstes du sixième siècle, dont il contribua beaucoup à la diffusion en langue bretonne.
Le Comte Kerkadek occupe une place à part au panthéon des écrivains voyageurs. Les soirs d’été, on le trouve parfois endormi au pied du calvaire de Guimiliau. Rétif aux interviews, c’est un homme bourru et calme, qui voyage peu, mais aime regarder la mer.
Le Comte Kerkadek a publié quatre romans aux Éditions de Londres : Pacifico, Atlantido, L’homme qui n’aimait pas Paris, et Le pays invisible.