Zachary

Désert de Tanami, Australie

Des plaines rouges à perte de vue où courent des Hare Wallabys, quelques troupeaux de dromadaires importés, retournés à l’état sauvage. Des terres abritant des araignées et des serpents venimeux, mais aussi des gisements aurifères. Les compagnies s’y pressaient : AngloGold, Coyote, Newmont, Tanami Gold, Otter Gold Mines Limited.

Zachary Jones était chauffeur de poids lourd et transportait l’or pour un gros client des mines. Au début, il s’interdisait de le regarder, puis seulement de le toucher. Ensuite il s’était dit que les quelques grammes qu’il détournait à chaque voyage, ce n’était pas grand-chose. Un soir, il fut convoqué par Jack Walker, le contremaître. Après lui avoir fait sentir la précarité de sa situation, Walker se leva et marcha vers la porte pour vérifier qu’il n’y avait plus personne dans le couloir, la ferma et vint se rasseoir.

— Il y a peut-être une alternative

Le cœur de Zachary se remit à battre.

— Du genre ?

— Un combat. Vous avez été champion de lutte.

Jones n’en croyait pas ses oreilles.

— Comment vous savez ça ?

Walker souriait.

— Champion de Kimberley en 2007 et 2009. Il suffisait de lire les journaux.

— Vous voulez que je lutte ?!

— Pas exactement. Ce que je vous propose est beaucoup plus dangereux.

Zachary croisa les bras.

— Si vous participez à ce combat, j’efface la vidéo. Et si vous le gagnez, vous remportez une prime de cinquante mille dollars.

— Ah, oui ? Et qu’est-ce que qui me prouve que vous dites vrai ?

— Rien…

Il lui tendit sa pogne de mineur. Zachary hésita un instant, puis la lui serra :

— J’ai plus rien à perdre.

Il sortit, remonta dans son camion et démarra. La Tanami Road était parsemée d’épaves de 4x4. Il roula jusqu’au road house de Rabbit Flat et commanda un steak au gérant, un grand type aussi chaleureux qu’un cric de poids lourd. Puis il rejoignit son véhicule et s’allongea sur le lit de la cabine. Vers minuit, Walker se pointa comme prévu. Zachary mit l’alarme en route et verrouilla son camion, puis monta dans le pick-up du contremaître.

*

À l’aube, les manutentionnaires avaient déchargé un long truck à trois remorques de près de vingt-cinq mètres de long. Postés en étoile sur les collines au milieu des petits acacias à fleurs jaunes, les 4x4 rôtissaient dans la poussière, la clim à fond. Leurs occupants surveillaient l’horizon avec des jumelles. Une construction en panneaux préfabriqués formait une arène. Un peu partout, on installait les caméras : à terre, sur la grue et sur un rail accroché aux parois du cirque.

Au coucher du soleil, la structure était opérationnelle. Vue du ciel, elle ressemblait au réticule de visée d’une arme de sniper. Deux grandes passerelles métalliques, suspendues à quatre mètres du sol, s’y croisaient en leur milieu. On alluma les projecteurs.

Les candidats arrivèrent en 4x4. On les fit monter sur une échelle, un par un, chacun à l’une des extrémités de la croix. Un garde armé et cagoulé se posta derrière chaque combattant. Zachary Jones observa ses adversaires. Le premier était gras, rougeaud. Le second défiait les autres concurrents comme un catcheur. Le dernier à rejoindre la plateforme était un Asiatique. On leur donna un bâton. Zachary, les yeux écarquillés, luisants de sueur, se retourna. Son gardien posa la main sur la crosse de son pistolet automatique.

Les quatre hommes avancèrent. Le catcheur atteignit le centre de la croix en même temps que l’Asiatique. Rapide, celui-ci fit un pas en avant et frappa son crâne. Son adversaire lâcha son bâton et tomba dans la fosse.

Un hurlement retentit et les trois hommes baissèrent les yeux. Une multitude de serpents, dans l’obscurité, s’enroulaient autour de leur victime. Disposées au ras du sol, les caméras infrarouges ne perdaient rien de la scène. Rapidement, les cris cessèrent. L’obèse jeta son bâton et fit demi-tour pour s’enfuir. Son gardien l’abattit d’une balle dans le ventre et il tomba à son tour dans la fosse.

Zachary inspirait à fond pour essayer de réprimer le tremblement qui montait le long de son échine. Il leva la tête vers la grue. La diode rouge de la caméra clignotait. Il lança son bâton vers son adversaire et le ceintura pendant qu’il paraît le coup. Les armes de bois tombèrent sur les serpents.

Les deux hommes s’agrippèrent l’un à l’autre. Le kendoka saisit le col de Zachary, plaça son pied entre ses jambes, puis le faucha en le faisant basculer sur sa hanche. Le dos de Jones heurta la passerelle. Il lâcha un cri et roula vers le vide, mais parvint à se retenir à un tube de la structure. Au-dessous de lui, des taïpans se dressaient. L’autre s’avança et lui écrasa les mains sous la semelle crénelée de ses Rangers, mais Zachary tenait bon. Le type s’agenouilla pour lui retourner un doigt. Le lutteur donna un coup de reins pour projeter ses jambes et prit en ciseaux le cou de son adversaire. L’homme bascula dans la fosse. Zachary parvint à se hisser sur la passerelle.

Il se coucha sur le dos et poussa un cri en direction du ciel indifférent. Un cri de guerre, de rage et de joie, le visage cadré en gros plan.